Bien garnir la table du f'tour est plus qu'une nécessité pour les familles algériennes. C'est un mode de vie, une culture et une occasion pour se rassembler. Mais durant ce mois sacré, il semble que l'appétit triple. Les citoyens ont tendance à excéder en matière de dépenses et de consommation. Les ménages n'hésitent pas à se sacrifier en dépensant des milliers de dinars de plus pour acheter tel ou tel produit, qui en temps normal n'a jamais franchi la porte d'une maison. Des familles n'ont pas hésité à s'endetter pour passer le mois sans contraintes. «J'ai prêté 5000 DA à mon meilleur ami. Il a 4 gosses. Je ne pouvais pas le laisser dans ce bourbier», nous affirme Réda, transitaire. D'autres ont eu recours au prêt sur gages, comme on peut constater l'affluence de citoyens devant l'agence BDL de Oued Kniss. Quant à certaines femmes, elles ont décidé de vendre leurs bijoux, peut-on remarquer à l'entrée de «Djamaâ lihoud» dans la Basse Casbah. Se plaignant quotidiennement des prix élevés des produits alimentaires, les Algériens, une fois au marché, n'hésitent pas à acheter à outrance. «Je ne comprends pas, à chaque Ramadhan, c'est toujours la même histoire. Les marchands de fruits et légumes augmentent leurs prix et les citoyens cautionnent cette démarche en se précipitant devant leurs étals», tonne ammi Mustapha, habitant le quartier Calmon de Chéraga. Un paradoxe total. Dans un contexte d'érosion du pouvoir d'achat, comment se fait-il que les Algériens dépensent sans être regardants sur leur budget ? «La fièvre acheteuse s'empare d'eux comme une pandémie. A croire que les Algériens deviennent soudainement boulimiques durant le Ramadhan», ironise Mounira, la soixantaine. Il faut dire que les citoyens achètent plus pour les besoins de garniture que pour satisfaire leur estomac. La preuve en est, le volume des poubelles a triplé depuis le début du mois. Aucun signe de frugalité, «c'est un véritable gaspillage. Les gens mangent avec leurs yeux. Même s'il est conseillé de faire ses courses avec le ventre plein, il n'y pas de raison d'acheter d'une manière futile», pense ammi Mohamed, retraité. Loin du discours moralisateur, Ramadhan, mois de piété, est aussi un mois de retenue. Mais il s'avère que chez nous, c'est le contraire qui se produit. A Chéraga, par exemple, en marquant un arrêt devant les coins à ordures, puisque les bennes n'existent pas, on peut remarquer toutes sortes de produits alimentaires presque à moitié ou non encore consommés. Autre exemple, le gaspillage du pain atteint des records durant le mois sacré. Un père de famille peut acheter de 10 à 15 baguettes. «Des clients repartent avec 20 pains depuis le commencement du Ramadhan», témoigne Ali, boulanger aux Dunes. Une fois le f'tour terminé, le reste est jeté. Même chose pour les friandises et les sucreries. On achète plusieurs tranches, pour en consommer seulement quelques-unes. «Mes enfants mangent quelques morceaux de zlabia et laissent le reste pourrir dans le frigo», affirme Zohra, femme au foyer. Cette frénésie ne traduit pas une aisance financière de la population. Bien au contraire, la pauvreté tend à se répandre largement. Elle touche désormais la classe moyenne. Mais, paradoxalement, ce comportement alimentaire durant le mois de Ramadhan laisse entrevoir un autre profil de la société algérienne.