Mais où est donc passé Abdelaziz Bouteflika ? Le président algérien a disparu de la scène publique depuis presque quarante jours. Cela fait des semaines que les nouveaux ambassadeurs affectés à Alger attendent de remettre leurs lettres de créance, des accords d'être signés et des situations d'être débloquées. Le locataire d'El Mouradia, qui a tout fait pour centraliser à outrance la décision depuis son arrivée aux commandes en 1999, ne donne plus signe de vie. Pourtant, sa présence en tant que chef d'Etat est plus que nécessaire avec la crise financière mondiale et l'effondrement des cours pétroliers. Les entrées en devises du pays risquent de chuter de moitié dans les prochains jours. Un pays dont la structure financière dépend à plus de 90% des hydrocarbures. Au pouvoir depuis onze ans, Bouteflika n'a rien fait pour changer cette situation. Un constat évident que seul le cercle présidentiel refuse de reconnaître. Ayant instauré une drôle de tradition depuis quelques années, le Président «auditionne» les ministres dans un lieu que l'opinion nationale ignore. Ces auditions, organisées le Ramadhan de chaque année, se font loin des caméras. Pas d'image, pas de son. Les Algériens ont droit à un communiqué officiel surchargé de chiffres où les ministres s'offrent des bons points et le Président de répéter ce qu'il a déjà dit l'année passée et celle d'avant. Des communiqués où l'on évoque «les grandes réalisations» et où l'on évacue tous les problèmes actuels. Peut-on raisonnablement donner crédit à ces auditions lorsque la situation sécuritaire dans le pays est complètement ignorée lors de la séance consacrée au ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, alors qu'une vingtaine de personnes sont mortes suite à des attentats à l'explosif en juillet dernier ? Bouteflika donne curieusement l'impression de vivre dans une bulle fermée. Il semble en rupture avec les réalités socioéconomiques du pays. Les auditions ressemblent à une opération marketing dont le but est de convaincre les Algériens de la présence du président de la République et de son activité. Les auditions des ministres n'existent nulle part dans la Constitution algérienne. C'est une invention de Bouteflika qui, par cet acte, a consacré la gestion informelle des affaires de l'Etat. Le président de la République refuse d'organiser des Conseils de ministres, activité constitutionnelle, et préfère «écouter» les ministres dans un cadre non public, non transparent. Dans la foulée, il écrase les prérogatives du Premier ministre qui, lui, est aussi habilité à demander des comptes aux ministres. S'il y a une crise de confiance entre Abdelaziz Bouteflika et Ahmed Ouyahia, pourquoi ne pas changer de gouvernement ? Bouteflika, qui a changé huit fois le gouvernement en onze ans, peut jouer cette carte pour donner l'illusion du changement et livrer en pâture le Premier ministre. Ahmed Ouyahia, qui nourrit des ambitions présidentielles à l'approche de l'échéance de 2014, a, lui aussi, oublié de présenter son bilan devant le Parlement. Il a préféré le faire à travers un communiqué (une forme de communication visiblement à la mode) pour éviter tout débat contradictoire, ne serait-ce que minime. Le Parlement, en vacances prolongées, n'est pas en mesure de demander des comptes au Premier ministre. Qui peut sérieusement croire qu'en six mois, 64 500 logements ont été réalisés en Algérie ? Cette donne a été annoncée dans le communiqué gouvernemental. Les milliers de citoyens qui ont dénoncé, souvent à travers des protestations de rue, la mauvaise distribution de logements sociaux vont apprécier le chiffre rond de Ouyahia. Idem pour les milliers de chômeurs à qui on annonce que 1 090 435 emplois ont été créés depuis janvier 2011. Autre chose : pourquoi le gouvernement présente-t-il son «bilan» au moment où le Président auditionne les ministres ? Il y a comme un grain de sable dans la machine. A moins qu'il s'agisse d'en mettre plein les yeux aux Algériens pour leur faire oublier que le pays est bloqué.