Photo : Riad De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi «Avant d'entamer ses courses, il faut faire le tour des étals plusieurs fois.» Cette formule de grand-père omise durant des années a de fortes chances d'être remise au goût du jour notamment par les petites bourses. Conjoncture liée au pouvoir d'achat oblige ! Surtout que la solution n'est pas dans les quelques dinars qu'on pourrait économiser sur tel produit ou tel autre. Tout est cher pour le père de famille qui a une mensualité en deçà de 10 000 dinars. Aussi, si le citoyen succombait à ses envies et achetait tout ce que son estomac vide lui commandait, il risquerait de se retrouver plumé en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.Certes, c'était une habitude installée depuis déjà des lustres. Le consommateur algérien était dépensier et écumait les marchés pour trouver ce qu'il voulait. Il achetait sans regarder à la dépense. Il dépensait sans compter. Il raflait tout sans se soucier des mouvements de la mercuriale. Certains consommateurs étaient capables de parcourir de longues distances pour seulement un litre de lait de vache, une galette de pain traditionnel, une botte de radis ou une petite corbeille de fruits. Quand la faim parle, on perd la raison. On a vu des jeûneurs rentrer à la maison avec des produits qu'ils n'auraient jamais achetés en dehors du Ramadhan. D'autres se sont retrouvés avec une cargaison de pains. A chaque fois qu'ils passent devant une boulangerie, alléchés par l'odeur du pain cuit, ils en achètent deux ou trois. Tout le monde connaît cette frénésie d'achats qui vous fait débourser sans même songer au f'tour du lendemain. Demain sera un autre jour… de dépenses inutiles.On pouvait encore observer ces comportements dans un passé récent. Mais il semble bien qu'il y ait eu comme un ralentissement dans cette frénésie d'achats ces deux derniers Ramadhans. La baisse du pouvoir d'achat, inversement proportionnelle aux prix affichés par la mercuriale, en est la première raison. Le consommateur est revenu à la raison parce qu'il ne peut plus acheter. Il se voit obligé de réfréner ses envies s'il veut passer le mois de Ramadhan, faire face à l'Aïd et à la rentrée scolaire.A ce titre, un cadre de la Chambre de commerce soutient qu'«il faut insister sur une chose primordiale. Les Algériens n'ont pas ce self-control une fois qu'ils entament leurs courses. Parfois, sans le savoir, c'est eux qui favorisent la spéculation avec leur demande démesurée. Cela dit, il faut que le consommateur soit cultivé et orienté pour ne pas tomber dans le piège du ‘‘tout acheter''. Une situation qui gonfle les caisses des spéculateurs». Pour y remédier, le travail des associations des consommateurs est primordial. Leur action ne se limite pas à l'inspection des produits proposés, mais vise également la sensibilisation permanente des consommateurs, ce qui permettrait de réguler un tant soit peu le marché par le truchement de l'offre et de la demande où l'acheteur joue la fonction principale. Toutefois, cette situation n'est pas perceptible pour l'heure dans les différents souks et marchés des villes et villages. «A voir toute cette masse d'acheteurs qui vide les marchés à quelques heures seulement de la rupture du jeûne, on est obligé de se rendre à l'évidence et de conclure que les citoyens gèrent bien leur budget malgré la cherté… et donc les prix proposés seraient logiques», constate un père de famille. Ce n'est toutefois pas l'avis d'un autre citoyen qui met en relief les couches sociales algériennes qui ont été réduites à deux : celle des nantis et des nouveaux riches et celle des démunis avec une sous-catégorie qu'on nomme les bourses moyennes. «La dégradation du pouvoir d'achat n'affecte pas de la même manière toutes les familles. Celles qui ne vivent que de leur revenu mensuel font des calculs d'épicier pour parvenir à boucler le mois. Alors que dire des dépenses relatives au mois de jeûne !» devait-il exposer. Cet état de fait oblige les ménages à naviguer à vue en calculant au dinar près leurs dépenses. Ils sont ainsi amenés à préparer à l'avance le budget du Ramadhan, de l'Aïd, de la rentrée scolaire… Très souvent, ils doivent recourir aux prêts, à l'emprunt ou feront la file d'attente pour mettre au clou quelques bijoux afin de faire face aux dépenses occasionnées en pareille période. Par ailleurs, au fur et à mesure que des marchés se sont montrés instables et avec en prime un mode de vie plus ou moins métamorphosé nécessitant des dépenses à chaque circonstance, force est de constater que les Algériens, du moins les plus conscients de ces variations, limitent fortement leurs dépenses, voire se privent pour éviter le gouffre des créances. C'est l'apprentissage forcé de la gestion rigoureuse du budget familial. La répartition des frais est minutieusement étudiée.En somme, le pouvoir d'achat demeurant en panne en Algérie malgré toutes les tentatives de régulation des prix des produits de consommation et la hausse des salaires, les pères de famille algériens ont été forcés de s'adapter pour survivre : dépenser intelligemment…