Dix ans plus tard, il ne reste en Algérie rien – ou presque – de l'onde de choc qui avait traversé la planète après l'explosion de deux avions dans les plus hautes tours de Manhattan. Il faut dire que les Algériens n'avaient pas d'empathie envers les victimes du World Trade Center, pensant certainement que les souffrances des Ghazaouis et du peuple arabe en général étaient tout aussi indignes. L'Amérique, arrogante et donneuse de leçons, devait ainsi descendre de son piédestal et revoir ses positions dans le monde arabe. Aussi – et cela s'est vérifié lors de sa mort en mai 2011– Ben Laden n'a jamais eu la carrure d'un héros aux yeux du peuple algérien. Tout juste passait-il pour un illuminé se croyant investi d'une mission sacrée. Mais si la rue algérienne n'a pas été bouleversée par le nouvel ordre mondial, deux entités ont habilement su tirer leur épingle du jeu. D'un côté, ce qu'on appelle communément «le pouvoir» s'est renforcé en devenant un «partenaire privilégié des Etats-Unis» – selon les mots des responsables américains – en matière de lutte antiterroriste. De l'autre, les groupuscules terroristes, qui étaient en perte de vitesse au début des années 2000, ont repris un souffle nouveau en faisant allégeance à Al Qaîda. «Nous vous l'avions bien dit» Immédiatement après les attentats de New York, la «grande muette» rompait son silence. L'ancien chef d'état-major, Mohamed Lamari, a tenu une conférence de presse dont le message est adressé directement aux puissances occidentales. «Nous vous l'avions bien dit !», s'exclamait-il. Car, pendant que l'Algérie était piégée dans les griffes du terrorisme islamiste, le reste de la planète s'interrogeait sur le : «Qui tue qui ?» Du jour au lendemain, l'Algérie, si négligée par l'Amérique, devenait un exemple à suivre. L'Administration Bush n'avait plus honte de la citer comme l'un des régimes «les plus démocratiques» du monde arabe et le film La Bataille d'Alger était projeté aux militaires américains en partance pour l'Irak. Le président Bouteflika était désormais accueilli à la Maison-Blanche et se montrait souriant devant les représentants du G8. Jouissant désormais d'un satisfecit et d'une légitimité internationale, le régime algérien ne prêtait plus attention aux associations regroupant les parents de disparus. AQMI ou l'internationalisation du terrorisme algérien L'effondrement des Twin Towers a, par ailleurs, marqué un tournant majeur dans l'évolution du terrorisme en Algérie. En déclarant, le 3 septembre 2006, son allégeance à Al Qaîda, le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) s'est assuré une aura internationale. Les groupes, dirigés par Mokhtar Belmokhtar et Abou Zeid ont ainsi revu leurs plans : si, à l'origine, l'objectif d'AQMI était la lutte contre le gouvernement algérien et l'établissement d'un Etat islamique, AQMI contribue désormais au djihad mondial et intègre l'Occident à la liste de ses ennemis. Il multiplie les kidnappings et les prises d'otage et accroît ainsi sa «notoriété internationale». Algériens, donc coupables Le 11 septembre déteint aussi, d'une manière indirecte, sur la vie des Algériens. Cela est notamment perceptible lors des voyages à l'étranger lorsqu'ils se voient fouillés plus strictement que les autres. Al Qaîda et Ben Laden ayant véhiculé une mauvaise image des musulmans, les Algériens se sentent «coupables», même s'ils n'ont aucun lien avec les islamistes. L'exemple le plus édifiant de cette confusion est celui de Lotfi Raïssi, pilote instructeur d'origine algérienne, présenté comme «le bras droit de Ben Laden» sans preuve aucune. Il avait le profil du coupable parfait : «C'était une spirale impitoyable, raconte-il dans le livre. J'étais le bouc émissaire idéal. Jeune, pilote, musulman et Algérien». Dix ans après l'attentat de New York, les nuages de fumée continuent de s'amonceler sur le monde musulman…