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Le Sahel peut-il échapper au chaos ?
AQMI, armes libyennes, cocaïne, jeu des grandes puissances
Publié dans El Watan le 08 - 09 - 2011

Ouverts hier matin à Alger, les travaux en plénière de la conférence des ministres des Affaires étrangères du Mali, du Niger, d'Algérie et de Mauritanie ont permis de lever le voile sur une situation des plus explosives dans la région du Sahel.
Tous les intervenants, ainsi que leurs partenaires s'accordent à dire que la circulation des armes, d'explosifs, les mouvements d'anciens combattants en provenance de Libye, et le retour des personnes vers leurs pays d'origine constituent une nouvelle menace encore plus pesante pour la stabilité et la sécurité de la région. Aboubakr Boubay Maiga, chef de la diplomatie malienne, plante le décor, en présentant la sous-région aux «vulnérabilités structurelles, avec post-conflit armé lié aux rebellions pour des revendications identitaires, une situation socioéconomique négative, une criminalité transfrontalière avec 40 tonnes de cocaïne qui transitent annuellement, une présence de groupes terroristes d'AQMI, qui se ressourcent financièrement des rançons sont des défis pour le Sahel imposant des réponses multisectorielles». Celles-ci, précise-t-il, doivent être sous le signe de la coopération, la cohérence et la coordination. «Il n'est pas question de faire de la région une zone de guerre, mais plutôt de sécurité et de paix.» Le ministre malien a appelé ses homologues à «aller au-delà des diagnostics et d'aboutir à des solutions concrètes qui incluent les aspects de développement et de bonne gouvernance».
Prolifération massive des armes et réseaux de djihadistes
Abondant dans le même sens, Baba Ould Hamidi, ministre des Affaires étrangères mauritanien, a déclaré que la dualité entre le développement et la sécurité est un défi majeur pour la stabilité des Etats de la région. «Il faut une approche unifiée pour lever les obstacles afin de maîtriser les 8 millions de kilomètres carrés que nous partageons. Il est nécessaire de focaliser sur la sécurité pour renforcer les moyens de lutte contre la pauvreté et relever le défi lié aux conflits armés qu'elle a vécus et ceux qui restent ouverts. La circulation importante des armes, le recrutement des jeunes par les organisations extrémistes et les réseaux de djihadistes, les trafiquants de drogue et de l'immigration clandestine. La région recèle de ressources humaines pour améliorer la vie des citoyens et intégrer les jeunes dans le développement afin d'éviter qu'ils soient récupérés par des réseaux de trafiquants.» Le responsable appelle, lui aussi, l'assistance à sortir avec des résultats concrets pour une coopération efficace. Pour lui, la lutte contre le terrorisme touche toute la région et implique de ce fait la participation de tous les Etats. Plus alarmiste, le ministre de la Coopération nigérienne, Mohamed Bezou, ne va pas avec le dos de la cuillère dans son diagnostic. Il commence par affirmer que la conférence «entre dans le cadre d'une reconfiguration appropriée liée aux questions de sécurité qui se posent depuis un certain temps».
Après avoir mis en exergue les actions menées par les pays du champ, à travers la mise en en place d'un état-major militaire à Tamanrasset et l'unité de renseignement à Alger, et les avancées qu'elles ont apportées sur le terrain, il rappelle la crise libyenne, en affirmant que ses conséquences sur la région qu'il qualifie de chaotique au moment où les synergies opérationnelles entre les Etats commençaient à avoir des résultats.
Nombre d'indicateurs démontrent que la situation s'est terriblement dégradée à cause des effets de la crise en Libye, et la région est devenue une véritable poudrière. Des armes de gros calibres circulent en grand nombre, alors que le 12 juin dernier, l'armée nigérienne a intercepté une cargaison de 500 kg de Simplex (explosif très puissant).
Des réseaux de combattants libyens ont détourné de nombreuses colonnes de voitures tout-terrains pour les mettre en circulation dans la région. Durant cette période, les groupes d'AQMI ont réussi à étendre leur champ d'action, puisqu'ils ont atteint le Nigeria pour faire jonction avec les groupes terroristes «Boco Haram» ainsi que le Maroc, pour rallier les djihadistes locaux. C'est un défi nouveau qui exige une lutte urgente. Le ministre appelle à une réflexion sur les facteurs endogènes qui rendent la région vulnérable. Pour lui, le développement, la prise en charge des préoccupations de la jeunesse, l'amélioration de la qualité de vie, sont une priorité et la région a, poursuit-il, besoin d'un vrai plan de développement pour tarir aux différents réseaux de trafic en tout genre le terreau dans lequel ils recrutent.
A ce titre, il précise que les problèmes de sécurité ne peuvent être résolus militairement, mais également par la lutte contre la paupérisation de la population. Il rappelle que son pays a payé un lourd tribut lors des événements liés à la rébellion politique à vocation identitaire, et dès 2007, des réseaux de trafiquants se sont constitués en utilisant les armes des ex-rebelles.
Depuis, le nord du pays ne s'est plus remis du désastre. Il est en attente de développement qui n'arrive pas à démarrer à cause des prises d'otages commises par AQMI. Aucun touriste, ni investisseur, ni diplomate ne peuvent aller au Nord. Le chef de la diplomatie nigérienne estime que la corrélation entre la sécurité et le développement n'est plus à démontrer et, selon lui, «l'Algérie peut jouer le rôle de leadership en matière de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, mais les partenaires économiques, comme la France, peuvent aider en finançant des projets de développement à même de combattre la pauvreté et assécher le terreau du recrutement». Et de conclure : «Le terrorisme n'est ni un phénomène spontané ni géographiquement localisé. Il est mondial et appelle à une riposte concertée avec les Etats.»

Américains et Français, histoire d'une rivalité
Présents à la conférence avec des niveaux de responsabilité assez élevés, les délégations américaine et française adoptent des positions divergentes même si elles appuient toutes les deux les décisions qui sanctionneront aujourd'hui la conférence. La divergence réside surtout dans les raisons qui ont fait que la situation au Sahel devient de plus en plus explosive.
Si les Américains s'inquiètent de la prolifération des armes en provenance de Libye, les Français trouvent que c'est la gestion des pays de cette région qui est, en réalité, responsable du chaos et non pas les retombées de la crise libyenne.
Ainsi, André Parent, conseiller diplomatique du président Sarkozy ou M. Afrique, reconnaît à l'Algérie son «combat courageux» contre le terrorisme et qui, selon lui, fait d'elle la mieux placée pour parler de terrorisme et des moyens d'y faire face. Il lui reconnaît également son expérience, sa compétence et donc sa légitimité incontestables. Pour ce qui est de stratégie de la France, de la lutte contre le terrorisme et la criminalité dans le Sahel, il déclare qu'elle se fonde sur le rôle primordial des pays de la région, expliquant : «Ce sont leurs populations qui sont les premières victimes. C'est donc à eux qu'il appartient, avant tout, de se mobiliser et d'agir. Nul ne peut se substituer à eux et décider à leur place.» Il place la coopération régionale en seconde position et la présente comme «la clé de tout».
«Les terroristes et les trafiquants ignorent les frontières. Face à des phénomènes qui sont, par nature, transnationaux, seule une action collective, déterminée et coordonnée, de l'ensemble des Etats de la région, est susceptible de produire des résultats positifs.» Néanmoins, dit-il, «il ne serait ni juste ni raisonnable de laisser les pays de la région seuls face au terrorisme et aux trafics (…) Par ailleurs, et bien que la responsabilité première en la matière leur incombe, les pays de la région ne disposent pas toujours des capacités ou des moyens leur permettant d'agir efficacement. Les partenaires extérieurs ont donc aussi un rôle essentiel d'appui à jouer pour les aider à acquérir ces capacités ou ces moyens. C'est pourquoi, la France a répondu aux demandes présentées et, avec d'autres pays membres de l'UE, plaidé pour la mise en œuvre d'une stratégie européenne sur le Sahel». Le conseiller s'est déclaré «convaincu, qu'il y a urgence à agir» parce que la menace terroriste s'accroît au Sahel : l'implantation d'AQMI au sein des populations locales se renforce, et son rayon d'action ne cesse de s'étendre. Parallèlement, les trafics prospèrent. C'est vrai pour la drogue.
C'est vrai aussi pour les armes, dont le commerce se développe de manière inquiétante et requiert, en particulier dans le cadre des réflexions en cours sur la sortie de crise en Libye, toute notre attention.
Mais le ministre conseiller apporte une précision qui fait la différence avec la position américaine. M. Parent refuse de reconnaître que la gravité de la situation est due surtout aux retombées de la crise libyenne. Il demande à «prendre garde à ne pas confondre les symptômes et les causes. La dégradation de la situation sécuritaire au Sahel n'est qu'un symptôme. Les causes en sont les besoins insatisfaits de développement de ces régions et le sentiment développé au fil des ans par leurs populations qu'elles ont été négligées, voire abandonnées par les pouvoirs centraux». En clair, ce sont les Etats de la région qui sont responsables de l'éventuel chaos et non pas la circulation inquiétante des armes de guerre et des explosifs détournés de Libye. M. Parent estime que les mesures sécuritaires, visant à rétablir la présence et l'autorité de l'Etat, sont nécessaires. Mais elles ne sauraient suffire et doivent impérativement s'accompagner de mesures visant à assurer, en parallèle, le développement économique et social des régions concernées. Pas plus qu'il ne peut y avoir de développement sans sécurité, il ne peut y avoir de stabilité sans prospérité. La difficulté tient au fait que les actions de développement s'inscrivent dans le temps long, alors que nous sommes ici dans l'urgence.
L'objectif doit donc être d'engager dès que possible des actions ayant des résultats rapides, positifs et visibles sur la vie des populations sahéliennes. Par ailleurs, reconquérir le terrain perdu nécessitera du temps et un engagement sans faille. Plus que le nombre – relativement limité à ce stade des combattants d'AQMI –, le défi réside dans l'immensité des territoires où ils opèrent, qui leur offre autant d'opportunités d'agir et de se dérober. Il est donc crucial de les empêcher de trouver refuge dans des espaces «sanctuarisés» où ils développent des réseaux de complicité et de soutien.
Pour leur part, les Américains, par la voix de Shari Villarossa, vice-coordinatrice des affaires régionales du terrorisme, et par celle du haut-commandant des forces américaines en Afrique (Africom), le général Carter Ham, expriment leur inquiétude face à l'évolution de la situation dans la zone Sahel, notamment depuis la crise libyenne. Shari Villarosa met l'accent sur les efforts consentis par les quatre pays pour venir à bout du terrorisme d'Al Qaîda, et insiste sur le fait qu'ils sont les seuls à pouvoir jouer un rôle dans la lutte. Elle exprime la disponibilité de son pays à soutenir et aider la région à relever le défi, tout en notant que le président Obama a décidé d'élargir la coopération et le partenariat avec les Etats présents à la conférence. Elle annonce qu'un forum mondial contre le terrorisme sera créé et l'Algérie présidera le groupe Sahel. Pour sa part, le haut-commandant d'Africom, Carter Ham, exprime tout d'abord sa préoccupation particulière au sujet de la prolifération des armes, d'explosifs et de systèmes mobiles facilement transportables par des terroristes ayant des liens croissants entre les organisations terroristes en Afrique de l'Est et Afrique centrale avec celles localisées dans le Sahel. Il déclare que la stratégie américaine pour le Sahel rejoint celle de l'Algérie. Il a appelé à un «véritable» partenariat entre les régions du Sahel et les pays, organisations internationales et agences représentés dans cette conférence pour lutter efficacement contre
le fléau du terrorisme et ses connexions, précisant qu'«Africom a un rôle de soutien et non de chef de file et son intention est d'aider là où il peut quand il peut».


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