Selon le sociologue Nacer Djabi, les Algériens ont une mauvaise image des ministres et ne les considèrent pas comme une «élite». La sociologie politique algérienne s'est rarement intéressée aux origines et à la carrière des dirigeants du pays. Les biographies personnelles ou collectives sont peu nombreuses, compliquant la tâche aux chercheurs, étudiants, journalistes, analystes ou lecteurs curieux. Par exemple, il n'existe pas de livre crédible retraçant l'itinéraire politique et professionnel des chefs d'Etat algériens depuis l'indépendance.Ceux qui ont écrit sur le colonel Houari Boumediène l'ont fait par nostalgie idéologique, par militantisme ou simple passion historique. Il n'y pratiquement rien dans la bibliothèque algérienne d'ouvrages sur Chadli Bendjedid, Ahmed Ben Bella ou Ali Kafi. Ce dernier a écrit ses Mémoires (toujours non publiées), les deux premiers ne l'ont pas encore fait. Et aucun président algérien n'a écrit un livre de sa propre plume ! On ne sait pratiquement rien sur Liamine Zeroual. Idem pour Abdelaziz Bouteflika. Le sociologue Nacer Djabi, au bout de dix ans de travail de recherche, a élaboré un volumineux livre de 670 pages riche en biographies des ministres encore en poste ou ayant servi par le passé. Une véritable «recherche géologique» à l'intérieur de la société algérienne. Al wazir al djazaïri, oussoul oua massarat (le ministre algérien, origines et parcours), qui vient de paraître aux éditions Chihab, permet d'avoir une idée assez précise sur ceux qui, depuis l'indépendance du pays, se sont succédé dans les départements ministériels de tous les secteurs. L'auteur a réalisé des entretiens avec plus de 150 ministres. «La majorité de mes interlocuteurs ont accepté de répondre à mes questions. Je suis allé chez eux, ils sont venus chez moi ou à mon bureau, au Cread. Cela dit, certains n'étaient pas coopératifs à l'image de Bouteflika, Ben Mohammed, Kherroubi, Bouchama. En sociologie, on sait que les membres de l'élite sont toujours méfiants. Il est toujours plus facile de faire parler les gens ordinaires», a indiqué Nacer Djabi, en margé d'une séance de vente-dédicace au 16e Salon international du livre d'Alger (SILA). La réticence de certains hommes politique n'a, d'après lui, pas d'explication précise. Curieusement, les universitaires ont été les plus réservés, les moins ouverts. «Première conclusion de mon travail : les Algériens n'aiment pas leurs ministres. Ils ont une mauvaise image d'eux et ne les considèrent pas comme une élite. Cette mauvaise perception est plutôt celle du système dans son ensemble et pas forcément le ministre en tant que tel», a noté l'auteur, précisant que les Algériens ne font pas de différence entre le système et les individus. Selon lui, les ministres constituent une élite «ordinaire» de par leur parcours, leur origine sociale, leurs diplômes et/ou formations. Autre constat établi par Nacer Djabi : les régions du centre du pays et l'extrême sud ne sont pas représentés dans les nominations des ministres. Sonatrach, Sonelgaz, les grandes universités, les grandes écoles françaises, les médersiens ont «produit» la plupart des ministres algériens. «Peu de ministres sont venus des partis. A l'époque de l'unicité de pensée, les ministres deviennent militants du FLN une fois nommés à leur poste», a-t-il dit. Les zaouïas, ou ce que le sociologue appelle «institutions traditionnelles», «livrent», elles aussi leurs ministres, même si «les institutions modernes» sont plus pourvoyeuses en cadres. «Vous pouvez même trouver des docteurs d'Etat cooptés par des zaouïas. Une trentaine de ministres sont arrivés à des postes de responsabilité grâce à des zaouïas», a-t-il souligné. Nacer Djabi a étudié quatre générations : grands-parents, parents, ministre lui-même et enfants. «Nous avons donc une vue d'ensemble. A travers le ministre, c'est toute l'histoire économique, sociale et politique de l'Algérie qui est étudiée. Certains ministres proviennent de milieux aisés, d'autres de familles pauvres, d'autres encore de cercles proches de l'Etat depuis l'époque ottomane. Il y a donc des milieux qui ont produit pour les Turcs, les Français, la guerre de Libération et les gouvernements d'après l'indépendance. Il s'agit donc d'une continuité dans l'acte de servir l'Etat», a noté le sociologue. D'autres cercles sont apparus avec la guerre de Libération. Il a estimé que l'élite ministérielle reflète, d'une certaine manière, l'histoire politique et économique du pays ainsi que les grandes changements sociaux. Il cite l'exode rural, l'émergence de l'école, le développement des villes, etc. D'après le chercheur, des familles ont produit plusieurs ministres à l'image des Mentouri, des Zerdani et des Ziari. La compétence est-elle un critère de sélection pour un poste ministériel ? «C'est relatif. Le ministre est chargé de la gestion d'un secteur. Il doit théoriquement être qualifié pour le faire, avoir au moins un diplôme. Il ne fait pas de politique. Il est nommé pour gérer», a précisé M. Djabi comme pour évoquer le caractère «technocratique» attribué, à tort ou à raison, aux gouvernements algériens (Bouteflika a consommé huit Exécutifs depuis son arrivée au pouvoir en 1999). Le sociologue prépare une suite à Al wazir al djazaïri, oussoul oua massarat. Il s'agit d'un travail d'analyse. Nacer Djabi est, pour rappel, auteur de plusieurs études et essais comme l'Algérie : l'Etat et les élites ainsi que les Elections, l'Etat et la société.