R�pondant � un de mes articles pr�c�demment publi� par Le Soir d�Alg�rie(20 juillet 2008), Chafik Mesbah se r�clame de l�autorit� de Max Weber, sociologue allemand (n� en 1864, mort en 1920), pour me rappeler que l�homme de science doit s�en tenir � ce que le fondateur de la sociologie politique moderne appelle la �neutralit� axiologique�. Je me r�jouis de cette r�f�rence et de l�ouverture sur la pens�e scientifique moderne, � condition de ne pas faire un usage partiel et partial des p�res fondateurs de la sociologie. Il faut aller avec eux au fond de leurs probl�matiques pour analyser la r�alit� sociale. C�est ce que je vais faire en guise de r�ponse � Chafik Mesbah, en utilisant la grille conceptuelle de Max Weber pour esquisser une r�flexion sur les contradictions du r�gime alg�rien. Auparavant, je rappellerais le lien entre l�absence de d�bat scientifique et le refus d�un pouvoir universitaire, avant de souligner l�h�ritage de la guerre de Lib�ration dans la gen�se du r�gime, pour ensuite introduire la probl�matique de Max Weber � la r�alit� sociopolitique alg�rienne, et conclure par une r�flexion sur l�acteur et le syst�me. Le refus du pouvoir universitaire Il faut reconna�tre � Chafik Mesbah le m�rite de vouloir animer un d�bat sur le mouvement national et la place de l�arm�e dans la construction de l�Etat apr�s l�Ind�pendance. Il occupe un espace dans les m�dias pour montrer que les universitaires ne remplissent pas leur mission, celle d�animer des d�bats scientifiques au b�n�fice du public. Il cherche � jouer le r�le de l�intellectuel organique en produisant un discours id�ologique sur le pass�, en racontant des narrations �piques, essayant de mettre l�histoire au service du r�gime pour combler son d�ficit de l�gitimit�. Certaines parties de son discours sont incontestables : le mouvement national �tait anim� par des militants sinc�res, dont certains sont des h�ros. Sur ce point, personne ne le contredira. La Nation doit � ses h�ros la reconnaissance qui leur est due, et il faut surtout enregistrer leurs t�moignages pour pr�server la m�moire pour les g�n�rations futures. Mais l� o� sa d�marche est contestable, c�est qu�il r�duit l�histoire aux intentions g�n�reuses des acteurs, d�filant comme une galerie de portraits psychologiques, l�un plus �mouvant que l�autre. Il oublie que les acteurs sont des consciences avec des passions, des strat�gies, des perspectives et des int�r�ts symboliques. Si on fait des acteurs de l�histoire des saints, les g�n�rations futures n�auront pas une connaissance r�aliste du pass�, r�duit � une �pop�e glorieuse combattant le mal au profit du bien. Les t�moignages qu�il recueille et les portraits psychologiques qu�il dresse, pour importants qu�ils soient, ne sont que des mat�riaux � mettre en ordre pour les relier � une probl�matique th�orique qui interroge le r�el. Les sciences sociales n�observent pas le r�el, elles le reconstituent th�oriquement avec des concepts appropri�s. C�est ce que les �tudiants de sociologie apprennent en premi�re ann�e, en utilisant notamment le livre de Pierre Bourdieu Le m�tier de sociologue. Mais en dehors de la m�thodologie, cet aspect soul�ve les probl�mes de l��criture de l�histoire : qui l��crit, pour qui et pour en faire quoi ? L�histoire est une science sociale et, � ce titre, elle ne s��laborera que si arrive � maturit� la conscience �pist�mique qui suppose que le fait social est susceptible d��tre l�objet d�une investigation scientifique. La deuxi�me condition est qu�elle soit �crite par des historiens professionnels appartenant � un champ acad�mique libre de la tutelle politico-administrative et n�ob�issant qu�� des r�gles de la confrontation scientifique, organis�e dans les universit�s et centres de recherche � travers des revues, des publications, des soutenances de th�ses, etc. L�historien a besoin de la libert�, ce qui suppose qu�il existe un pouvoir universitaire autonome du r�gime politique, un champ acad�mique �mancip� de la tutelle administrative n�ob�issant qu�� ses propres r�gles du d�bat scientifique. Ce n�est pas le cas chez nous aujourd�hui parce que la structure du r�gime, n� de l�ind�pendance, a cherch� � faire de tous les pouvoirs sociaux des appendices du pouvoir ex�cutif. Tout comme il n�existe pas de pouvoir �conomique ind�pendant ou de pouvoir syndical autonome, il n�existe pas un pouvoir universitaire, form� de personnalit�s scientifiques dont l�autorit� �manerait de leurs travaux et non d�une d�cision administrative. On ne peut pas d�un c�t� refuser l�ind�pendance de l�universit� et de l�autre regretter que les universitaires ne produisent pas des travaux scientifiques sur l�histoire du pays. Dois-je rappeler que les recteurs et les doyens de facult� sont d�sign�s par la tutelle administrative et non �lus par leurs pairs ? Par cons�quent, d�une mani�re plus g�n�rale, on ne peut pas d�un c�t� nier aux travailleurs les libert�s syndicales et de l�autre se plaindre de la faiblesse de la productivit� du travail. On ne peut d�un c�t� refuser l�autonomie de la justice et d�un autre d�noncer le peu de cr�dibilit� des magistrats. Il en est de m�me pour le pouvoir religieux, de la presse, etc. Le r�gime cr�e le vide et il se lamente qu�il y ait du vide. Il veut que la soci�t� alg�rienne soit aussi productive que les soci�t�s modernes, mais il refuse de l�asseoir sur la s�paration des pouvoirs, matrice constitutive de la modernit� politique. De ce point de vue, le r�gime alg�rien pr�sente une incoh�rence fondamentale entre ses discours et ses pratiques. Cette incoh�rence est susceptible d��tre analys�e scientifiquement, en recourant � l�histoire et � la sociologie politique, dont l�un des p�res fondateurs est Max Weber que je sollicite pour un diagnostic du syst�me politique alg�rien. Il convient auparavant de rappeler le cadre historique d�o� le syst�me politique alg�rien puise sa pertinence. Le d�tour par l�histoire Je commencerais par une question. Pourquoi le syst�me politique alg�rien refuse d�institutionnaliser les diff�rents pouvoirs sociaux, de reconna�tre leur autonomie et de codifier par les textes leurs pr�rogatives et leurs rapports ? L�hypoth�se que j�avance � et qui parcourt l�ensemble de mes travaux � est que le r�gime alg�rien, issu d�un mouvement de lib�ration nationale, n�arrive pas � d�passer la probl�matique de la l�gitimit� historique et � s�adapter aux demandes des g�n�rations n�es apr�s l�ind�pendance. Cette perspective est w�berienne dans la mesure o� Weber a produit les concepts pour analyser les syst�mes politiques reposant sur le charisme et la l�gitimit� historique et ceux r�gul�s par ce qu�il appelle �l�autorit� l�galerationnelle �. Weber dirait que le r�gime alg�rien est rest� fig� dans la probl�matique de la l�gitimit� historique. C�est le syndrome du soldat japonais d�couvert en 1958 dans une �le d�serte et qui croyait que la Seconde Guerre mondiale n��tait pas termin�e. Les dirigeants alg�riens sont encore dans cet �tat d�esprit et voient des ennemis de la Nation partout : parmi les militants des droits de l�Homme, les adh�rents de partis non contr�l�s, les syndicalistes, les journalistes, les universitaires, et m�me des citoyens qui se posent des questions sur l�avenir de leurs enfants ou sur les dessous de l�affaire Khalifa. Cet �tat d�esprit h�rit� de la guerre de Lib�ration est � l��uvre chez les d�cideurs qui souhaitent l�unit� des rangs et l�unicit� de la pens�e. On peut admettre que la lutte anticoloniale demandait cette discipline que Abdelahafid Boussouf avait pouss�e jusqu�� l�extr�me. Le d�bat d�clench� par M. Mesbah a commenc� au sujet de l�appr�ciation que j�avais port�e sur Abdelhafid Boussouf, et � ce sujet, il faut lever tout malentendu pour �viter toute querelle inutile et surtout pour ne pas froisser des nationalistes sinc�res qui ont �t� des compagnons de Boussouf. Ce dernier a �t� un chef national et a eu un r�le important dans la d�faite du syst�me colonial. Ceci est un fait historique que personne ne peut nier. Cependant, les appr�ciations �mises sur lui par des chercheurs, ou des citoyens n�s avant ou apr�s l�ind�pendance, font partie du d�bat public sur un personnage public qui n�appartient plus ni � sa famille, ni � ses amis, ni � sa r�gion. Il appartient � toute l�Alg�rie et n�importe qui peut avoir une opinion sur lui, � la seule condition de respecter sa m�moire et ne pas attenter � son int�grit� durant la guerre de Lib�ration. Car ce n�est pas sa personne qui est en cause, ni son attachement � la cause nationale, mais son mode op�ratoire dans ce qu�il a eu comme cons�quences dans la construction de l�Etat apr�s l�ind�pendance. Je voudrais rapporter une anecdote que m�a racont�e le regrett� M�Hammed Ferhat, ancien militant PPA, pour �clairer le personnage de Boussouf. En 1952 ou 1953, Si Mabrouk (c��tait le nom de guerre de Boussouf) a tenu une r�union � Oran, � Mdina Jdida, avec des militants du parti pour leur dire la n�cessit� de passer � l�action. M�Hammed Ferhat, pr�sent � cette r�union, lui posa la question au sujet des pieds-noirs. �Il faut qu�ils partent, dit Boussouf, parce que s�ils restent, nous serons leurs domestiques vu qu�ils ont l�argent et le niveau d�instruction �. Cette anecdote montre la lucidit� de Boussouf et sa volont� farouche de mettre fin aux injustices de l�ordre colonial. Mais sa personnalit� ne se r�duit pas � cet aspect. Je fais l�hypoth�se que le r�gime alg�rien est l�h�ritier de Boussouf et non de Larbi Ben Mhidi ou Abbane Ramdane. Il ne s�agit pas d�opposer les uns aux autres, mais force est de reconna�tre que les hommes ont des sensibilit�s et des strat�gies diff�rentes. Boussouf n�a ni la bonhomie de Ben Bella, ni la vision intellectuelle de A�t Ahmed, ni l�affabilit� de Larbi Ben Mhidi, ni la fougue de Ben Boula�d. Boussouf n�avait pas d��tat d��me et pour lui, �seuls ont les mains propres ceux qui n�ont pas de mains�, comme il l�a dit � une journaliste en 1962. Il avait mis sur pied le MALG ainsi qu�un service de transmissions et de renseignements qui a rendu des services appr�ciables � l�ALN de l�int�rieur. Ce n�est pas un hasard si c�est la wilaya qu�il a dirig�e qui a pris le pouvoir en 1962 ; elle s��tait accapar�e quelques ann�es plus t�t de l��tat-major g�n�ral de l�ALN. La Wilaya V �tait en effet la plus outill�e et la mieux pr�par�e pour la comp�tition finale. Bien s�r, Chafik Mesbah aura beau jeu de dire qu�en 1962, Boussouf avait pris fait et cause pour le GPRA contre l�EMG dirig� par le colonel Boum�diene. Mais cette remarque, historiquement vraie, passe � c�t� de l�essentiel : Boussouf avait mis en place une structure qui l�a �cart� et qui �cartera plus tard Ben Bella, Chadli, Z�roual, sans parler de Boudiaf que je n��voquerais pas pour donner des chances � cet article de para�tre. En 1962, le boussoufisme avait triomph� sans Boussouf, voire contre Boussouf, et il est encore vivant incarn� par ses h�ritiers, les fonctionnaires du DRS. Max Weber mobilis� Chafik Mesbah ouvre son article par une citation de Max Weber, rappelant que l�homme science doit choisir entre celle-ci et son opinion politique. Il oublie cependant que Weber �tait engag� politiquement dans son pays, qu�il �tait oppos� � Guillaume II et qu�il avait particip� � la n�gociation Trait� de Versailles dans la d�l�gation allemande en 1918. Mesbah oublie aussi que Weber est l�auteur de deux concepts, entre autres, qui marquent les d�bats contemporains de la culture politique, savoir l��thique de conviction l��thique de responsabilit�. Le sociologue allemand entendait par la premi�re la possibilit� de cons�quences immorales d�une action fond�e sur une conviction morale. Il entendait par la seconde la possibilit� d�user de moyens immoraux pour atteindre des objectifs moraux. Pour ne pas d�former sa pens�e, je vais citer Weber : �Aucune �thique monde ne peut �luder le fait que pour atteindre des fins qui sont �bonnes�, on est oblig�, dans de nombreux cas, de s�accommoder de moyens douteux ou au moins dangereux du point de vue moral, ainsi que la possibilit�, voire la probabilit�, de cons�quences accessoirement mauvaises. Et aucune �thique au monde ne peut dire quand et dans quelle mesure la fin bonne du point vue moral �sanctifie� les moyens et les cons�quences accessoires moralement dangereux � (M. Weber, Le savant et le politique, La D�couverte/Poche, 2003, 193). Ce d�bat introduit par Weber en sociologie, avec des accents kantiens, est au c�ur la modernit� politique et attire l�attention sur les limites morales des hommes politiques. Car lorsque les principes sacr�s se figent � l�amour de la patrie, le respect pour Dieu � ils perdent leur substance humaine et morale, les hommes, croyant souvent bien faire, violent les principes moraux les plus �l�mentaires. Cette posture est en relation avec ce qui se passe en Alg�rie et pousse � se demander quel est le but de la violence du DRS ? Quel est celui de violence islamiste ? Si la finalit� de l�ordre politique existant ou � venir ne repose pas sur le principe du respect de la vie humaine, cela signifierait que nous ne sommes pas des �tres humains. Nous serions des corps mus par des int�r�ts de survie sans conscience et sans �me. La guerre de Lib�ration de 1954 a �t� men�e par des hommes anim�s par l��thique de conviction (�tablir un ordre juste) et par l��thique de responsabilit� (d�truire le syst�me colonial) et Chafik Mesbah aurait �t� mieux inspir� de nous expliquer si ces deux principes guident encore notre Etat. L�Alg�rien est-il en s�curit� dans un commissariat de police ? L�Etat le reconna�t-il comme un individu qui a des droits qui proviennent de la nature ? On se trompe lourdement si l�on croit que l�Etat repose sur la force uniquement pour obtenir l�ob�issance des foules. Le fondement d�un Etat est �thique et c�est de cette �thique qu�il tire la l�gitimit� qui lui permet d�obtenir l�all�geance des citoyens. C�est la le�on de Weber qui, en homme de science, distingue les jugements de fait et les jugements de valeur. Il y a aussi d�autres concepts de Weber qui int�ressent directement la probl�matique du politique en Alg�rie, notamment ceux de charisme, de patrimonialisme, d�autorit� l�gale-rationnelle et de monopole de l�exercice de la violence l�gitime. Je vais commencer par le charisme qui, selon Weber, est un ph�nom�ne socio-psychologique qui permet d��tre ob�i sans usage de la force physique. Les syst�mes politiques, dit Weber, sont int�gr�s soit par le charisme du leader qui a une autorit� provenant de la l�gitimit� historique ou traditionnelle, soit par l�autorit� l�galerationnelle exerc�e par une bureaucratie dans le cadre de l�Etat de droit. Le concept de charisme est crucial pour comprendre la logique des processus de construction de l�Etat. Le charisme donne aux administr�s le sentiment d��tre dans le c�ur du leader et qu�ils sont prot�g�s par lui. Il facilite la cr�ation d�un centre qui attire vers lui les all�geances, ce qui renforce la construction nationale. Weber souligne qu�au cours de l�histoire, le charisme �se routinise � pour d�boucher finalement sur une forme ou une autre d�autorit� l�gale-rationnelle. Ces concepts renvoient � des types-id�aux par lesquels le sociologue allemand analyse la r�alit� empirique qui, �videmment, n�a pas la puret� des mod�les th�oriques. Cette m�thodologie est fort utile pour comprendre le fonctionnement du syst�me politique alg�rien dont la gen�se remonte au mouvement national. L�Alg�rie contemporaine a connu trois chefs charismatiques qui ont capt� et exprim� les attentes sociales et les sentiments nationalistes de larges couches de la population : Messali Hadj, Ahmed Ben Bella et Houari Boumediene. Messali Hadj avait incarn� pendant trois d�cennies l�id�al nationaliste et a form� plusieurs g�n�rations de militants. Il avait cependant commis une erreur en sous-estimant l�ardeur r�volutionnaire des militants de l�OS qui voulaient passer � l�action. Son charisme avait d�clin� d�s lors qu�il s��tait oppos� � eux et, se sentant l�ch�s par �le p�re�, ils sont pass�s � l�action sans lui, d��us par la crise entre les diff�rents courants PPA-MTLD, d�chir� entre les l�galistes (les centralistes) et les l�gitimistes (les messalistes). Le 1er Novembre 1954 a �t� un choc pour de nombreux militants d�sesp�r�s par l�absence de Sidi el Hadj. Krim Belkacem avait cach� pendant de longs mois aux combattants de la Wilaya III que Sidi el Hadj n��tait pas parie prenante de l�insurrection. La d�fection de Messali a �t� un traumatisme qui a pouss� � la lutte fratricide entre le FLN et le MNA, au cours de laquelle des militants de valeur ont �t� assassin�s par leurs fr�res. Les militants du MNA n��taient pas des tra�tres ; c��tait des nationalistes incapables d�envisager l�ind�pendance de l�Alg�rie sans Messali Hadj qui a �t�, selon l�historien Mohamed Harbi, le leader le plus populaire que l�Alg�rie ait jamais connu. Abdallah Filali, un militant PPA malheureusement demeur� fid�le � Messali Hadj, aurait dit, avant de mourir en 1957, au jeune fida� qui l�a ex�cut� : �Si tu m�avais connu, tu aurais refus� d�accepter cette mission �. Les luttes intestines au sommet du FLN durant la guerre de Lib�ration s�expliquent en partie par le vide laiss� par Messali Hadj. Les dirigeants du mouvement craignaient que l�un d�eux s�impose comme LE CHEF national, et c�est probablement ce qui a caus� la perte de Abbane Ramdane, th�oricien du Congr�s de la Soummam. Apr�s avoir �tu� le p�re�, les fondateurs du FLN refusaient que l�un deux occupe sa place, se r�fugiant derri�re le slogan vide de �direction coll�giale�. Etait-ce une fa�on non assum�e de rendre hommage au p�re d�chu et de lui rester fid�le ? J�ai �t� personnellement frapp�, pour avoir discut� en priv� avec Ben Bella et A�t Ahmed de Messali Hadj, du profond respect qu�ils ont pour lui jusqu�� aujourd�hui. J�ai le sentiment que les fondateurs du FLN le consid�rent comme un p�re qui les a abandonn�s dans l�entreprise � laquelle il les avait pr�par�s. C�est ce qui expliquerait que le �syst�me� refuse l��mergence d�un chef charismatique dans lequel le peuple se reconna�trait. Comme si pour eux Sid el Hadj est irrempla�able. La crise de l��t� 1962 n�a �t� que le prolongement des luttes souterraines d�un mouvement sans leader incontest�. �Un seul h�ros, le peuple�, disait-on aux candidats au leadership. C�est � ce moment que s�impose la personnalit� du colonel Houari Boumediene, adjoint de Boussouf � la Wilaya V, apr�s l�interm�de de Ben Bella qu�il a utilis� et ensuite renvers�. Ben Bella a aussi �t� un leader charismatique dans lequel les masses populaires se sont reconnues � travers son discours populiste et r�volutionnaire promettant que l�Etat sera au service des plus pauvres. �Faire fondre la graisse des bourgeois au hammam � a �t� une expression qui avait fait mouche, provoquant un enthousiasme d�lirant dans un meeting populaire. Ben Bella, c�est aussi le pr�sident qui faisait des rondes la nuit � Alger pour recueillir les sans-abri. Il �tait celui qui avait fait casser les bo�tes � cirer des jeunes cireurs �g�s entre 6 et 14 ans qu�il avait scolaris�s avec une bourse. Mais la g�n�rosit� du za�m ne suffit pas � elle seule en politique. Quarante ans apr�s, les enfants des anciens cireurs sont des harraga et des �meutiers. C�est l� que r�sident les limites du populisme g�n�reux. Boumediene, l�autre leader charismatique, �tait en phase avec Ben Bella sur le plan id�ologique, mais n�appr�ciait pas ses m�thodes qu�il jugeait anarchiques. Boumediene �tait l��l�ve de Boussouf auquel il a succ�d� � la t�te de la Wilaya V. Taciturne, farouchement nationaliste, il recherchait l�efficacit� pour moderniser le pays (�thique de responsabilit�). Il croyait qu�il suffisait d�industrialiser le pays pour que celui-ci rattrape le retard sur l�Europe. Il ne savait pas que le proc�s de travail industriel n�est productif que dans un environnement politique r�gul� par l�autorit� l�gale-rationnelle, la division des pouvoirs et l�autonomie des pouvoirs sociaux, dont le pouvoir syndical et de la presse. Boumediene avait eu une pr�sidence relativement incontest�e parce qu�il d�tenait entre ses mains les deux pouvoirs r�el et formel. Il �tait chef d�Etat, chef du gouvernement, pr�sident du Conseil de la R�volution, ministre de la D�fense, chef d��tat-major depuis l��limination du colonel Tahar Zbiri et aussi, par cons�quent, responsable de la S�curit� militaire qui d�pendait directement de lui. Son charisme reposait sur son engagement � r�aliser le programme utopique du mouvement national. Il donnait l�impression qu�il �tait le seul au gouvernement � se pr�occuper du peuple, et quand il pronon�ait un discours � la t�l�vision, les rues des villes et villages se vidaient. Apr�s ses discours, la t�l�vision avait l�habitude de programmer le feuilleton am�ricain �Les incorruptibles� avec l�acteur Robert Stark dans le r�le de Elliot Neiss luttant contre la maffia. Hasard de programmation ou bien Boumediene continuait son discours sous une autre forme ? Apr�s sa mort, le �syst�me � ne voulait pas d�un leader charismatique parce que l�arm�e craignait qu�une pr�sidence forte la marginalise dans la prise de la d�cision politique. C�est dans les ann�es 1980 que le r�gime alg�rien entre dans une crise qui s�aggravera avec les �meutes d�Octobre 1988. C��tait l��poque Chadli, durant laquelle la t�l�vision servait le feuilleton �Dallas� � des t�l�spectateurs entass�s dans des appartements exigus et sans eau. Tous r�vaient de la piscine bleue de Sue Ellen. La crise de la fin des ann�es 1980 s�explique par le refus de l�arm�e des deux m�canismes d�int�gration de tout syst�me politique : le charisme du leader ou l�autorit� l�gale-rationnelle de l�Etat de droit. L�arm�e ne voulait ni d�un leader charismatique, ni d�un Etat de droit car dans les deux cas elle perdrait de l�influence au profit de civils en lesquels elle n�a pas confiance et qu�elle suspecte de ti�deur nationaliste. D�o� cette structure bic�phale de l�Etat entre un pouvoir r�el l�gitimant, dont nous ne savons pas o� il est localis�, et un pouvoir formel, mandat� et d�tenu par le pr�sident et ses ministres qui n�ont que l�autorit� que veulent bien leur laisser les militaires. Ce n�est pas porter atteinte � la dignit� de la fonction que d�affirmer que le pr�sident Bouteflika n�a qu�un pouvoir symbolique. Dans le cas de figure de l�autorit� l�gale-rationnelle, le pr�sident de la R�publique est mandat� par l��lectorat qui est source de pouvoir. Or, en Alg�rie, c�est l�arm�e qui est source de pouvoir et non l��lectorat. Par cons�quent, ce n�est pas une incoh�rence d�affirmer que le pr�sident n�a pas de pouvoir, en dehors de recevoir les lettres de cr�ances des ambassadeurs �trangers. Le syst�me reste marqu� par les lignes de fracture du mouvement national du d�but des ann�es 1950, entre d�une part les militants de l�OS l�gitim�s par la clandestinit� et la r�pression polici�re, et ceux du MTLD, accus�s de mener une vie mondaine. Le pouvoir reproduit le syndrome de l�OS et est encore dans la clandestinit�, refusant le passage w�b�rien vers la forme l�gale-rationnelle. C�est l� que r�side la cause principale de la paralysie de l�Etat et de l�inefficacit� qui le caract�rise. Cinquante ans apr�s l�Ind�pendance, l�Alg�rien ne sait pas qui d�tient l�autorit� au sommet de l�Etat. Ce sentiment que l�Etat n�existe pas provient de ce que le pouvoir est cach� ; il est clandestin. C�est plus qu�un sentiment ; c�est une r�alit� comme l�a montr� l�affaire Khalifa. Il y a trop de monde au-dessus de l�Etat et de ses lois. Il suffit qu�il y ait 1 000 personnes au-dessus de l�Etat pour que cela provoque un effet boule de neige et conduit � l�anarchie g�n�ralis�e : car il y a aussi les parents, la belle-famille, les amis et leurs familles� La clandestinit� du pouvoir r�el explique l�anarchie dans laquelle le pays s�est install�. Ce qui est encore plus grave, c�est que ceux qui exercent le pouvoir dans la clandestinit� nient avoir une autorit� au-dessus des institutions. C�est pourquoi Chafik Mesbah consid�re mes travaux de sociologie comme n�ayant aucun fondement scientifique et ne sont qu�une opinion personnelle issue de passions et de pr�jug�s. En Alg�rie, la sociologie politique fait face � des acteurs qui nient le r�le v�ritable qu�ils jouent dans le syst�me, un syst�me o� le seul vrai acteur politique dit constamment �ce n�est pas moi�, se cachant tant�t derri�re le RND, tant�t derri�re Sidi Sa�d de l�UGTA ou encore l�association de Sa�da Benhabyl�s pour avaliser des d�cisions qui auront �t� prises dans la clandestinit� et pr�sent�es comme �tant une exigence des forces vives de la Nation. �Kil blad tekhla adanha ouali roumi�, disait mon p�re. L�acteur et le syst�me N�ob�issant ni � un chef charismatique, ni � un cadre d�autorit� l�gale-rationnelle, le r�gime alg�rien favorise les conflits au sommet et coupe l�Etat de la population, du fait m�me que cet Etat devient un patrimoine. Max Weber utilise la notion de patrimonialisme pour montrer comment les monarchies europ�ennes de la fin du Moyen-Age se sont constitu�es en Etats sur la base de l�autorit� traditionnelle du roi qui avait tendance � confondre le royaume avec son patrimoine priv�, � confondre le budget public avec sa fortune personnelle. La notion a �volu� vers celle de n�o-patrimonialisme dans les pays du Tiers-Monde puisque, si aucun dirigeant n�ose d�clarer officiellement que le pays est � lui, tous affirment n�anmoins qu�ils garderont le pouvoir jusqu�� ce qu�ils r�alisent la mission que l�histoire leur a confi�e ! Le pouvoir est donc privatis�, instituant un r�gime n�opatrimonial o� le principe w�berien du monopole de l�exercice de la violence l�gitime par l�Etat est utilis� pour pourchasser toute opposition politique qu�elle soit d�mocratique ou non d�mocratique. Pourtant, ce monopole de la violence n�a de sens que si elle est exerc�e par une autorit� l�gale-rationnelle dans le cadre de l�Etat de droit. Au-del� de la divergence de fond que j�ai avec M. Mesbah, relative � la structure double du pouvoir de l�Etat, il y a aussi une diff�rence de m�thodologie. Du fait de sa proximit� avec les militaires qui exercent le pouvoir r�el, il a tendance � observer et � privil�gier les acteurs, estimant qu�ils ne sont pas aussi m�chants que le dit la vox populi. Sa d�marche est psychologisante et c�est pourquoi il est exub�rant sur le plan affectif. Il devrait savoir que la sociologie est autre chose que l�introspection psychologique. La sociologie politique a pour objet non pas la bont� ou la m�chancet� des dirigeants, mais la dynamique des liens sociaux qui se dessine ind�pendamment de la volont� des individus. Elle s�int�resse au syst�me, � sa logique et aux rapports qu�ont les acteurs au syst�me et aux rapports qu�ont les acteurs entre eux � l�int�rieur du syst�me. Il y a une dialectique entre l�acteur et le syst�me qui fait que l�int�r�t de l�un conforte la logique de l�autre et inversement. A ce sujet, je voudrais renvoyer Chafik Mesbah aux travaux du sociologue fran�ais Michel Crozier, notamment L�acteur et le syst�me et Le ph�nom�ne bureaucratique qui montrent des dynamiques d�sincarn�es qui broient les hommes, y compris ceux qui sont aux commandes du syst�me. Le grand d�bat dans la discipline est celui qui oppose l�Allemand Max Weber au Fran�ais Emile Durkheim, le premier donnant de l�importance au sens, � l�acteur et au relativisme m�thodologique ; le second mettant en avant les lois du syst�me, les structures devant lesquelles l�acteur semble impuissant. La notori�t� de Bourdieu est qu�il a essay� de d�passer ces deux m�thodologies en construisant la sociologie de l�habitus � qu�il a �labor�e en travaillant sur la soci�t� alg�rienne � o� il essaye de montrer que l�agent est autant d�termin� que d�terminant. Sur ce sujet, je pr�conise � Chafik Mesbah mon livre Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu. Le paradigme anthropologique kabyle et ses cons�quences th�oriques, dans lequel j�ai inclus un chapitre sur les limites id�ologiques du nationalisme alg�rien � partir de la sociologie de l�habitus. Par cons�quent, je peux conc�der � Chafik Mesbah que les d�cideurs sont d�termin�s par le syst�me et, qu�� titre personnel, ils sont gentils, humains et sont d�honn�tes p�res de famille. Il doit n�anmoins reconna�tre avec moi que le syst�me qu�ils reproduisent est mauvais sur le crit�re du bilan du r�gime depuis 1962 : naufrage de l��conomie nationale, gaspillage des deniers publics, mauvaise gestion des ressources, corruption, hogra, harga, violence sociale, d�labrement de nos rues, perte des valeurs humaines, notamment la bont� et la g�n�rosit� propres � notre soci�t� traditionnelle, etc. Ce n�est donc ni Si Mabrouk ni Si Tewfik que je critique. J�analyse, loin des consid�rations psychologiques, des dynamiques n�es de l�histoire et port�es par une culture politique en rupture avec la modernit� et l�Etat de droit. La population, n�e apr�s l�Ind�pendance, exprime un besoin d�Etat et il faut convenir que l�habitus h�rit� de la guerre de Lib�ration s�oppose � sa satisfaction. Dire cela n�est pas renier la guerre de Lib�ration qui a �t� l�une des meilleures pages de l�histoire du pays. Dire cela, c�est se situer au-del� de l�objectif de l�Ind�pendance que Boussouf et ses compagnons ont r�alis�e. Pour aller au-del�, il faut vaincre les habitus n�s de cette �poque et qui sont aujourd�hui, il faut l�admettre, cristallis�s dans le DRS, sans que ses fonctionnaires en soient tous forc�ment conscients. Il nous faut rompre avec cette funeste tendance qui fait croire � l�Alg�rien qu�il est plus nationaliste que son voisin. Il faut chasser la haine de la cit� et humaniser les rapports d�autorit�. Il faut mettre en avant l��thique dont parle Weber et poser comme postulat que la vie humaine est la valeur supr�me. C�est sur ce socle que les institutions d�un Etat de droit se b�tissent avec l�id�e que la source du pouvoir n�est pas l�arm�e � avec tout le respect que m�rite l�institution � mais l��lectorat. �Il votera mal cet �lectorat�, dirat- on. Les �lections, c�est l�alternance et il s�agit de se battre pour l�alternance et faire confiance � sa soci�t�. Apr�s tout, les Hammou Boutl�lis, Ben Bella, Ben Boula�d, A�t- Ahmed, Boussouf� sont n�s de cette soci�t� � une �poque o� tr�s peu d�Alg�riens allaient � l��cole. Une transition est n�cessaire pour s�orienter vers un syst�me r�gul� par l�autorit� l�galerationnelle, une transition au cours de laquelle aucune goutte de sang, d�un civil ou d�un militaire, ne sera vers�e. Il faut apprendre � g�rer nos divergences politiques institutionnellement, en acceptant que l�Etat ait le monopole de la violence exerc� dans le cadre de la loi et que le juge condamne de mani�re autonome tout abus d�autorit� d�un fonctionnaire z�l�. Je consid�re cette perspective en continuit� directe avec la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui avait deux objectifs : l�Ind�pendance du pays, d�j� r�alis� au moins formellement ; le second, le progr�s social et politique au profit de l�Alg�rien et qui reste � r�aliser. Je n�ai pas r�pondu point par point aux remarques de Chafik Masbah, entre autres sur la question de savoir si Abdelaziz Bouteflika �tait membre du MALG ou non, et sur la r�organisation des services de renseignement. J�ai esquiss� plut�t un cadre historico- th�orique de la dynamique politique en Alg�rie pour lier � une probl�matique g�n�rale les faits qu�il rapporte, et surtout situer les enjeux pour la soci�t� et son devenir. (C�est au lecteur, sp�cialiste ou profane, de juger de la pertinence de mon analyse. Quand on prend la parole en public, il faut s�attendre � �tre jug�. Cette r�gle doit aussi s�appliquer � ceux qui exercent l�autorit� publique. Est-ce pour se soustraire � ce jugement que le pouvoir en Alg�rie est cach� ?). Mais je ne peux me retenir de relever un passage surprenant du texte de Chafik Mesbah et sur lequel je voudrais conclure mon texte. Mesbah s��tonne que je me focalise sur l�assassinat de Abbane Ramdane et non sur le meurtre de Larbi Ben M�hidi. Je lui ferais cependant remarquer que ce dernier �tait un colonel d�une arm�e en op�ration et qui a �t� fait prisonnier par l�ennemi qui l�a ex�cut� en violation des lois de la guerre. Cet acte a d�shonor� l�arm�e coloniale et c�est � la conscience fran�aise de l�exorciser. Si le colonel Ben M�hidi avait eu la possibilit� de tuer le colonel Bigeard dans un accrochage, il l�aurait fait. Ce n�est pas moi, un civil, qui apprendra les lois de la guerre � un officier sup�rieur ! L�assassinat de Abbane Ramdane rel�ve d�une autre logique. Il a �t� tu� par ses fr�res de combat ! Cet assassinat reste dans notre conscience et a une valeur symbolique fondatrice du r�gime alg�rien apr�s l�Ind�pendance. Il signifie que l�assassinat est �hlal� entre nous en cas de divergences politiques. Il signifie que la comp�tition politique entre nous doit trouver n�cessairement sa solution dans l�assassinat. C�est ce que je r�cuse, et comme le dit la sagesse populaire de chez nous �Da�m Allah�. Lahouari Addi Professeur des Universit�s, IEP de Lyon Bibliographie - L. Addi, L�impasse du populisme, ENAL, Alger, 1991 - L. Addi, L�Alg�rie et la d�mocratie. Pouvoir et crise du politique dans l�Alg�rie contemporaine, La D�couverte, 1995 - L. Addi, Sociologie et anthropologie chez Pierre Bourdieu. Le paradigme anthropologique kabyle et ses cons�quences th�oriques, La D�couverte, 2002 - P. Bourdieu, C. Passeron, J.P. Chambederon, Le m�tier de sociologue, Mouton, 1970 - M. Crozier, Le ph�nom�ne bureaucratique, Ed. du Seuil, 1982 - M. Crozier, E., Friedberg, L�acteur et le syst�me, Ed. du Seuil, 1977 - E. Durkheim, Les r�gles de la m�thode sociologique, PUF, 1978 - M. Harbi, Le FLN. Mirage et r�alit�, �d. Jeune Afrique, 1980 - M. Harbi, G. Meynier, L e FLN. Documents et Histoire, Fayard, 2004 - G. Meynier, L�histoire int�rieure du FLN. 1954-1962, Fayard, 2002 - M. Weber, Economie et soci�t�, Presses Pocket, 1995 - M. Weber, Essais sur la th�orie de la science, Presses Pocket, 1992 - Max Weber, Le savant et le politique, La D�couverte /Poche, 2003.