A Alger, bars et points de vente d'alcool ferment sous la pression des autorités, soupçonnées de vouloir donner des gages de bonne conduite aux islamistes. Dans ce climat de nouvelle prohibition, l'informel explose. Depuis deux mois, Omar est obligé d'ouvrir plus tôt les portes de son magasin pour répondre aux premières commandes des clients. Les quelques points de vente d'alcool encore ouverts à Alger sont très tôt pris d'assaut et les propriétaires ont dû s'adapter à cette nouvelle donne. «Le matin, il m'arrive de trouver des clients debout devant la devanture à attendre que j'ouvre, souligne-t-il. Avant, les gens avaient un peu honte et préféraient se faire discrets, ils attendaient dans leur voiture ou un peu plus loin du magasin.» Officiellement, les autorités parlent de «mise en conformité et de régularisation du secteur». «Un prétexte !» dénoncent les importateurs, les grossistes et les revendeurs, qui expliquent que les autorités utilisent les plaintes des riverains – le plus souvent pour de simples problèmes de voitures de clients mal stationnées – pour enclencher des procédures administratives à l'encontre des propriétaires. Place du 1er Mai, ils ne sont plus que deux points de vente encore en activité, alors qu'ils étaient encore quatre avant le début du mois de Ramadhan. Deux propriétaires ont préféré garder leurs boutiques closes en attendant que la pression baisse. Même conséquences à Bab El Oued où une cinquantaine de bars et de points de vente ont définitivement fermé. «C'est absolument désastreux. A Bab El Oued, je ne fournis plus que l'hôtel El Kittani en alcool, affirme Zouhir*, un important grossiste à Alger. Pour une commune aussi importante, la fermeture des débits de boissons obligent les jeunes du quartier à s'approvisionner ailleurs. Si l'Etat pense qu'avec cette politique il va dissuader les jeunes de boire, il se trompe énormément !» Charia Depuis 2005, pas moins de 2000 points de vente et bars ont été contraints de fermer dans la capitale. Face à la pression des autorités et devant le refus des services de la direction de la réglementation et de l'administration générale de la wilaya de délivrer de nouvelles licences d'exploitation ou de renouveler celles déjà existantes, les propriétaires préfèrent changer d'activité. «Cette cabale aurait été décidée par Abdelaziz Belkhadem quand il était Premier ministre. Il aurait instruit les autorités locales pour ne plus délivrer de licence de vente d'alcool et fermer les points existants», révèle, sous le couvert de l'anonymat, un des plus importants importateurs d'alcools et spiritueux à Alger. Pour lui, il ne fait aucun doute que les décisions prises à l'encontre du secteur sont d'abord politiques et révèlent une volonté des autorités de donner des gages de bonne conduite aux islamistes. «Il y a, à la wilaya, plus de 850 dossiers de demande de licences, entassés sur les bureaux. Ils attendent d'être traités, mais ils ne le seront pas. Il faut qu'on nous dise si les autorités ont décidé de tuer la filière alcool, qui, par ailleurs, rapporte des milliards de dinars en impôts et taxes aux caisses de l'Etat. De très grands groupes ont investi des centaines de millions d'euros dans la construction d'usines. Et les Algériens aiment boire. Jusqu'à preuve du contraire, l'Algérie est régie par les lois de la République et non par celles de la charia !» En fermant systématique bars et points de vente, l'Etat a détruit une bonne partie de la chaîne de distribution. Première conséquence : les clients se déportent sur d'autres points de vente encore ouverts. A Alger par exemple, certains sont assaillis : pour peu que le point de vente se trouve dans une petite rue, la concentration de voitures provoque la colère des riverains. Qui déposent plainte. On connaît la suite… Frelaté Autre conséquence : la prohibition favorise le marché parallèle. Par petits groupes, des jeunes écument les magasins encore ouverts à Alger ou se déplacent à Tizi Ouzou où les grossistes sont beaucoup plus souples avec la législation en vigueur, qui interdit la vente aux personnes sans registre du commerce. L'alcool est ensuite revendu dans certains quartiers de la capitale au double du prix pratiqué. «C'est un véritable problème de salubrité publique qui est en train de se poser, avertit Ali Hamani, président de l'Association des producteurs algériens de boissons. Les gens achètent de l'alcool au noir sans savoir d'où vient la marchandise. Dans le Sud, la fermeture des bars et des points de vente a favorisé la vente d'alcools frelatés nocifs à la santé.» L'Iran, qui interdit la vente et la consommation d'alcool depuis la révolution islamique de 1979, connaît un boom sans précédent de la consommation. Cette industrie de la contrebande génère 730 millions de dollars, malgré toutes les opérations coups-de-poing contre le marché noir. *Les prénoms ont été changés