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«Une crise en Europe pourrait faire rechuter le pétrole à 36 dollars le baril»
Camille Sari. Expert international et docteur en sciences économiques (option monnaie-finance-banque)
Publié dans El Watan le 06 - 08 - 2011

-Les perspectives de l'économie mondiale sont des plus inquiétantes ; une crainte est suscitée notamment par la crise de la dette de certains pays de la zone euro, dont l'Italie et l'Espagne. Quelle lecture faites-vous déjà de ce nouvel incendie qui se déclare en Europe, après celui des USA qui s'était matérialisé par une crise de la dette ?
Il faut, à mon avis, faire une bonne lecture des choses. Ce matin, les Bourses asiatiques se sont effondrées, tandis que leurs homologues européennes ont marqué une chute dépassant -3%. Les spéculateurs et les opérateurs sur les marchés ont commis une erreur, celle d'avoir sur-réagi par rapport aux événements, ce qui explique l'effondrement des marchés financiers. En réalité, la croissance mondiale n'est pas mauvaise, mais elle n'est pas non plus extraordinaire. Cette situation devrait nous éloigner, normalement, d'une situation de crise financière, mais les marchés sur-réagissent par rapport aux événements et aux informations. Il y a eu une espèce de panique dans laquelle se sont embourbés les marchés.
L'information qui a fait chuter les Bourses a été le discours de Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE). Il a commis deux erreurs importantes. La première est qu'il n'a pas rassuré les marchés quant aux rachats des dettes publiques des Etats. M. Trichet aurait pu annoncer explicitement et clairement que la BCE allait acheter ces dettes et les obligations des Etats qui sont en difficulté. Il avait parlé brièvement du rachat par la BCE de la dette de l'Irlande et de celle du Portugal, mais il n'a soufflé mot de celles de l'Espagne et de l'Italie.
Les opérateurs sur les marchés boursiers considéraient, eux, que les dettes de l'Irlande et du Portugal ne sont pas pesantes, contrairement à celles de l'Espagne et de l'Italie qui représentent plutôt le gros morceau. J.-C. Trichet aurait dû dire que la BCE allait acheter toutes les dettes publiques ; il ne l'a pas dit car il était depuis toujours foncièrement opposé à cette solution. Durant les crises précédentes, il était obligé de recourir à cette solution d'où la fameuse expression «Trichet a avalé son chapeau». La seconde erreur commise par J.-C. Trichet est que ce dernier avait également évoqué dans son discours le problème de l'inflation, alors qu'il ne se pose pas à l'heure actuelle comme un vrai casse-tête à résoudre.
Les marchés financiers ont anticipé sur le risque inflationniste évoqué par M. Trichet afin d'augmenter les taux d'intérêt. Cela conduirait au recul des investissements et à une éventuelle récession si ce scénario venait à se mettre en branle. En un mot, la crise qu'ont vécue les marchés hier est en relation avec la sur-réaction qui a suivi les informations, la panique et le comportement des spéculateurs qui parient sur la dette des Etats et investissent dans les ventes à découvert.
-Y a-t-il risque de contagion à d'autres pays endettés de la zone euro, voire même de ses partenaires ? Y a-t-il un nouveau risque de récession en Europe ?
En France, on prévoit un taux de croissance à 2% et 1,75% en Europe globalement. Si les choses se passent suivant les prévisions préalablement établies, nous n'aurons pas de récession mais nous aurons plutôt un taux de croissance autour de 0% (0,20% en Italie et en Espagne à titre d'exemple). Mais si l'un des Etats fait faillite pour défaut de remboursement de ses obligations – comme c'est le cas de la Grèce – la situation peut s'aggraver.
L'autre risque est lié au mauvais rôle que jouent les agences de notation. Si elles continuent à faire chuter la note des Etats, ceux-ci auront du mal à emprunter sur les marchés financiers et c'est à ce moment-là que le spectre du scénario catastrophe se profilera : celui d'un Etat en faillite face au refus des banques à prêter aux Etats en difficulté. Cependant, d'après les indicateurs dont nous disposons actuellement, le scénario de récession n'est pas encore envisageable, mais il y a plutôt le risque de voir un Etat faire faillite suite à un taux d'endettement très élevé dont souffrent plusieurs pays de la zone euro. Il faut, à mon avis, qu'il y ait un fonds monétaire européen qui globalise la dette et emprunte sur les marchés pour re-prêter aux Etats. Mais un problème politique se pose avec acuité : les Allemands ne sont pas prêts à donner un chèque en blanc aux Etats méditerranéens qui ne travaillent pas assez et à encourager les autres Etats à faire dans le laxisme.
L'Union européenne est le principal partenaire commercial de l'Algérie. Nous exportons essentiellement du gaz vers la zone euro et nous importons l'essentiel de nos besoins. Quel serait le risque sur l'Algérie si cette récession économique venait à se confirmer ?
Si réellement le scénario d'une crise économique dans la zone euro venait à se concrétiser, le prix du pétrole va inévitablement s'effondrer. Rappelez-vous qu'en décembre 2008, il était descendu de 150 dollars à 36 dollars le baril. Les recettes pétrolières se sont alors effondrées et le budget de l'Etat a été mis à rude épreuve. J'avais dit que dans le prix du pétrole, il n'y a pas que l'offre et la demande à prendre en compte, mais il y a aussi le facteur spéculatif qui est très pesant.
S'il devait y avoir une crise économique grave, nous aurons certainement le même scénario qu'en 2008 et l'hypothèse de voir les prix du pétrole rechuter à nouveau à 36 dollars le baril n'est pas à écarter. L'Algérie sera donc touchée uniquement par ce canal, tandis que le Maroc pourrait être touché plus sévèrement puisqu'il exporte des produits agricoles et table sur les recettes du tourisme, un secteur en étroite relation avec le niveau de la consommation et le pouvoir d'achat.


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