Stade scolaire bondé de monde, public en totale communion, comblé de bonheur, Lounis Aït Menguellet ne pouvait espérer mieux pour clôturer, à Béjaïa, une tournée qui lui a permis de semer la joie là où il est passé. Organisé dans la soirée de jeudi dernier par le comité des fêtes de la ville de Béjaïa, son gala est venu effacer une frustration subie par son public après l'annulation d'une première soirée programmée par une boîte privée, surprise par l'envahissement de terrain lors du premier rendez-vous du programme. Dans la soirée de jeudi, l'accès étant gratuit, l'envahissement était celui des émotions. Le rendez-vous annoncé, sur les affiches, pour 21h30, les familles ont dû finir de digérer sur une chaise ou debout au milieu du stade. «J'étais là à 21h, je n'ai trouvé aucune chaise disponible, c'est à croire que les gens ont rompu le jeune ici même», se plaint un père de famille. Il faut dire que cela fait presque quatre ans qu'Aït Menguellet n'a pas chanté à Béjaïa. L'attente a été longue et sa venue vaut bien de s'arracher à la table du f'tour pour les personnes venues de la vallée de la Soummam. 22h20. Chemise noire et pantalon classique marron, Aït Menguellet, 61 ans, monte sur scène. Standing-ovation. Youyous et… des découvertes. «C'est donc celui-là Aït Menguellet ?» chuchote, dans l'oreille de son camarade, un adolescent, les yeux dévisageant de loin l'artiste, et visiblement ravi de mettre un visage sur le nom du poète kabyle qui fête ses 44 ans de carrière. Une nouvelle génération, donc au tableau de chasse. Bien loin les prestations aux seuls sons de la snitra, guitare sèche, et de la derbouka. Sur scène, neuf musiciens accompagnent le chanteur, dont son fils Djaffar et l'infatigable Saïd Ghezli au bendir. «Saha lfadhour nwen, j'espère que nous allons passer un bon moment. C'est avec une grande joie que nous sommes ici parmi vous. Cela fait longtemps que je ne suis pas venu à Bgayet et j'espère que ce ne sera pas la dernière.» Pas très bavard, Aït Menguellet prend juste le temps des gentillesses avant d'entamer son gala. Plutôt non, il faudra un autre geste qui l'a toujours accompagné sur scène comme un rituel : le pied droit posé sur une chaise pour porter sa guitare. L'entame se fera avec Izurar idurar, une chanson enregistrée en 1993 pour rendre hommage aux villages kabyles que le poète décrit comme des colliers ornant des montagnes majestueuses. «Quatre-vingt-dix-neuf balles/La centième t'attend/Ô voyageur de nuit !», chante Lounis dans un refrain de Iminig g id (témoin de la nuit) avant de gratifier son public d'un retour à la belle époque des années 70, le temps des 45 et 33 tours : Telt yam, une chanson vieille de 36 ans, qui n'a pris aucune «ride». Tout comme Achal i hedraγ fellam (J'ai tant parlé de toi), Sevr ay ul-iw (Patience mon cœur) qui, en plus d'avoir constitué deux perles des années d'or de l'artiste, ont, pendant cette mémorable soirée de jeudi, enivré de bonheur jeunes et moins jeunes, femmes et hommes. Des pères de famille, que l'on ne soupçonnait pas de pouvoir défier le poids de leur âge, ni même celui de leur bedaine, ont dansé comme de petits joyeux sur les airs de bien des titres. Tout comme l'ont fait des jeunes garçons qui se sont initiés à l'exercice laborieux des youyous. Ur yetsadja, Tekesm lmehna, D nuva-k frah, Takvaylit, complètent la première partie du spectacle qu'Aït Menguellet termine avec JSK, qui met le stade en effervescence. Le temps d'une courte pause et on reprend le voyage dans le temps. Minuit pile, Lounis chante Etes etes (dors) face à un public qui n'en a pas encore envie, pas avant de savourer Lkhodja, Arach negh, Avarwaq, Ouiza, Ammi. .. 12h35, Ketchini ruh signe la fin du spectacle. Aït Menguellet quitte la scène comme il l'a gagnée : sous une standing-ovation. «C'est un public tout simplement exceptionnel. Franchement, je m'y attendais un peu parce que c'est un public que je connais bien. C'est vrai que ça fait un moment que je ne suis pas venu, mais je sais qu'à chaque fois, c'est le même plaisir. Un public aussi nombreux ce n'est pas tous les jours, je suis donc vraiment très satisfait», répond Lounis Aït Menguellet à une question d'El Watan lors d'une brève rencontre avec des journalistes à la fin du gala. Du nouveau en perspective ? «Franchement, je ne sais pas. Tant que l'inspiration n'est pas venue, je ne peux pas m'avancer», répond-il à une autre de nos questions.