Existe-t-il une réelle volonté de réforme chez les décideurs ? Pas si sûr. Du moins, c'est l'avis de Abdelhamid Mehri. «Jusqu'à présent, je ne perçois aucune volonté de changement chez le régime qui serait à la hauteur du désir exprimé par tous les Algériens pour des réformes allant dans le sens du changement global du système de pouvoir, car il s'agit de changement et non pas de réforme», a affirmé l'ancien secrétaire général du FLN. Cependant, il a exhorté toutes les catégories sociales «à bouger et rendre le changement inéluctable et de ne plus se contenter de le revendiquer». Abdelhamid Mehri a estimé, lors des débats organisés dans la soirée de jeudi par Algérie News à Alger, que le changement doit être «global et l'œuvre de toutes les forces politiques nationales, sans exclusion». Certes, «le Président, seul, peut engager des réformes, mais celles exigées par la société consistent à changer tout le système avec ses règles de fonctionnement, une implication de tous les Algériens, car il s'agit de construire la maison commune qui est l'Algérie», a-t-il ajouté.Et si le pouvoir s'obstine à s'opposer à cette aspiration, «il maintiendrait les horizons de l'Algérie bloqués. Le changement est une nécessité et une urgence, car le système du pouvoir actuel s'est avéré incapable de résoudre les problèmes présents et à venir du pays», a estimé A. Mehri. Pour expliquer cette impasse dans laquelle se trouve l'Algérie, Abdelhamid Mehri remonte dans le passé, la guerre de Libération nationale. «Nous avons un passé très riche que nous n'avons, malheureusement, pas su capitaliser. On passe notre temps à glorifier Novembre, sans donner un sens à la révolution algérienne. Cette œuvre historique n'a pas été suffisamment analysée en tant qu'expérience politique militante pour comprendre les raisons de son triomphe. L'étude de la révolution a été réduite aux itinéraires des personnes, ce qui reviendrait à la minimiser», regrette celui qui fut ministre des Affaires nord-africaines dans le premier gouvernement du GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne). Lucide et perspicace, Abdelhamid Mehri a estimé que la révolution était une expérience rassembleuse de tous les Algériens avec un projet sain traduisant l'aspiration du peuple pour l'instauration d'un Etat démocratique et social. A l'indépendance, nous sommes passés d'une stratégie de rassemblement à celle de la sélection. Depuis 1962, le système est bâti sur cette stratégie. Conséquence : un régime incapable d'ouvrir des perspectives nouvelles pouvant permettre un progrès politique et social. Au plan politique, «nous ne pouvons pas dire que nous avons un système démocratique. D'apparence, il y a des institutions démocratiques, mais complètement vidées de leur substance, la liberté d'expression n'est qu'une façade», a tonné M. Mehri Une politique étrangère déphasée Le blocage politique interne déteint sur la politique étrangère de l'Algérie.Alors que les peuples arabes contrebalancent leurs régimes despotiques et que les rapports internationaux se redessinent, le poids de l'Algérie s'est avéré insignifiant. Avec sa situation actuelle, l'Algérie peut-elle faire face à ces bouleversements ? «Je ne le pense pas», tranche M. Mehri. «Notre perception de la politique étrangère est fausse. Ce n'est pas le Président qui met en place une politique étrangère, son rôle est de l'exécuter. Elle doit être le fruit d'un consensus qui exprime un sentiment largement partagé par toute la société», a-t-il critiqué. Et d'affirmer que la faiblesse du poids de l'Algérie et le fait qu'elle n'occupe pas une position importante «sont le résultat d'une politique étrangère non étudiée». L'attitude de l'Algérie officielle vis-à-vis des révoltes arabes est symptomatique de ses errements diplomatiques. «Nous devons soutenir et sans équivoque les mouvements de changement dans le monde arabe, il faut dénoncer l'utilisation des armées. Je ne vois pas comment construire l'Union du grand Maghreb avec El Gueddafi. La position de l'Algérie doit être claire, et si les responsables se sentent gênés, là c'est autre chose», a-t-il encore soutenu. Un révolutionnaire ne peut être que du côté des révolutionnaires. M. Mehri a critiqué également la manière avec laquelle l'Algérie gère ses relations avec la France. «Nous ne connaissons pas notre politique vis-à-vis de la France. Il ne suffit pas de faire des discours.» Pas que cela. «L'Algérie doit clarifier sa position par rapport à la question palestinienne, elle doit avoir une politique audacieuse vis-à-vis de l'Union du Maghreb. Toutes ces questions nécessitent un débat national et doivent rassembler tout le monde autour des grandes lignes. Les discours ne suffisent plus», a martelé celui qui était ambassadeur de l'Algérie en France ensuite au Maroc. A 85 ans, l'ancien centraliste n'a rien perdu de sa fougue révolutionnaire et ne désespère pas de voir se réaliser le rêve pour lequel sa génération s'est battue. Il appelle de ses vœux à la réappropriation des valeurs de Novembre. La construction d'un véritable Etat démocratique et social.