Le débat sur la notion de responsabilité pénale des personnes morales n'est pas tranché et les nouvelles dispositions en la matière contenues dans loi 04-15, promulguée le 10 novembre 2004, n'arrivent pas à être appliquées sur le terrain. Avis unanimement partagé par les nombreux magistrats ayant participé à la rencontre (de deux jours), organisée par le ministère de la Justice, sur le thème de la responsabilité pénale des personnes morales et dont les travaux se sont ouverts hier à l'hôtel des magistrats. C'est l'expérience belge qui a été choisie pour le débat sur le sujet, à travers des exposés présentés par Mme Elisabeth Hamer, experte belge, juriste au service de la politique judiciaire, du ministère de la Justice belge, qui dirige actuellement l'unité de la criminalité institutionnelle. Elle a participé à l'effort de révision des lois belges en 1999, pour introduire les bases juridiques de la responsabilité pénale des personnes morales. Cette réforme, a-t-elle déclaré, s'est faite dans la précipitation, ce qui a conduit à des failles dans les textes et donc à beaucoup de jurisprudence dans le domaine de son application. La conférencière a beaucoup insisté sur la complexité et « la difficulté à mettre en application notamment la procédure de mise en inculpation des personnes morales. En France, cette responsabilité est mieux définie. Elle s'enclenche par ricochet alors que, chez nous, elle est autonome ». Pour sa part, Ali Sahraoui, inspecteur général au ministère de la Justice, a précisé que « le principe retenu dans la loi 04-15, à savoir que l'infraction soit commise pour le compte de la personne morale, par ses organes ou son représentant, pose problème » tout en insistant sur « le cumul des responsabilités entre personnes physiques et personnes morales ». L'inspecteur général a souligné, par ailleurs, l'exclusion de l'Etat, des collectivités locales et des personnes morales de droit public des dispositions de cette loi, précisant, toutefois, que « l'Algérie a institué un casier judiciaire pour les personnes morales, dont la mise en place est une question de temps ». M. Sahraoui a insisté sur la difficulté de définir ce principe de responsabilité pénale pour les personnes morales. « La notion classique de la responsabilité pénale pour les personnes physiques repose sur trois éléments : légal (les codes pénal et de procédure pénale), matériel (les faits commis) et moral (la volonté de commettre les faits). C'est ce troisième élément qui reste difficile à établir quand il s'agit de personnes morales. Les frontières entre la volonté de commettre les faits et la connaissance des organes dirigeants de l'entreprise de ces mêmes faits est réduite. La question qui reste posée : comment imputer des faits à une fiction juridique ? C'est pour vous dire que la notion est tout à fait nouvelle dans notre pays. Elle nécessite une définition, d'autant que le pays est appelé à être confronté à ce genre de conflits, notamment avec le développement du secteur privé, avec l'embellie financière qui aiguise l'appétit et surtout l'installation des sociétés étrangères. » Pour M. Sahraoui, il est vrai que « le principe retenu dans ce domaine est que l'infraction doit être commise pour le compte de la personne morale, par ses organes ou son représentant, mais, ce principe pose un problème de partage ou de cumul des responsabilités entre personnes physiques et morales, d'une part. D'autre part, le législateur n'a ni défini cette notion ni fixé les conditions de sa mise en œuvre. Il appartient donc aux juridictions de le faire en soulignant que son application s'avère difficile ». De son côté, Ahmed Amine Boughaba, juge d'instruction près la cour de Blida, a abondé dans le même sens, appelant pour sa part à l'élargissement du champ d'application de la loi et la possibilité d'inclure certaines personnes morales de droit public dans ses dispositions. « La loi 04-15 du 10 novembre 2004 mérite d'être revue dans le fond pour bien définir, à l'avenir, les conditions de la mise en jeu de cette responsabilité pénale. Cette loi est importante et concerne tout le monde. » Selon lui, la responsabilité pénale des personnes morales est limitée à trois catégories d'infraction (l'association de malfaiteurs, le blanchiment d'argent et l'atteinte aux systèmes de traitement automatique des données) auxquelles ont été ajoutées la corruption et le trafic de drogue, précisant plus loin qu'il existe un principe de droit sacré qu'il faudra toujours respecter, à savoir nul n'est responsable que de son propre fait. Les trois conférences ont été ponctuées d'un débat assez intéressant entre les animateurs et les magistrats, notamment des juges du siège, des parquetiers et des présidents de chambre pénale. Ces derniers ont été unanimes à relever les difficultés rencontrées dans la mise en application de la nouvelle loi. « A ma connaissance, depuis sa promulgation en novembre 2004, nous n'avons enregistré aucun cas de poursuite sur cette base. Aujourd'hui, nous sommes face à un cumul de règles, les lois antérieures à 2004. Nos parquetiers n'ont pas cette tendance à poursuivre les personnes morales. Ils se limitent aux dirigeants des entreprises. » Un magistrat a cité le cas de l'affaire de l'explosion du gaz dans une ville de l'est du pays, ayant causé des morts. « Des gens ont appelé Sonelgaz dès les premières odeurs de gaz, mais la société n'a pas envoyé une équipe. Nous avons utilisé l'infraction de complicité d'homicide involontaire pour inculper les responsables de l'entreprise », a-t-il souligné. Une révélation qui a suscité la réaction de nombreux juges qui ont estimé que, dans ce cas précis, l'inculpation ne repose pas sur une base juridique claire. D'autres se sont interrogés si la poursuite d'un journal en tant que personne morale pour offense à une institution de l'Etat pourrait être considérée comme légale, si elle ne repose pas sur des textes clairs en la matière. La réponse de certains intervenants était cinglante : « Non, le journal ne peut constituer une personne morale. »