Un sondage d'opinion, réalisé par le bureau d'études 3C et publié début juillet, crédite An Nahdha de 14,3% d'intentions de vote, ce qui place le parti de Rached Ghanouchi en tête, loin devant le PDP de Ahmed Nedjib Chebi, qui, lui, détient 4,7%. Pour s'assurer une place dans le nouveau paysage politique, le parti, qui fête ses 40 ans d'existence et s'apprête à tenir son neuvième congrès en décembre prochain, a dû déposer des statuts expurgés des références idéologiques qui déterminent le projet de société islamique pour lequel œuvre An Nahdha. Une pirouette tactique qui permet de contourner les barrières constitutionnelles interdisant l'utilisation de la religion à des fins politiques. Le parti a beaucoup appris de ses propres expériences avec les pouvoirs successifs de Bourguiba et Ben Ali, et revient avec la conviction qu'il pourrait tout perdre en s'attaquant de front à la classe moyenne progressiste et ses acquis. A chaque occasion, les figures emblématiques du mouvement, comme le porte-parole Samir Dilou, le numéro 2, Noureddine Lebhiri ou le cheikh Ghanouchi, lui-même, n'hésitent pas à rassurer, par médias interposés, sur leur respect des valeurs tunisiennes tels le rejet de la polygamie et la parité homme-femme. La position du parti vis-à-vis de l'agression des avocats devant la Cour de Tunis ne déroge pas à cette règle de la communication. Dans son communiqué, An Nahdha a regretté l'attaque sans la condamner, en culpabilisant subtilement les avocats d'avoir provoqué les manifestants islamistes. Ce double discours ne trompe pas les adversaires démocrates. «An Nahda emploie des personnages light pour sa communication, mais des idées à mille lieues sont développées en interne. Le meilleur moyen pour faire face au célibat des femmes, c'est le retour à la polygamie, disent-ils, et pour absorber le chômage il faut qu'elles restent au foyer», s'indigne Me Fakher Gafsi. En outre, des soupçons font le tour des chaumières et pèsent sur le mouvement à cause de ses sources de financement. En l'absence d'enquête sécuritaire ou du moins journalistique sur le sujet, tout le monde s'interroge sur les signes ostentatoires de richesse du mouvement et surtout les raisons de son retrait de la haute instance de sauvegarde de la révolution, quand il a été question d'avancer un projet de loi sur les partis politiques impliquant la transparence dans le financement. Au plan idéologique, les lignes qui définissent la nouvelle version d'An Nahdha ne sont pas encore claires. Est-il un parti islamiste révolutionnaire, comme le FIS algérien, qu'il a d'ailleurs fréquenté et même conseillé au début des années 1990 ? Ou alors s'est-il réformé pour devenir BC-BG. comme l'AKP turc ? Pour le journaliste Zied Krichene, spécialiste de la mouvance islamiste en Tunisie, «An Nahda est écartelé entre deux modèles islamistes, celui des Frères musulmans d'Egypte des années 1980, et celui d'un proto-AKP turc. Il ne peut pas être l'AKP d'Erdogan parce qu'il n'a pas rompu avec l'utopie de fonder un Etat islamique.» Zied Krichene affirme que le double discours d'An Nahda ne relève pas du mensonge et serait l'expression d'un dilemme devant lequel se trouve le mouvement islamiste, qui veut avoir en même temps de bonnes relations avec les salafistes et le parti Tahrir et se faire accepter par les autres formations. Un exercice difficile, aussi bien face aux islamistes plus à droite, accrochés au rêve d'un Etat islamique par tous les moyens, que face aux démocrates qui doutent des capacités des islamistes à se dissoudre dans la démocratie. Les démocrates n'ont pas oublié les nombreux actes de violence commis par les militants d'An Nahdha à l'université et dans de nombreux espaces publics durant la période située entre 1986 et 1991 ; des actes ayant coûté la vie à des Tunisiens considérés comme ennemis d'Allah.