Plage Les Dunes (Chéraga), entre Staouéli et Aïn Bénian. Une résidence d'Etat flambant neuve attend indéfiniment son inauguration officielle par le président Bouteflika. «S'ils tardent autant à l'inaugurer, c'est parce que la meute des flagorneurs se déchire. Les courtisans sont légion et les places sont chères», commente une langue pendue. Dans les textes, elle a été baptisée «Résidence d'Etat Sahel». Impossible évidemment d'y avoir accès. Mais déjà, la vox populi l'affuble de tout le faste inhérent à ce genre d'endroits. Tout juste en face de l'entrée principale de la résidence, un sentier poussiéreux nous projette comme par enchantement dans un décor tout à fait à l'opposé des villas avec piscine laissées derrière nous. Ici, nous sommes à Haï Badis. C'est un petit village de quelque 200 familles construit autour d'une vieille ferme coloniale en plein dans la forêt de Bouchaoui-Marine. Nous croisons sur notre chemin Kamel, 33 ans. Natif de Chéraga, père de deux enfants, Kamel est receveur de bus. Quand nous l'avons rencontré, il revenait de l'hôpital où il avait emmené son fils Youcef, 18 mois. «Il souffre des séquelles de nos conditions d'habitation», explique d'emblée Kamel qui nous fait visiter son taudis dans la foulée. «Je suis originaire de Chéraga et du fait de la promiscuité, je suis sorti de chez moi. Au départ, je louais, mais comment payer 12 000 DA de loyer sachant que c'est presque l'équivalent de mon salaire ? Alors, j'ai décidé de me fixer ici. J'ai fait comme tout le monde et j'ai construit ‘‘ fawdhawi''. Que voulez-vous que je fasse ? Je n'avais pas le choix. Tous mes dossiers de demande de logement sont restés lettre morte.» Ainsi, face aux prédateurs du foncier parrainés par les clans du pouvoir, et qui n'hésitent pas à s'emparer du moindre terrain, le peuple squatte lui aussi en toute liberté. A chacun ses plates-bandes, les puissants comme les parias. La baraque de Kamel est constituée de deux pièces. La plus grande tient lieu de séjour et de chambre à coucher, la plus petite servant de cuisine. Un amoncellement de bric et de broc fait office de mobilier. L'insalubrité du logis est totale, et sous le plafond en tôle ondulée, la chaleur est décuplée. «Cette ‘‘ternite'' est un véritable danger pour la santé de mes enfants. Dans la journée, impossible de se mettre à l'intérieur de cette fournaise», peste Kamel. En hiver, la vie à Haï Badis n'est pas plus clémente. «Le fait est que nous avons construit à même un lit d'oued et en hiver, ses crues ne pardonnent pas. Le bidonville devient une passoire. N'batou gaâdine ! D'ailleurs, par une nuit de grosses averses, on a failli tous être emportés par l'oued. C'est une vie de chien que nous menons !», fulmine Kamel. Sur ces entrefaites arrive Abderrahmane, 27 ans, licence de compatibilité, marié sans enfant. Abderrahmane est un Palestinien de Gaza. «J'ai débarqué en Algérie en 2001. J'ai fait mes études à Batna, et depuis, je suis au chômage», raconte Abderrahmane. Et de nous montrer une photo de son père qui orne son téléphone portable. «Heureusement, ma famille l'a échappée belle durant la guerre de 2008. J'ai quand même perdu un neveu», ajoute-t-il. «Chez nous, c'est Sharon qui met ses chèvres dans des enclos en zinc comme celui-là !», assène Abderrahmane. «Dire que ce trou à rat m'a coûté 43 millions. Je me suis ruiné. Je ne peux même pas investir davantage dans ce gourbi. Le Poclain pourrait surgir à n'importe quel moment et tout démolir.» De fait, Kamel et ses voisins ont reçu maintes fois la visite des services de l'urbanisme, de la police, de la gendarmerie. «On a tout fait pour me déloger par la force, mais j'ai résisté», dit Kamel. «Mais je suis certain qu'ils vont revenir à la charge. Je tiens d'un ami qui travaille au Sheraton qu'ils vont raser tous ces vergers pour construire un grand palais des congrès. Si ça s'avère vrai, c'est grave. On n'a pas idée de sacrifier des vergers pour des complexes touristiques. Ils vont également ouvrir une route qui va probablement emporter nos baraques. Une route rien que pour eux, bien sûr. Sur le plan, il est même prévu un grand ‘‘H'' comme hélicoptère, comme ça, ils ne vont pas voir notre race !»