Au fil des années, les rues de la capitale deviennent de plus en plus crasseuses. Les détritus obstruent rues et ruelles et les monticules d'ordures ménagères font désormais partie du paysage urbain et suburbain. L'éducation environnementale – surtout dans le média lourd – est absente et chacun se rejette la balle : les administrés mettent en cause le modus operandi des services de collecte et de nettoiement dont les camions bennes ne font des rotations que dans les artères principales. Les «naqayine» de l'Epic Netcom qu'on appelle à tort «zaballine», pointent du doigt, eux, l'incivisme des citoyens qui balancent dans l'espace public leurs ballots de déchets quand ils veulent, là où çà leur chante et n'importe comment. Le mal est si profond qu'on n'arrive plus à gérer ce volet de la propreté urbaine qui fait tant défaut depuis des décennies, surtout depuis la suppression par de «bien pensants» du corps des concierges d'immeubles, habilités entre autres à débarrasser le pas de la porte des bacs après le passage des camions-bennes. N'est-ce pas que le visiteur peut faire le constat amer des lieux ? Il y a autant de points noirs que de lieux de dépôts d'ordures au seuil de chaque immeuble et à chaque coin de rue, avec des sachets éventrés, crachant les vomissures devant notre imperturbable regard. Il me vient à l'esprit cette remarque saisissante du philosophe, géodésien et naturaliste Charles Marie La Condamine (1701-1774) qui écrivit en 1731 lorsqu'il avait séjourné dans la mégalopole de Sidi Abderrahmane Etthâlibi : «Alger est une ville fort peuplée, les rues y fourmillent de monde... Il y a à Alger des lieux de commodités, et on ne jette pas comme à Toulon les ordures dans les rues...». Un témoignage qui ne nous invite pas moins à nous regarder droit dans les yeux les uns les autres en nous interrogeant sur cette tendance renversée. Bien avant l'avènement de la nuit coloniale, la régence d'Alger, alors sous influence de la Porte sublime, était une ville beaucoup plus clean que la cité de la rive d'en face se trouvant dans le Vieux continent. Retournement étrange de décor. Toulon, capitale économique du Var, établie sur les bords de la mer Méditerranée est à présent nettement proprette et attrayante qu'au XVIIIe siècle, période où la médina d'Alger fleurait bon et où le civisme n'était pas un vain mot. Epoque aussi où les vespasiennes existaient à Alger et l'on ne risquait pas de se voir surprendre par des bouteilles à urines balancées par l'automobiliste au hasard des rues. Mais autres temps autres mœurs, me diriez-vous ! Alger a prêté le flanc, disons le tout crûment, à la saleté répugnante (excusez le pléonasme !). Alger s'est, depuis, défaite de son écocitoyenneté pour devenir le Toulon du XVIIIe siècle.