La situation dans laquelle s'enferre le pays n'est pas pour rassurer. L'inquiétude a fini par gagner même les acteurs politiques les plus complaisants du pouvoir. Le show des «consultations politiques» dans la perspective de la réforme de la Constitution, le crédit lui faisant défaut, n'a pas réussi à enclencher une dynamique politique et sociale. Le semblant d'enthousiasme a vite laissé place au doute et aux interrogations. D'autant que le pouvoir, avec ses différentes composantes, ne laisse apparaître aucune indication sur l'orientation à donner aux réformes. Tout se déroule dans les cercles les plus opaques du régime. Même la responsable du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, réputée pour sa défense acharnée «des tendances lourdes» du pouvoir de Bouteflika, se lâche ; elle a déclaré, lors de sa dernière sortie politique : «Notre pays est en danger (…).» Alors que la sphère régionale est en pleine transformation politique, il n'est pas exagéré de dire que l'Algérie est frappée d'un immobilisme qui ne sera pas sans conséquences. Le plombage de la vie politique déteint dangereusement sur les autres secteurs. Un constat que partagent nombre d'analystes et autres acteurs politiques. Très au fait du «fonctionnement» politique du pays, Abdelaziz Rahabi est catégorique : «Il n'est pas tout à fait exact de dire que les réformes sont bloquées en Algérie. En réalité, elles n'existent même pas et se réduisent à des déclarations de bonnes intentions de nos dirigeants non pas par conviction, mais par réaction aux contestations socioprofessionnelles et aux révoltes dans le monde arabe.» Pourquoi ? Et quelles en sont les raisons ? Parce que les dirigeants «ont choisi la facilité pour différer l'avènement d'une véritable révolte qui porterait, cette fois-ci, sur des revendications à caractère politique. Nous ne sommes ni plus pauvres que les Egyptiens ni plus riches que les Libyens ou les Bahreïnis ; à ce titre, il est erroné de penser que le réveil du monde arabe a été porté exclusivement par la pauvreté ou par la mauvaise distribution de la richesse», répond-il. Le pouvoir s'exerce en dehors des institutions Mais pas seulement. L'ancien ministre de la Communication énumère d'autres raisons. Selon lui, «la vie politique en Algérie se fait en dehors des institutions, alors que l'on ne peut imaginer un seul instant réussir une réforme en dehors des institutions, sauf à vouloir reproduire le même scénario en changeant juste le nom des acteurs». Puisant dans son expérience de diplomate, M. Rahabi considère également que l'Algérie «n'a pas été préparée à cette accélération de l'histoire dans le monde arabe» et que «ceux qui ont misé sur l'échec des expériences tunisienne et égyptienne pour maintenir le statu quo en Algérie se rabattent maintenant sur le contre-modèle libyen pour faire peur aux Algériens». Ce qui lui fait dire : «Nous sommes dans une sorte d'illusion d'optique et nous mesurons les déclarations de nos dirigeants non plus par rapport à nos propres exigences, mais par rapport à ce qui se passe en Tunisie et en Egypte. Cette forme de mimétisme comporte un fort risque de radicalisation des formes de contestation en Algérie.» En effet, l'opacité qui entoure la gestion des affaires du pays est plus qu'inquiétante. Le gouvernement de Bouteflika est incapable d'apporter des solutions fiables aux nombreux problèmes politiques, économiques et sociaux auxquels est confrontée la société. A la moindre secousse sociale, le gouvernement tergiverse et donne l'impression qu'il perd le contrôle. Les déclarations du ministre de la Santé au sujet de la pénurie des médicaments sont, à ce titre, très édifiantes. Il accuse des lobbys sans avoir l'audace de les citer pour les combattre. Le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, n'avait-il pas reconnu lui-même l'impuissance de l'Etat face aux barons de l'informel ? Le comble ! Est-il nécessaire de rappeler que cet «Etat parallèle» a prospéré à l'ombre du régime ? Il en est le produit naturel. L'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Abderrahmane Hadj-Nacer, a évoqué carrément «un pouvoir parallèle», «en économie, l'adresse où se font les transactions n'est pas celle où elles devraient l'être». Ainsi, le replâtrage, l'approximation et le truchement politique sont érigés en mode de gouvernance, avec comme seule conséquence «la paralysie totale du pays», juge le politologue Mohamed Hennad. Le pays «est dans une paralysie totale. Ceux qui sont au pouvoir ne savent pas quoi faire, Ils n'ont aucune perspective sérieuse à offrir à la société. Ils sont à court d'idées et de visions. Les vieilles pratiques politiques sont telles qu'il est impossible d'envisager le changement avec et dans ce système de pouvoir. Le seul changement réel est dans le départ de ce régime», tranche le politologue. En somme, en tentant de gagner du temps par des semblants de promesses de réforme, le pouvoir met le pays en danger.