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La détresse des naufragés du désert
Immigration clandestine en Algérie
Publié dans El Watan le 26 - 07 - 2011

Jamais l'Algérie n'a connu une vague d'immigration africaine aussi importante que durant cette dernière décennie. Les grandes villes du Nord, telle Alger, sont devenues au fil du temps la destination de prédilection des candidats pour un aller simple vers l'eldorado européen. Selon nombre de ces immigrés clandestins, l'Algérie n'est qu'une halte dans
leur périple.
Cependant, la plupart d'entre eux s'y retrouvent bloqués, car après avoir épuisé leurs économies lors de la traversée du Sahara, ils ont recours au travail au noir. D'autres, pour s'en sortir, deviennent délinquants ou même mendiants. Ainsi, le voyage dure plus que prévu initialement et la misère qui a poussé ces hommes et ces femmes à quitter leur pays d'origine finit par les rattraper. Commence alors une longue descente aux enfers.
Certains quartiers de la périphérie d'Alger sont connus pour être le point de chute de nombreux immigrés clandestins. Chéraga, Dély Ibrahim, Bordj El Kiffan, Aïn Benian ou encore Bordj El Bahri sont autant d'endroits où l'on peut trouver le plus grand nombre de ces laissés-pour-compte. Ils viennent du Mali, du Niger, du Ghana, de Guinée Bissau et même du Liberia. A l'Abattoir, un quartier populaire de la commune de Bordj El Bahri, une forte communauté d'émigrés africains s'est installée ; certains sont là depuis quelques mois, d'autres depuis bien plus longtemps. On peut rencontrer nombre d'entre eux sur la rue du Marché. Au bout de l'artère, une dizaine d'entre eux sont adossés au mur d'une polyclinique, dans l'attente d'un éventuel emploi. «Les employeurs qui sont à la recherche d'ouvriers viennent ici, ils peuvent trouver sans peine une main-d'œuvre bon marché», nous confie un habitant du lotissement, qui nous a d'ailleurs mis en contact avec certains de ces hommes à la mine défaite. Amadou, un clandestin originaire du Mali, nous avoue qu'il n'a en sa possession aucun document justifiant de sa résidence en Algérie. «La traversée du Sahara m'a valu la dépense de tout mon argent. Pour me nourrir, je dois accepter n'importe quel travail», ajoute-t-il.
La débrouille, ultime recours
Ces hommes, pour ne pas faire les poubelles à la recherche de restes de nourriture, travaillent dans les champs ; ils sont aussi manutentionnaires pour décharger des marchandises, ou ouvriers sur les chantiers de bâtiment. «Quand j'ai la chance de travailler pour des employeurs honnêtes, je suis payé à raison de 400 DA la journée. Parfois, après une journée de travail de 14 heures, il arrive que des employeurs sans scrupule refusent de me payer», déplore Amadou. La plupart de ces immigrés affirment qu'ils sont surexploités, maltraités et surtout mal payés.
Ils arrivent à peine à gagner de quoi acheter du pain et du lait.
Des familles entières vivant dans ce quartier ont recours à la mendicité pour se nourrir. «J'essuie parfois des insultes ou des moqueries racistes auxquelles je ne réponds pas», regrette Binetou, une Nigérienne de 30 ans, qui, pour calmer la faim de ses deux enfants en bas âge, erre dans les rues d'Alger-Plage en quête de charité. «Je ne demande pas aux gens de l'argent, mais du lait pour mes enfants», dit-elle.
Aussi, les femmes n'échappent pas aux stéréotypes les confinant toutes dans la catégorie des prostituées. Au cœur de cette cité tentaculaire, les clandestins louent de pitoyables mansardes. Ils y vivent ensemble, car il y va de leur survie.
MOINS VULNERABLES EN GROUPE
Cette solidarité leur procure la force de continuer leur périple, mais aussi une protection contre des tentatives d'agression. En groupe, ils sont moins vulnérables et peuvent riposter contre ceux qui les considèrent comme des proies faciles. «Plusieurs de nos concitoyens ont été agressés à l'arme blanche ; ils ont été délestés de leur argent, de leurs téléphones portables et même de leurs vêtements», affirme Tanor, un Ghanéen. La vie au sein de la communauté revêt un caractère solidaire.
Les nouveaux arrivants sont pris en charge par les anciens, qui leur assurent un toit. Les moins nantis peuvent ainsi compter sur l'aide des plus aisés d'entre eux. Ce sont généralement ceux qui ont des parents en Europe ; ils peuvent, durant leur séjour en Algérie, compter sur leur aide. «Grâce à Western Union, je reçois périodiquement de l'aide de mon cousin établi en France ; le change parallèle me permet de subvenir aux besoins de ma famille», témoigne Tanor, à peine la trentaine, qui affiche une allure décontenancée, rongé sans doute par l'inquiétude de lendemains incertains. Et d'enchaîner : «Pour le moment, je peux compter sur les miens, mais après je devrai me débrouiller seul.» Une autre catégorie d'immigrants, qui résident dans le même quartier, s'adonnent à des pratiques dangereuses ; ils ont recours à des actes mafieux.
Amadou regrette que ceux-ci ternissent l'image de l'ensemble des immigrés, car, poursuit-il, «en cherchant le gain facile, ils s'impliquent dans des affaires liées à la drogue, à la fraude et à la prostitution». Pour gagner de l'argent, certains ont même recours au charlatanisme.
Des pratiques de sorcellerie vaudou connaissent un franc succès auprès des Algérois, qui s'y sont familiarisés. Les services de sécurité ont arrêté, l'année dernière, tout un réseau à El Achour. L'embellie économique de ces dernières années a encouragé nombre de ces clandestins à renoncer définitivement à l'émigration vers l'Europe. Décidés à rester en Algérie, ils affirment n'avoir plus l'âge de «continuer l'aventure». «Je suis tenté de rester définitivement à Alger, il m'est toutefois difficile de régulariser ma situation», regrette Abdou, car en attendant de régler le problème de ses papiers de résidence, il risque, comme tant d'autres, de faire l'objet d'une expulsion vers son pays d'origine ; pas moins de 8000 immigrés clandestins sont reconduits chaque année aux frontières.


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