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Divine coquetterie florale dans la désolation steppique
Palmeraie de Bou Saâda
Publié dans El Watan le 14 - 08 - 2011

Dans une contribution intitulée «Complainte d'une médina oasienne qui se meurt», publiée en janvier 2006 par le quotidien national El Watan, l'auteur attirait l'attention des pouvoirs publics sur l'état de décrépitude dans lequel se trouvait l'oued de cette cité plusieurs fois centenaire, jadis appelée Cité du bonheur. Depuis lors, beaucoup d'eau a coulé dans le lit de l'oued, vaisseau nourricier de cette palmeraie rendue féconde par la seule volonté d'hommes rudes et opiniâtres. Sinon, comment expliquer cette luxuriance dans une contrée presque désertique, où les dunes de sable se disputent l'espace à des monts rocheux pelés par l'aridité ? Le secret en est, sans nul doute, la présence providentielle de l'eau vive.
Saïd, enseignant de son état, en tenue estivale : gandoura légère, chapeau traditionnel de palme et lunettes de soleil, descend et remonte dans un rituel constant, la rampe qui dévale de l'hôtel Kerdada (ex-Transat) et qui mène vers «Laoulej», nom mythique d'un bout de paradis, jadis, «estivage» citadin. Situés au beau milieu de l'oued, ces jardins appartenant à de vieilles familles autochtones faisaient la fierté de la cité. Frais et profusément ombragés, ils arboraient plusieurs essences végétales étagées. La phœniciculture de prestige d'une dizaine de palmiers immensément hauts, l'arboriculture intercalaire, faite de rustiques figuiers et grenadiers, de vigne grimpante, de pêchers à l'arome sublime, de pruniers, de citronniers et d'abricotiers régnant en maître absolu, sont les apprêts végétaux de ce microcosme oasien.
Le mûrier était là, non pas pour les besoins de la soierie, mais pour le seul plaisir du palais produit par la mûre noire ou blonde. La culture de champ concernait l'assolement de diverses variétés maraîchères. La tomate, le piment, l'oignon et la fève constituaient les principales spéculations. Les aromates culinaires étaient en bonne place, le persil et ses senteurs rugueuses, le céleri, la menthe et autres lauriers. La courge grimpante est ce particularisme du potager saharien qui rend le couscous onctueux. L'olivier millénaire a trouvé son terrain de prédilection au «saf saf», là où le vallon s'ouvre sur le «R'mel» (dunes). Un carré ou deux sont, généralement, destinés aux foins (luzerne et vesce avoine) pour les besoins alimentaires de chèvres ou de vaches laitières.
La palmeraie a toujours pourvu la cité en laitage frais. Un us atavique faisait livrer le lait et les figues frais à domicile ; il suffisait de contracter un abonnement. La tomate, le piment, la fève et l'abricot de haute saison faisaient l'objet de séchage au soleil. Déshydratés, ils étaient stockés pour les besoins culinaires hivernaux. La maisonnette, occupée habituellement par le jardinier, servait parfois à la villégiature estivale du maître des lieux. Les gallinacés : poules, dindes et pintades, constituaient le rempart contre les scorpions et les reptiles venimeux.
La floraison et les senteurs printanières
Le chien, ce fidèle compagnon, prévenait des incursions malveillantes. Les sonorités allaient du jacassement des volées d'étourneaux, au crissement lancinant du grillon, en passant par le placide coassement du crapaud. Avant l'électrification, l'éclairage nocturne était assuré par le quinquet au carbure de tungstène dont la lumière blanche donnait un jour clair. L'odeur acre du carbure éteint par l'eau du dispositif révélait immanquablement sa présence. La floraison et les senteurs printanières éblouissaient par la symphonie des tons coloriés et des effluves lancinants. Les graciles fleurs blanches de l'abricotier ou rosacées du pêcher couvraient de leur robe nuptiale ces mariées du printemps rieur. Le pourpre oranger de la fleur de grenadier ajoutait à la palette sublime, une touche coloriée que nulle alchimie ne pouvait égaler.
La rose sauvage, outrageusement odorante, appelée localement «sueur du messager de Dieu», par allusion au prophète Mohamed (qsssl), renseigne sur la religiosité non feinte d'une communauté qui croyait tout autant au temporel par le labeur, qu'au spirituel par la symbolique. La présence de l'eau dans la seguia (canal) est perceptible à travers le clapotis des dérivations artisanales. Le tour d'eau régenté de manière coopérative donnait à chaque parcelle sa juste part. Les superficies de cette corne d'abondance ne dépassaient guère les deux ou trois ares en moyenne chacune. Ces lopins de terre en terrasses acquis sur le piémont nord du Kerdada, contrefort de l'Atlas saharien central et sur la berge opposée, furent constitués par les seuls bras de l'homme et de l'échine du baudet. Un ingénieux procédé utilisait des nacelles d'alfa en portefeuille (appelé zenbil) qui, posé ingénieusement sur le dos de l'animal, constituait deux contenants pouvant prendre jusqu'à 1m3 de bonne terre.
La pierraille, quant à elle, était chargée dans des arceaux de bois ajourés et accrochés par-dessus l'échine de l'animal. L'homme et la bête unirent leurs énergies pour ramener la terre végétale, parfois de loin, la terrasser pour enfin la stabiliser par un mur de soutènement atteignant les 5 à 6 mètres de haut. L'accès aux petites propriétés n'était jamais frontal, mais dérobé dans des venelles perpendiculaires pour éviter les furies saisonnières du cours d'eau. Les grossières portes, faites en poutre de palmier, fermaient par des loquets en bois. Les clôtures de voisinage, pas souvent élevées, se résumaient à une murette de toub (brique de terre séchée) ou à une haie de figuiers de Barbarie.
Le khemas (exploitant), terme rendu péjoratif par l'époque socialisante, était considéré comme membre de la famille du propriétaire. Ce dernier ne tirait pas de grands profits matériels, sauf peut être le privilège d'être possédant. Les outils traditionnellement utilisés sont généralement : une houe plate, une houe à dents, une faucille, un couteau à greffons, une gouffa (corbeille d'alfa) pour le composte et des soualas (petite corbeille à anse) servant à livrer les fruits de saison. Ces dernières, tapissées de feuilles de figuier, recevaient les grappes de raisin ou les figues fraîches ; leur apparition annonçait la kharfia (primeur automnale). Les deux arbres que la providence divine avait sexués comme l'homme sont le palmier et le figuier.
La main de l'homme doit intervenir pour leur pollinisation : le premier par le saupoudrage de poussière du «djebar» et le deuxième par sustentation d'un chapelet de figues mâles sur l'arbre porteur. A sa mort, le palmier étêté donnait, à partir de son bulbe, un nectar sirupeux de couleur blanchâtre appelé localement lagmi. Les jeunes générations n'auront pas eu la chance d'y goûter et quel dommage ! La disparition, par défection des grimpeurs, a confiné le majestueux palmier à une lamentable relique.
Pollution
L'eau vive de l'oued, issue de plusieurs sources qui sourdent depuis Dermel (El Hamel) et les piémonts du Djebel Messaâd, a constitué la source de vie pour la subsistance de plusieurs générations. Ponctionnée de part et d'autre de l'oued, l'eau sera drainée par les deux seguias longeant les rives droite et gauche. Ces dernières, tantôt discrètes, tantôt apparentes, parcourent les jardins sur une distance de 7 ou 8 km pour rejoindre le lit et disparaître avec lui au Maâdher, ancien grenier céréalier de Arch Bou Saâda. L'eau est encore cette énergie qui a fait tourner les aubes des moulins à grains, implantés le long du parcours hydrique. Les crues boueuses riches en limon iront toujours constituer l'épandage du généreux terreau où quelques sâ'a (équivalent de 140 kg) de grains peuvent être récoltés.
Faite de respect mutuel, la symbiose de la nature avec l'homme était bien là. L'eau pérenne, que nulle pollution ne venait rendre dangereusement putride, servait à l'irrigation, l'abreuvement des animaux et aux besoins domestiques (blanchissement de la laine). On utilisait un dégraissant tellurique proche de la glaise dont l'innocuité sur l'environnement était avérée. Les petits étangs (gueltas) à l'eau claire servaient à l'apprentissage de la natation aux petits galopins. Les nuits d'été éclairées par la lune étaient l'occasion pour les ombres furtives des jardins de «faire la noce» en toute occasion. Les fêtes de mariages, circoncisions ou fenaisons étaient souvent signalées par le son nasillard de la ghaïta qui trouait la quiétude nocturne par vagues sonores récurrentes. Le tout-à-l'égout, qui n'existait pas encore, faisait que l'environnement de l'oued était vierge de toute contamination.
Les foyers de la médina, qui disposaient de fosses septiques vidangées épisodiquement, pourvoyaient à la fertilisation azotée de la palmeraie par le compostage. Qui pouvait mieux que l'homme et le baudet s'acquitter de cette tâche, d'apparence rebutante, mais combien noble ? Ils ont fait reculer par leur archaïsme, l'échéance fatidique du viol de la nature par les miasmes biologiques et chimiques constatés aujourd'hui. Protégées longuement par la nature même du terrain, les berges de l'oued cédèrent sous les convoitises foncières de la période post-indépendance. L'engouement pour le logis individuel fit implanter des demeures sur le sommet de la falaise de la rive gauche, supposée inviolable. Et de là, les eaux putrides firent le reste.
La première flambée épidémique de choléra fit son apparition au mois de Ramadhan 1975, faisant plus de cent victimes dont 4 décès ; elle eut pour point de départ la contamination de la seguia de la rive droite. Vint ensuite le peuplement de nouveaux quartiers qui défigurèrent le paysage par la mise à mort de la zone d'expansion touristique (ZET). Le tout couronné, en amont, par une décharge publique dite «contrôlée», fumante.

Note :
1) Ode célèbre de cheikh Smati, barde des Ouled Djellal


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