Définition que donne le Larousse de la justice : «Principe moral qui exige le respect du droit de l'équité.» La justice serait une vertu, une qualité morale qui consiste à être juste, à respecter les droits d'autrui. Qu'a-t-on fait peu à peu de ces principes moraux et du respect du droit dans notre pays ? Comment expliquer l'aversion de la majorité de nos compatriotes pour la justice dont ils préfèrent demeurer le plus loin possible, renonçant même à faire appel à elle en cas de besoin, par méfiance et, pourquoi ne pas le dire, par peur ? Avoir si peur de la Justice de son pays ? Eviter tout contact avec le monde de la justice est le vœu secret ou avoué de tout Algérien soucieux de sa tranquillité de citoyen et qui préfère abandonner ses droits plutôt que de s'y «frotter» ; les exemples abondent où un plaignant se retrouve traité en coupable et condamné, à sa grande stupéfaction. Cette méfiance finit par avoir de tristes conséquences puisqu'il est de plus en plus difficile de faire venir un témoin pour contribuer au déroulement d'une enquête et à la recherche de la vérité. Cette même méfiance s'exprime à l'égard des auxiliaires de justice, les avocats qui ne verraient aujourd'hui que leurs intérêts au lieu de se lancer bec et ongles dans la défense des personnes venues leur confier leurs secrets et les supplier de prendre en charge leurs problèmes : la nouvelle génération d'avocats se tromperait sur la mission qui lui est assignée ? Donnerait-elle la priorité à ses intérêts et oublierait son engagement ? Aurait-elle tendance à exercer cette profession comme une activité banale, sans état d'âme ? On est si loin aujourd'hui de cette noble corporation engagée dans l'histoire de tous les combats et les révolutions… Faut-il rappeler que l'on entre par vocation dans cette profession comme on entre dans les ordres : la motivation est quasiment d'ordre mystique tant elle traduit l'amour du droit et de la justice vers l'absolu ; c'est un véritable sacerdoce. Or, Les histoires qui circulent sur la moralité de certains avocats sont terrifiantes et ne font qu'alimenter la méfiance du public envers cette corporation qui s'est peu à peu clochardisée. Ce sont des avocats qui sont les premiers à s'indigner du comportement de certains de leurs confrères, jeunes ou moins jeunes, et ne se gênent pas pour les dénoncer. Comme dans toutes les autres professions libérales, il faut se garder de généraliser et de caricaturer. Il existe aujourd'hui des avocats dignes de ce nom, qui exercent cette belle profession dans l'honneur, la probité et la dignité. Et du côté des magistrats, alors, qu'en pensent nos concitoyens ? A leur égard, c'est la peur qui domine, la crainte de décisions partiales, l'hostilité affichée envers tous les avocats sans distinction, une attitude teintée d'arrogance souvent et, envers les justiciables, l'indifférence et le mépris : on ne trouve personne pour croire que nos magistrats ont l'amour de la justice et contribuent à ce que la justice soit juste. La plupart des avocats craignent les magistrats et supportent toutes sortes d'humiliations dans l'exercice de leur profession de peur d'être pénalisés par de mauvaises décisions qui ruineraient peu à peu leur crédit auprès du public ; il suffit d'assister à une audience du tribunal ou de la cour pour constater que les avocats ont perdu leur voix et murmurent à l'oreille des juges pour se faire entendre, sans éclat, par un magistrat excédé, prêt à laisser exploser son exaspération au moindre prétexte. On est très loin d'une justice sereine et d'une justice tout court : il faut raser les murs, ne jamais s'adresser à un magistrat hors audience et éviter même de le saluer dans les couloirs des tribunaux ; il est recommandé de se tenir à distance, au mieux de s'ignorer. Attention aux caméras ! Il résulte de cette méfiance généralisée des uns et de la peur de déplaire des autres une ambiance glaciale exécrable ; aucune place pour des relations cordiales et neutres ; dans un climat apaisé. Faut-il le répéter, nos compatriotes ne croient pas à la justice de leur pays et considèrent comme une calamité d'avoir affaire à une Institution à laquelle ils ne font pas confiance. C'est vrai qu'il est de plus en plus difficile de croire à la justice de notre pays, qui a eu ses beaux jours, un temps où on pouvait parler de «famille judiciaire», où les avocats et les magistrats, dans des relations pleines de respect et d'estime réciproque, échangeaient de manière la plus amicale des points de vue différents, donnant lieu à des discussions chaleureuses et franches, enrichissantes pour tous. On a en mémoire les manifestations sportives communes, dont des matchs de football mémorables, sans parler des excursions organisées par des avocats et des magistrats en famille ; une époque lointaine et révolue du siècle dernier, on peut le dire. Aujourd'hui, les magistrats sont séparés des avocats par un mur de verre infranchissable et l'avocat est devenu peu à peu le parent pauvre de la justice, ne suscitant que méfiance ; mais que deviendrait notre justice sans avocats ? Leur silence est lourd de conséquences sur la place qui leur est tolérée. La plupart des anciens magistrats récemment inscrits au Barreau se rendent compte trop tard de la difficulté de l'exercice de cette profession et ont un regard bien nostalgique sur les avantages de la magistrature : exercice du pouvoir et présence constante de l'avocat apportant sa contribution à la bonne marche de la justice. Ils regrettent d'avoir été si loin des avocats dont ils découvrent un peu tard l'importance et la nécessité dans leur participation douloureuse à la bonne marche des affaires de justice. Certains magistrats ignorent tout des étapes judiciaires qui ont précédé l'arrivée d'un dossier à leur niveau ; ils l'avouent quelquefois. Les avocats leur facilitent leur tâche, il ne faut pas l'oublier. Il serait temps de redonner leur place aux auxiliaires de justice que sont les avocats et demander à ceux des magistrats qui n'abusent pas de leur pouvoir de militer pour l'indépendance de la Justice : il suffit en effet que le pouvoir exécutif impose au ministre de la Justice, garde des Sceaux, la non-intervention dans les affaires individuelles ou autres et démontrer par là que sans changer la loi, on peut changer les choses et nous acheminer vers l'Etat de droit auquel nous aspirons tous. Il faudra néanmoins modifier la Constitution sur le statut du parquet et de ses membres dès que les conditions politiques seront réunies. Le chemin risque d'être long... mais ne perdons pas espoir. On a vu beaucoup de responsables de l'appareil judiciaire ou à la tête d'autres institutions redevenir de simples citoyens plein d'humilité, en quête brusquement de justice, assoiffés de droit, de justice et d'équité au lendemain de leur éviction du sérail. Ils réalisent brusquement qu'il n'est pas facile d'avoir le statut de citoyen ordinaire. Certains parmi eux deviennent des militants fervents de la démocratie. Si chaque citoyen ne perdait jamais de vue que chaque petite pierre, si petite soit-elle, apportée à l'édification de la défense des droits de l'homme, à sa dignité et à la justice durant toute la période où il a un statut privilégié et associé aux affaires de l'Etat, il prendrait pour lui et sa famille une «assurance tous risques» contre les abus de toute sorte qu'il serait amené à rencontrer au lendemain des jours fastes. Du présumé coupable au pré-coupable Ce principe apparu en 1789 dans la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen figure bien dans Ce principe apparu en 1789 dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen figure bien dans notre Constitution et l'article 45 reprend intégralement le principe que «toute personne est présumée innocente jusqu'à l'établissement de sa culpabilité par une juridiction régulière et avec toutes les garanties exigées par la loi». S'il est jugé indispensable de la mettre en détention, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne devrait être sérieusement réprimée par la lloi: les juges ne sont pas des citoyens au-dessus des lois et doivent répondre des excès de leurs décisions. L'Imputation d'une infraction pénale présente un caractère diffamatoire : dès lors, présenter comme coupable une personne qui n'a pas encore été définitivement jugée constitue l'infraction. L'Algérie reconnaît beaucoup de principes, mais a du mal à les faire respecter. «Il existe un paradoxe constant entre ce principe de la liberté d'innocence et l'application de la procédure pénale.» En effet, dès qu'une personne est convoquée par un juge d»instruction et que la presse donne l'information, on a immédiatement affaire à des coupables. La presse n'hésite jamais à présenter les faits divers sans la précaution qui s'impose pour éviter de nuire à la réputation des personnes qui jouissent de ce principe de présomption d'innocence. Une chose est sûre : la présomption d'innocence n'a d'effet civilement sanctionné qu'à l'égard des tiers tandis que dans les rapports du juge et du prévenu, la personne passe du statut de présumé coupable à pré-coupable. L'attitude des juges est primordiale : ils doivent tempérer leur pouvoir exorbitant et respecter la présomption d'innocence dans l'honneur du droit et de la défense des libertés dans le but de participer à l'édification de l'Etat de droit pour lequel ils sont placés en première ligne. «Le juge est un magistrat chargé de rendre la justice en appliquant les lois.» La présomption d'innocence et la Liberté de la presse représentent deux principes essentiels dans une démocratie. Ce qu'il faut rappeler sans cesse aux juges, c'est qu'en tant que citoyens, ils seront très heureux de bénéficier à leur tour, quand l'heure viendra, de ce bouclier du droit qu'ils ont contribué à renforcer. Il leur suffit d'appliquer à la lettre l'article 123 du code de procédure pénale pour éviter des mesures excessivement violentes et injustifiées aux conséquences dramatiques souvent ; le juge doit se soucier de l'application des lois pour prendre une décision légale et juste. Il n'est pas un justicier mais un magistrat, avec tout ce que comporte cette fonction de qualités, de sagesse et de raison. Dans la réalité, les juges usent et abusent de leur pouvoir démesuré de placer tout prévenu en détention même s'il présente toutes les garanties de représentation et que son casier judiciaire est vierge ; pour quelle utilité ? Cette mesure de privation de liberté une fois prise exige du détenu et de ses conseils un arsenal juridique accompagné de démarches à caractère ésotérique, véritable exercice de prestidigitation de certains spécialistes face à l'intransigeance hermétique du juge. Le rôle de l'avocat dans le bureau du juge d'instruction n'a aucun effet sur la décision du juge qui réduit les conseils à un rôle de figuration et s'il tente de se pourvoir contre une ordonnance de mise sous mandat de dépôt, il sait qu'il n'a pratiquement aucune chance d'obtenir son annulation. Les réquisitions du parquet pèsent de tout leur poids sur la décision du juge qui instruit à charge principalement même quand il prétend le contraire : théoriquement, il instruirait à décharge sans doute de bonne foi et croyant ferme à sa mission de redresseur de torts. La mise en détention d'une personne, qui n'a visiblement commis aucune faute grave, a un casier judiciaire vierge et a donné toutes les garanties est une violence dont le juge n'a véritablement pas conscience ; en moins d'une minute, le citoyen au-dessus de tout soupçon, le père de famille exemplaire, le fils de famille honorable et digne bascule à la seconde dans l'abîme. La prison, peine essentielle de notre droit, comme les supplices étaient la peine essentielle de l'ancien droit, serait largement utilisée pour faire parler, comme l'était la torture. La faute pénale est elle-même si difficile à prouver et que dire alors de l'innocence ? Il faut rappeler que l'Islam n'a pas attendu la révolution française de 1789 pour consacrer le principe de la présomption d'innocence : en effet, il est à signaler que le droit musulman instaure un lien entre la preuve et la détention provisoire. Cette dernière n'est possible que si des preuves suffisantes sont réunies contre l'inculpé dans la mesure où la règle est la présomption d'innocence qui l'accompagne jusqu'au jugement. Les jurisconsultes sont unanimes à dire que si le demandeur n'a aucune preuve, ou que sa preuve est peu probante, l'inculpé ne doit pas être détenu. Notre procédure est faite pour aboutir à ce que des personnes soient préjugées vis-à-vis de l'opinion publique et vis-à-vis des magistrats eux-mêmes qui ont tendance, on le constate chaque jour, à banaliser ce qu'ils pratiquent quotidiennement, à savoir la mise en détention à la chaîne qui répand la terreur dans l'ensemble de la société. Lorsque le juge met en détention un chef d'entreprise présumé innocent, il met en péril l'entreprise et pénalise tous les salariés dont l'avenir est soudain menacé par l'incertitude et le spectre du chômage : c'est un bouleversement pour toute une population. les juges semblent n'avoir aucun état d'âme par rapport aux ravages que provoque la mise en détention d'un homme qui crie son innocence et contre lequel la mesure plus humaine et appropriée de mise en liberté provisoire ne court aucun risque. Nul ne sort indemne de l'épreuve En un instant, l'homme libre change de statut : il perd sa liberté, subit toutes sortes de violations, morales et physiques, est menotté et transporté dans un établissement pénitentiaire où il devient un numéro sous surveillance et bien que présumé innocent privé de tous ses droits ou presque. Même s'il sait qu'il est innocent et parfaitement en accord avec sa conscience, le prévenu mis en détention se met à douter et après le moment de révolte, se culpabilise, a honte d'imposer une telle épreuve à ses proches et aux personnes qui lui ont fait confiance : la détention d'une personne est une sanction collective. En détention, le coupable et le présumé innocent ont le même statut. Le rôle de l'avocat est important, car la protection des droits de l'homme va de pair avec la reconnaissance du droit à les défendre et à la protection de ces droits : il devient l'interlocuteur exclusif et son seul lien avec l'extérieur de la prison. Il le traite avec précaution et tous les égards pour lui redonner confiance en lui et l'informe de l'écart entre les textes de loi et la réalité de «la justice» devenue un rouleau compresseur, et de sa brutalité. Il l'implore de rester un homme pour avoir la force de lutter contre la résignation. L'avocat lutte contre son impuissance et le détenu est devenu son patient auquel il administre des prescriptions pour sauver son honneur et retrouver sa dignité. L'avocat souffre des humiliations infligées à «son patient». Il a été dit que ce n'est pas parce que la vie est brutale qu'il faut se résigner, mais c'est parce que nous y sommes résignés que la vie est brutale : il nous appartient de refuser cette résignation. Le rôle de l'avocat est de lutter pour obtenir que soient remis en liberté et réhabilités les innocents : «La nuit est plus noire et plus froide dans le trou des prisons» et on ne doit jamais renoncer à ses légitimes aspirations de liberté de respect de sa condition humaine. A vouloir placer trop haut ce concept de présomption d'innocence on le conserve comme un objet sacré auquel on se réfère en qualité de défenseur des droits sans y croire, mais en espérant l'intégrer dans l'esprit de nos juges récalcitrants et dogmatiques. A ne pas en tirer les conséquences pratiques en termes de capacité pour l'individu à se sortir d'affaire dans la mécanique judiciaire on se leurre. A ne pas vouloir considérer que la présomption d'innocence se traite à tous les niveaux de l'appareil et du fonctionnement judiciaire et non pas seulement par une mesure particulière, on commet une erreur théorique, faute de prise en considération d'éléments pragmatiques qui font la différence entre une bonne et une mauvaise justice. Comment accepter que notre peuple, qui a tant lutté contre l'injustice coloniale, après tant de vies sacrifiées sur l'autel de la justice et tant de sang versé, souffre de nouveau de ne plus croire en la justice de son pays souverain et surtout d'en avoir peur et de souhaiter ne jamais avoir affaire à elle. Il serait temps de réconcilier le peuple algérien avec sa justice et lui rendre ainsi sa dignité et son honneur d'être Algérien fier de son pays où il se sentirait enfin protégé et à l'abri de l'arbitraire. L'innocence de la personne soupçonnée est tout le temps de la procédure une supposition obligatoire : c'est un souci de protection des personnes soupçonnées, mais il faut en persuader nos juges. C'est le rêve de tout Algérien : aimer encore et croire en son pays au lieu de rêver à la fuite vers d'autres rivages apparemment plus cléments à n'importe quel prix… tout simplement des pays où on respecte l'homme et ses droits fondamentaux pour retrouver un peu de sa dignité d'être humain. Il est urgent de restaurer notre justice sinistrée par toutes sortes de dérives et d'événements tragiques : le rétablissement de la justice est la condition de la vie, elle est la condition nécessaire de paix. Qu'un innocent périsse, c'est un malheur comme un autre ? Qu'un citoyen dont on ignore tout de ses malheurs s'immole par le feu devienne un fait divers banal dans notre pays est-ce une fatalité ? Grâce à la presse, on apprend que c'est l'injustice qui est à l'origine de ces réactions de désespoir total. Il n'y a plus un jour sans manifestation sur tout le territoire à la demande d'un peu de justice et d'équité : c'est la revendication fondamentale et essentielle de tout un peuple qu'il faut entendre enfin et prendre en considération. La demande de justice supplante aujourd'hui toutes les autres revendications passées au second plan. La réforme de la justice est réclamée par tous les citoyens. On ne compte pas les avocats, magistrats, intellectuels et membres de la société civile prêts à s'engager dans une large concertation pour rétablir enfin dans notre pays une justice digne de ce nom qui donnerait un élan à toute cette population qui doute et désespère de toute réforme qui ne fait que renforcer leur scepticisme comme le «Nouveau code de procédure civile» du 25 février 2008 qui est venu aggraver les malheurs des justiciables et de leurs conseils dans l'indifférence générale. Aujourd'hui, le juriste est bien en peine pour reconnaître la place de l'innocence dans la procédure pénale algérienne : le respect de la présomption d'innocence s'impose dans la vie quotidienne. Une justice indépendante est la clé de voûte de l'Etat de droit : «Le droit est l'art du Bien et du Juste» Il est urgent d'agir.