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Pourquoi l'Algérien est-il agressif ?
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Publié dans El Watan le 28 - 08 - 2011


Introduction
Il est connu et reconnu que l'Algérien est agressif dans ses actes et dans son verbe par rapport à ses homologues tunisiens ou marocains, pour ne citer que ses voisins les plus proches historiquement, sociologiquement et anthropologiquement. Et quand je dis «l'Algérien», ne croyez pas que je mets tout le monde dans le même sac. Il y a bien sûr des Algériens qui ne sont pas agressifs et qui sont même très respectueux de la discipline et des règles fondamentales qui régissent les relations sociales.
Cependant, l'on est obligé de constater que le nombre de ceux qui sont agressifs a tendance à augmenter d'année en année en quantité et en formes d'agressions. Certains rétorqueront par la question : «Mais combien sont-ils les agressifs et combien sont-ils ceux qui ne le sont pas ?» A ceux-là, je réponds que la question n'est pas de savoir si les agressifs sont majoritaires ou minoritaires, la question est que le nombre d'agressifs et les formes d'agressivité ont une tendance nette à l'accroissement. Nous n'essayerons donc pas de répondre à cette question subsidiaire. Les vraies questions sont plutôt :
(1) Comment se manifeste cette agressivité ?
(2) d'où vient-elle ?
Comment se manifeste cette agréssivité?
Cette agressivité, on la constate à tous les niveaux de la société et dans toutes les activités de la vie sociale. Notre objectif n'est pas bien sûr de faire une analyse exhaustive de toutes les formes d'agressivité – ce qui justifierait un long article séparé, voire plusieurs. Notre but est de montrer que ce mal qui ronge la société algérienne a tendance à augmenter avec tous les effets qu'il a sur la tranquillité de nos citoyens et sur leur désir de rester dans leur pays ou de le fuir comme cela est le cas pour un nombre de plus en plus grand d'entre eux.
L'agressivité commence à la maison. Les relations entre les membres de la famille ne sont pas toujours des relations de respect mutuel. L'agressivité existe entre les parents et leurs enfants. La manière la plus courante pour les parents d'obtenir que leurs enfants exécutent quelque chose – quel que soit ce quelque chose – est d'élever la voix au minimum et de battre leurs enfants au plus haut degré. La réciproque est vraie : pour que les enfants obtiennent une quelconque autorisation de leurs parents, ils sont souvent obligés d'élever la voix ou de recourir à la force.
L'agressivité se manifeste aussi entre mari et femme. La femme algérienne est, dans beaucoup de cas encore, considérée comme un sujet qui doit exécuter et se taire. Le mari étant considéré dans le droit musulman algérien comme le chef famille, la relation entre lui et sa femme est souvent à sens unique, le mari étant le seul à commander, ce qui est souvent une source d'agressivité lorsque les ordres ou les décisions du mari ne sont pas exécutés. Certains diraient ici encore que les choses ont évolué. Certes, mais les relations entre couples algériens, dans la majorité des cas, sont encore basées sur ce rapport de force favorable au mari.
Les cas extrêmes d'agressivité sont les violences faites aux femmes ou aux enfants et qui sont encore largement monnaie courante dans notre société.Il y a aussi l'agressivité qui se manifeste quotidiennement dans la rue. Vous conduisez tranquillement lorsque quelqu'un vous double ou vous croise en vous insultant. Autre cas : quelqu'un arrête son véhicule au beau milieu de la route pour discuter avec un ami sans se soucier des autres véhicules dont il gêne le passage. Et lorsque vous klaxonnez pour lui demander de libérer le chemin, il est capable de vous insulter ou de vous agresser. Je vous dois une anecdote que j'ai vécue : un jour que je passais du côté de l'ancien tribunal de Béjaïa, j'étais témoin d'une scène : deux garçons étaient en train de tabasser une jeune fille pour lui prendre son sac.
Ayant vu la fille tomber à terre, je vais voir un des deux policiers qui assuraient la circulation au niveau du rond-point de l'ancienne poste de Béjaïa. Je lui ai expliqué ce qui s'est passé. Le policier fait la moitié du chemin vers l'endroit où la jeune fille était étendue puis rebrousse chemin sans rien faire. Ayant vu ce spectacle, j'ai appelé deux jeunes gens à la rescousse et nous avons mis la fille hors de danger. Ce type d'agression, notamment contre les filles, est malheureusement encore très fréquent dans nos rues et places publiques. Dans le monde du travail, les agressions ne manquent pas. Il y a bien sûr les agressions horizontales entre co-travailleurs qui ne sont pas d'accord sur le partage des tâches. Il y a les agressions verticales entre les travailleurs et leurs superviseurs hiérarchiques pour des questions professionnelles ou salariales.
Les agressions les plus importantes – mais qui demeurent largement invisibles – prennent la forme de harcèlement sexuel. C'est une pratique courante entre les managers et leurs employées (je dis bien employées avec «es») mais elles ne sont pas encore considérées dans le droit algérien et dans le contexte social algérien comme des agressions et des crimes. Elles sont même tolérées et ne donnent presque jamais lieu à des poursuites administratives et judiciaires. Un autre type d'agressions se produit dans les administrations (APC, daïra, wilaya, etc.). Ce type d'agression intervient lorsque des citoyens se présentent dans une de ces administrations pour y établir des papiers d'état civil. C'est un paysage fréquent que de voir des citoyens avoir des interactions agressives avec les employés de ces administrations, et vice-versa, et dans certains cas, d'en venir aux mains. Je vous dois ici aussi une anecdote vécue : je me fais établir une fiche familiale d'état civil dans une mairie à Béjaïa.
En sortant de la mairie et en vérifiant les indications contenues dans la fiche familiale, je constate qu'il y a une erreur sur la date de naissance d'un de mes enfants. Je reviens voir l'agent qui a établi la fiche pour m'en délivrer une nouvelle avec la bonne date de naissance. L'agent m'indique qu'il suffit qu'il corriger la date et qu'il mette le cachet de son service et le problème est réglé. Je lui explique, à mon tour, que cette fiche doit faire partie du dossier de demande de renouvellement de mon passeport et que la daïra n'acceptera pas une fiche raturée. L'agent me répond qu'il a l'habitude de travailler avec la daïra et qu'il n'y aura pas de problème. Je prends la fiche raturée et cachetée et je quitte la mairie.
En vérifiant encore une fois les indications de la fiche, j'ai constaté qu'une autre erreur – cette fois-ci sur le nom d'un de mes enfants – a été commise. Je reviens voir l'agent et lui dit que ce n'est pas normal que sur une seule fiche il y ait deux erreurs. L'agent refuse de me parler et d'établir une nouvelle fiche. J'appelle alors le chef de service qui arrive 10 minutes plus tard. J'explique alors ce qui se passe. Le chef de service demande à un autre agent d'établir une nouvelle fiche et a appelé dans son bureau l'agent qui a refusé. Ce type d'agressions – qui se terminent tantôt bien, tantôt mal – est malheureusement quotidien dans nos administrations.
Le dernière type d'agression – qui n'est pas la moindre – est celle rencontrée pendant le mois sacré du Ramadhan. En principe, le Ramadhan, outre le fait de jeûner, est un mois de respect d'autrui, de pardon et de solidarité avec les moins nantis. Au contraire, c'est pendant cette période que ces valeurs universelles, intégrées par l'Islam, sont les plus bafouées. Conduite à toute vitesse et dans tous les sens, stationnement en pleine route ou sur les trottoirs, encombrement de voitures au moment des prières, rendant la circulation impossible, et bien sûr, escarmouches et bagarres en plein jour entre clients et commerçants, entre automobilistes, etc. Toutes les formes d'agressions indiquées ci-dessus ne sont qu'un échantillon de toutes celles qui sont perpétrées quotidiennement. La question que l'on doit poser maintenant et à laquelle nous tenterons de répondre est la suivante : d'où viennent ces agressions ?
D'ou viennent ces agréssions?
Les différentes formes d'agressivité décrites ci-dessus trouvent leur origine dans diverses institutions sociales allant de la famille, du système éducatif, du système politique au système économique existant depuis l'indépendance.
La première source et cause de l'agressivité est la cellule familiale. C'est la fondation de la personnalité et du devenir des enfants. Autrefois, la famille procurait les bases de l'éducation des enfants : respect des parents et des autres membres de la famille, respect des voisins, respect des enseignants, respect des personnes âgées, aide aux personnes handicapées, etc. Toutes ces valeurs sont en train de disparaître l'une après l'autre pour être remplacées par leurs contraires. Les familles – notamment les familles nombreuses – souvent pour des raisons économiques – ne se sentent plus responsables et capables de transmettre à leurs enfants toutes ces bonnes valeurs. Les enfants ainsi abandonnés à eux-mêmes s'adonnent alors à diverses activités négatives (drogue, vagabondage, vols, viols et commerce de toutes sortes). Dans ce sillage, ils commettent des agressivités contre les autres citoyens, notamment ceux qui sont les plus fragiles : les personnes âgées et les femmes. Le raisonnement de beaucoup de familles aujourd'hui – parfois même de celles qui sont instruites – est que c'est à l'école et non à la famille d'éduquer les enfants. Pour elles, la famille a pour tâches principales de nourrir, vêtir et loger les enfants et que c'est l'école qui doit s'occuper de former leur manière d'être et de vivre. Il y a donc un transfert anormal de responsabilité de l'institution familiale vers l'institution éducative.
La seconde source d'agressivité est le système éducatif lui-même. Ce dernier – qui a pour mission de former l'esprit de l'enfant et de lui donner les outils scientifiques et techniques pour lui permettre d'affronter la vie, avec tout ce qu'elle comprend de contraintes – ne remplit plus son rôle. Les raisons à cela sont multiples : insuffisances en quantité et en qualité des enseignants, insuffisances infrastructurelles de toutes sortes, nombre d'élèves augmentant selon une progression géométrique par rapport aux deux facteurs précédents, absence de relations entre l'école et la réalité économique et sociale nationale et internationale, impact des nouveaux médias de la communication (Internet, mobile, etc.), absence d'ouverture sur le monde, notamment pour les jeunes, absence d'activités culturelles, scientifiques et sportives. Les choix des jeunes Algériens sont limités à la mosquée, les harraga, ou autres activités perverses (drogue, vols, viols, vagabondage, etc.). Dans ce contexte, les jeunes sont comme le gaz dans une bouteille à gaz : dès qu'il y a possibilité de fuir, ils la saisissent pour sortir de l'étouffement dans lequel ils se trouvent. La troisième source d'agressivité est le système politique. Cela bien entendu remonte à la période coloniale, où l'Algérien était privé de toute expression et de toute opinion politique. Et cela s'est poursuivi après l'indépendance avec tous les gouvernements qui se sont succédé à ce jour. Cela n'est d'ailleurs pas mieux aujourd'hui avec le soi-disant multipartisme qu'à l'époque du parti unique. A cause du système politique, les jeunes sont complètement dépolitisés. Ils ne s'intéressent plus à ce qui se fait ou se passe chez eux, mais plutôt à tout ce qui se passe ailleurs. Leurs discussions ne portent pas sur l'Algérie mais sur les révolutions tunisienne, égyptienne, syrienne, yéménite, etc. Ils sont tous branchés sur leur téléphone portable, leur parabole et les réseaux sociaux comme Facebook, You Tube, etc. N'ayant pas droit au chapitre politique, ils manifestent leurs frustrations en se révoltant de temps à autre et en cassant tout ce qui peut représenter l'Etat. Ce qu'on appelle aujourd'hui le terrorisme est, en partie– je dis bien en partie – une résultante de ces frustrations d'ordre politique.
La dernière source d'agressivité est constituée par les systèmes économiques appliqués depuis l'indépendance. Cela a commencé avec le système dit «socialiste» – qui n'avait de socialiste que le nom – où seuls les groupes appartenant au parti unique avaient le droit au chapitre économique : tout poste gouvernemental et administrait en général, toute possibilité d'ouvrir un business (au sens étymologique du terme) ou d'obtenir un prêt bancaire ou d'investir étaient soumis à l'adhésion au parti unique. Cela s'est poursuivi ensuite depuis les années 1980 – période supposée être une ère d'ouverture et de liberté d'affaires – où ce sont toujours les administratifs (je dis bien administratifs et non administrateurs, car je réserve ce dernier terme aux vrais «managers» ayant une vision et des compétences réelles) et les mandataires qui ouvrent ou ferment les portes des postes de travail et des affaires. Dans ce contexte, les jeunes n'ont comme seul choix ou le chômage permanent pour ceux qui sont résignés, ou la révolte de rue pour ceux qui n'en peuvent plus. On va bien entendu me dire que l'Etat a mis en place des mécanismes du type Ansej, CNAC, Angem – renforcés à la suite des révoltes tunisienne et égyptienne – mais il ne s'agit là que de solutions à court terme n'ayant aucun impact réel sur le chômage des jeunes à moyen/long termes. Avec ces mécanismes, l'Etat applique le fameux proverbe kabyle : quand le loup (entendez l'Etat) ne sait plus quoi faire, il cherche les petites bêtes (traduction du kabyle : Mararient iwouchen, itsqliv iveouchen).
A cela, il faut ajouter que l'économie est en situation de stagnation et de stagflation depuis les années 1980 et que depuis, aucun investissement public ou privé d'envergure n'est venu relancer la croissance de la production et des services – sauf les services appartenant à ce que j'appelle la «fast food industry» et qui ne poussent les Algériens qu'à consommer – et à dégonfler la bulle de chômage qui s'est constituée et accentuée ces dernières années.
CONCLUSION
En conclusion, on peut dire que pour réduire cette agressivité dans toutes les formes décrites précédemment, sans parler de l'agressivité due à la nature du climat qui caractérise les pays méditerranéens – je ne dis pas l'annihiler complètement – il faut agir sur les quatre facteurs que nous jugeons à l'origine de cette agressivité : la famille, le système éducatif, le système politique et le système économique. Des réformes de fond doivent concerner chacune de ces institutions afin qu'elles redonnent confiance aux Algériens, notamment aux jeunes et qu'elles refocalisent les Algériens sur ce qui se passe chez eux avant tout – ce qui n'exclut pas bien entendu une ouverture sur ce qui se passe dans le monde. Ce n'est qu'à cette condition que l'Algérien retrouvera discipline, sérénité et confiance en lui-même et en son pays. Est-on prêt à relever ce challenge, la question reste posée.Dr A. I.
(*) Professeur d'économie
et de marketing
Master of Arts in Francophone Literature


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