Le ministre des Affaires étrangères israélien, Sylvan Shalom, a engagé une action diplomatique offensive en direction de l'Europe, commencée en France, avant de se poursuivre en Italie et en Allemagne. Programmée à la dernière minute, la visite à Paris, mardi dernier de Sylvan Shalom avait pour objet déclaré « l'inquiétude israélienne » face à la recrudescence des agressions touchant des juifs français. Le chef de la diplomatie israélienne s'est dit mardi « très heureux que la France mène maintenant le combat contre l'antisémitisme ». Toutefois, « si les déclarations sont très importantes, les actions le sont aussi », a ajouté le ministre israélien. « Nous aimerions que ces prises de position permettent d'envoyer un signal fort à ceux qui sont en charge de l'autorité judiciaire, afin qu'ils punissent ceux qui commettent ces agressions ». C'est le premier déplacement en France d'un responsable israélien depuis la polémique suscitée par les propos tenus par le Premier ministre israélien Ariel Sharon en juillet dernier. Le Premier ministre israélien Ariel Sharon invitait, dimanche 18 juillet, les juifs français à émigrer « immédiatement » en Israël en raison de « l'antisémitisme déchaîné » qui sévirait en France depuis les attentats du 11 septembre. Ariel Sharon, qui s'exprimait devant des représentants d'associations juives américaines, avait soutenu « Aujourd'hui en France, à peu près 10% de la population sont musulmans, ce qui permet l'essor d'une nouvelle forme d'antisémitisme fondée sur des sentiments anti-israéliens. » « Si je devais m'adresser à nos frères de France, voilà ce que je leur dirais : immigrez en Israël aussi vite que possible », ajoutant qu'il dirait « la même chose à tous les juifs du monde ». En février 2002, Sharon parlait de la France, où les juifs pourraient se retrouver « en danger du fait de la présence de six millions d'Arabes ». Le 6 janvier 2002, le vice-ministre des Affaires étrangères israélien, Michael Melchior, avait estimé que « la France est le pire des pays en matière d'antisémitisme ». Un mois plus tard, le 20 février, M. Sharon avait annoncé « une très dangereuse vague d'antisémitisme » en France et avait annoncé que son gouvernement se livrait « à tous les préparatifs » pour recevoir les juifs de France. Ariel Sharon ne cherche-t-il pas en réalité à obtenir une augmentation de l'émigration juive française vers Israël ? Son ministre des Affaires étrangères le confirmait mercredi à Paris quand il affirmait que l'Etat d'Israël appelait en permanence les juifs du monde entier à faire leur « Aliya », mais que c'était un choix personnel. Le gouvernement israélien appuie les actions de l'Agence juive pour l'immigration qui multiplie les campagnes de promotion et les aides à l'installation en Israël. La situation démographique israélienne est préoccupante. Depuis 1948, 70 000 juifs ont quitté la France pour Israël. Le nombre de ces immigrants a baissé en 2003 avec 2313, contre 2566 en 2002. Les déclarations alarmistes des dirigeants israéliens n'ont pas pour autant suscité un flux de départs massifs de juifs français vers Israël, voire elles ont tout au plus suscité un malaise au sein de cette communauté. Le président de l'Union des étudiants juifs de France (UEJF), Yonathan Arfi, réagissant aux propos d'Ariel Sharon déclarait que « la France n'est pas un pays antisémite et Sharon règle des comptes avec la France à travers la question de l'antisémitisme ». Rôle de l'Europe L'appel « Une autre voix juive », qui regroupe des personnalités juives solidaires du peuple palestinien, a estimé, mercredi 21 juillet, que le Premier ministre israélien « spécule sur la sensibilité légitime des citoyens juifs au fait israélien pour les détourner des valeurs de la citoyenneté au bénéfice d'une idéologie nationaliste et d'un racisme anti-arabe ». Ariel Sharon, ajoute le communiqué, « attise l'antisémitisme en espérant l'exploiter au profit de l'Etat d'Israël, engagé plus que jamais dans une politique de négation des droits du peuple palestinien, avec laquelle de très nombreux citoyens français juifs ou d'origine juive sont en profond désaccord ». L'alarmisme israélien quant aux agressions contre les juifs de France et les accusations portées contre les musulmans de France ne seraient-ils pas aussi une forme de pression sur l'Etat français pour l'amener à revoir sa politique au Proche Orient ? Ces mêmes accusations d'antisémitisme n'ont-elles pas été portées contre l'Union européenne, jugée par Israël d'être, tout comme la France, pro-arabe ? Aux jeux des Israéliens, la France est à l'avant-garde de cette « politique pro-arabe européenne ». Pour le règlement du conflit israélo-palestinien, Ariel Sharon veut une solution israélo-américaine, voire un alignement de l'Europe sur Washington. « Les Européens peuvent avoir un rôle plus important dans le processus de paix... Nous pensons que ce processus doit être conduit par les Américains, avec une participation européenne » a souligné le ministre des Affaires étrangères israélien, Sylvan Shalom, dans une interview au Figaro (édition de vendredi). Interrogé sur ses entretiens avec son homologue français, Sylvan Shalom a déclaré : « Nous avons évoqué le vote prochain à l'Assemblée générale de l'ONU sur la clôture de sécurité. Il est très important pour nous que les pays européens ne votent pas, comme ils l'ont fait il y a quelques semaines, en faveur d'une résolution palestinienne condamnant cette clôture. Nous avons été très surpris par ce vote parce que plusieurs pays nous avaient dit qu'ils s'abstiendraient. » Et d'ajouter : « J'ai dit à M. Barnier que les Européens nous disent toujours : “Parlez aux Français. S'ils vous soutiennent, les autres vous soutiendront.” C'est ce que j'ai fait. Je l'avais fait avec Dominique de Villepin et nous avions obtenu à l'époque que les Européens s'opposent à ce que la Cour internationale de justice de La Haye se prononce sur cette question. Demain, j'en parlerai à Rome avec mon homologue italien et ensuite je recevrai Joshka Fisher, le ministre allemand. » Pour sa part, le ministre des Affaires étrangères français, Michel Barnier, a souligné : « La France et l'Union européenne sont fermement attachées à l'objectif de la feuille de route : deux Etats vivant en paix côte à côte dans la sécurité. » Le ministre a insisté pour que « soit reconnu et consolidé » le rôle de l'Union européenne dans la réussite du processus de paix.