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Respectons d'abord nos propres valeurs
Le pardon et la mémoire
Publié dans El Watan le 15 - 01 - 2006

Avant d'exiger le pardon de la France, l'Algérie est-elle capable de demander le pardon d'elle-même, de ses propres erreurs ?
Toute victime de l'injustice est en droit d'exiger le pardon de son bourreau. Le crime parfait ou imparfait, le génocide, la séquestration, la violence, le viol, l'outrage, la diffamation, la torture, la suppression d'un pouvoir totalitaire contre un peuple sont considérés comme crimes contre l'humanité car tous ces délits portent atteinte aux droits de l'homme. L'homme a été créé libre, quiconque l'asservit, le détourne par la force de l'éthique - du droit chemin - de ses valeurs humaines, expose l'injuste à la réparation du préjudice causé et à demander pardon pour atteinte à la dignité de la victime exclusion faite d'une soumission librement consentie à Dieu ou toute autre forme d'idéologie ou de croyance. Tout autre asservissement ou soumission par la contrainte est considéré comme délit contre nature. Vis-à-vis de la nature des choses en vertu, de quel droit un homme civilisé peut-il « esclavager » son semblable, surtout dans la société de l'Internet et du savoir où nous vivons ?
L'Algérie, aujourd'hui, réclame le pardon de la France comme droit de mémoire. Si l'on se réfère à l'histoire, pourquoi l'Algérie ne demanderait-elle pas a posteriori, à l'Italie, héritière de l'Empire romain, le pardon pour crimes et génocides perpétrés contre le peuple Numide (algérien) durant 6 siècles de colonisation et de domination des plus féroces. La France ne s'est-elle pas inspirée des mêmes techniques romaines pour conquérir notre pays ? Aux Vandales, aux Byzantins, l'Algérie ne peut réclamer le pardon puisqu'ils ont disparu sans laisser d'héritiers. Les pays et les pouvoirs de ces pays, qui n'ont de « sous-développés que dans la tête », ont la manie de pointer toujours un doigt accusateur vers l'autre, comme étant « l'oiseau de malheur » de leurs tragédies nationales. Le faux alibi est démontré par le proverbe populaire algérien qui disait « ya mahgourti ya djarti » (mon injustice vient de ma voisine). Au lieu de nous attaquer, de nous en prendre à nous-mêmes comme responsables de notre malheur, nous incriminons toujours l'autre : « Ce doigt montre toujours le vis-à-vis (encore un proverbe de chez nous). » Tous les Algériens ou presque, à quel niveau qu'ils soient ou qu'ils sont, du simple citoyen au cadre supérieur de l'Etat ou de l'entreprise vous diront que ce n'est pas de leurs fautes, mais de celle des autres. En clair, c'est l'histoire du chameau qui voit la bosse de son semblable, mais pas la sienne. « Le charbonnier est maître chez soi », disait le proverbe français. La France d'hier, d'aujourd'hui et de demain est libre de reconnaître ou non son tort vis-à-vis des Algériens ou des Sénégalais. Nous, qui sommes le témoin du siècle, la France coloniale nous a enseigné dans ses écoles indigènes que « nos ancêtres sont des Gaulois, que les Arabes sont venus comme des nuées de sauterelles pour saccager les richesses de l'Algérie. Ils sont venus en conquérants sanguinaires. La preuve les Beni Hillal, là où ils sont passés, n'ont laissé que ruines et désolation. Par contre la France, elle, avec sa civilisation européenne, moderne, elle est venue pacifiquement pour vous apprendre le sens du travail, semer la civilisation des lumières, pour vous sortir de la barbarie, de l'ignorance et de la faim ». Nous nous rappelons, comme aujourd'hui, quand le maître d'école nous faisait un exposé sur le maréchal Bugeaud. Il délirait jusqu'à comparer « ce militaire paysan avec sa casquette sur sa tête, la pioche à la main et à l'autre le fusil » à Mohamed notre Prophète (QSSSL). Il nous disait que « le maréchal Bugeaud est envoyé par Dieu comme un sauveur pour sortir l'Algérie des ténèbres vers la lumière ». Les Français croient en la Bible. la preuve, ils ont cru en eux-mêmes. Ils utilisent les normes chrétiennes. Ils ont la foi en leurs propres forces. Ils sont devenus une force. Pour leurs propres intérêts, ils sont capables de coloniser d'autres forces faibles.
Les Algériens ont-ils fait de même ? Ont-ils cru réellement en leur Islam ? Ont-ils géré leur pays en fonction des normes de l'Islam ? Ont-ils compté sur leurs forces propres ? L'Algérie aux millénaires d'art et d'histoire aux 14 siècles d'Islam a cru une seule fois en sa foi, (cette science universelle), en ses propres forces, en ses principes du 1er Novembre 1954. Elle a arraché son indépendance politique à l'image des Américains puritains, sans compter sur les autres. Les Américains sont aujourd'hui entrés pleinement dans la société du savoir et dominent la planète. Nous, les Algériens, nous sommes encore au stade, où nous ne savons pas s'il faut prier les mains croisées ou les mains libres. Nombre d'Algériens n'avaient aucune idée de nos ancêtres, s'ils sont Amazighs, Arabes, Gaulois ou Celtes. A l'indépendance, au lieu de continuer notre voie bien tracée, nous avons perdu notre mémoire, notre boussole à tel point que nous n'avons suivi ni la route de l'Est ni de l'Ouest. Après 42 ans de l'indépendance politique, nous restons comme toujours à la croisée des chemins. Les Américains, faut-il le répéter, eux, ont suivi et appliqué la déclaration de leur indépendance à la lettre. Et leur constitution actuelle est le reflet réel de leur déclaration de 1812. En suivant la proclamation du 1er Novembre 1954 et la déclaration de la Soummam, les Algériens ont fait sortir 800 000 soldats français avec toute leur artillerie et leur logistique sophistiquées, 100 000 « Algériens de service » pour ne pas dire les Harkis, 1,5 million de colons de son territoire. Elle a réalisé - ce que Mohamed notre Prophète a réalisé avec ses compagnons à la bataille de Badr -, un événement des plus spectaculaires à l'échelle mondiale, se libérant ainsi d'une puissance hors du commun, puisque appuyée par les puissances de l'OTAN. En se libérant, l'Algérie par son exemple a aidé les autres peuples opprimés à se libérer. Du moment où l'Algérie a arraché son indépendance politique, elle n'a plus à s'en prendre au colonialisme ni au néocolonialisme, ni à l'impérialisme mondial comme cause de notre crise multidimensionnelle que nous vivons depuis l'indépendance à ce jour. Cette crise est « psycho-amnéso-patho-métabiologique ». Pour les non-initiés, c'est une maladie proche de la névrose et de la maladie d'Alzheimer. Après avoir réussi leur « petit djihad », les Algériens ont perdu la mémoire. Ils ont oublié qu'il fallait continuer la route droite pour arracher « le grand djihad » nécessaire à consolider « le petit djihad », sans quoi ils risqueront de le perdre. La preuve, l'Algérie dépend de l'étranger pour 90% de sa ration alimentaire, 60% de son économie dépend du marché non organisé, délinquant, informel, etc. Les Algériens vivent de la rente pétrolière quasi exclusivement. Les exportations hors hydrocarbures sont de 500 millions de dollars US/an contre 38 milliards provenant du pétrole. Et le pétrole a une durée de vie très courte (20 ans). Il est volatile et ne crée pas de capital fixe. Tout chrétien, tout bouddhiste, tout athée sait qu'une indépendance politique non consolidée d'une indépendance économique n'est que ruine et décadence. La réalité est également là, parmi les pays qui ont confiance en les forces des autres, nul n'a réussi son ascension au podium des pays développés actuels. A-t-on vu un pays quelconque producteur du pétrole regarder en face le président américain en tant que pays libre de sa destinée, y compris l'Arabie Saoudite, premier producteur du pétrole des pays d'Orient, d'Afrique ou d'Amérique latine. Tous les pays en retard exceptés deux ou trois ont prêté allégeance au dieu américain au mépris de Dieu créateur de l'univers. Notre drame, notre malheur est étayé par feu Alfred de Sauvy avec lequel nous avons eu le privilège de nous entretenir à Tunis en 1980. Cet éminent professeur français de la démographie s'est modestement prêté à nous entretenir de la question : « Pourquoi les pays de l'hémisphère Sud sont en retard dans leur développement, y compris l'Algérie ? » Nous, en toute naïveté, nous avons avancé le mobile des séquelles du colonialisme. « Non ! », nous dit-il. Il y a des pays qui n'ont pas été du tout colonisés, qui sont en retard. Donc, il ne faut pas incriminer ni le colonialisme ni le néocolonialisme, à plus forte raison l'impérialisme comme obstacles à votre développement.
Perte de mémoire
Regardez-vous, les USA les plus puritains et les plus intégristes de la religion chrétienne, la Chine, le Japon, croyants bouddhistes, ils ont réussi leurs développements. Nous Européens, notre puissance économique, sociale et politique est due à notre éducation basée sur les normes de la religion chrétienne. Ne pas violer, ne pas abuser, ne pas gaspiller, ne pas tricher, ne pas corrompre, gagner son pain à la sueur de son front, être humble, servir son prochain, ne pas tuer, ne pas usurper, respecter l'engagement, etc, sont des normes contenues dans votre religion et en plus claires. L'économie enseigne qu'à l'extérieur il n'y a pas d'amis, mais des ennemis, c'est-à-dire des concurrents. C'est en respectant et en appliquant ces normes d'éthique et de déontologie chrétienne, que nous sommes devenus performants. Les Algériens doivent s'en prendre à eux-mêmes et non aux autres. Vous avez la plus belle religion du monde et vous l'avez reniée. A de Sauvy nous a dit ceci : « Vos gouvernants, dans leur quasi-totalité, ont concentré leur attention pour enrichir vos ventres, pour vous endormir, vous asservir comme l'ont fait les colons d'hier. Un assisté ne lève jamais la tête que pour remercier le donateur. L'assisté ou l'aidé ne réagit pas à l'insulte de son donateur. L'esclave adore son maître et cherche à l'imiter. » L'assisté est dépendant. Il aimerait que cette aide se perpétue. Du moment qu'il est assuré de sa pitance (misérable), il n'éprouve aucune raison de « se casser la tête comment se fera le lendemain ». L'assisté à cette abominable manie de dire : « Laissez-moi vivre aujourd'hui, tuez-moi demain. » Ceci explique la fatalité inventée par l'imaginaire de l'ignorance. Elle n'est pas divine, comme le fait croire les ennemis de ce proverbe « tout retard apporte du bien », synonyme d'accumulation de problèmes et de la dispersion des efforts. Un retard appelle un autre, il y a ensuite embouteillage. L'esprit enrichi par le savoir produit des idées, crée, met fin à l'ignorance, à la misère et la faim. Le sous-développement est donc dans la tête, et non pas ailleurs. A force de vous nourrir sans travailler, vous avez vendu votre dignité pour une fève comme Enée le prince troyen. Vous êtes devenus des amorphes, une société d'éternels assistés, de « khobsistes de tubes digestifs », devons-nous ajouter. « Un obèse, dit-il, peut-il courir plus vite qu'un tigre ? Pour rattraper votre retard, il faut courir plus vite qu'un tigre, sinon vous serez mangé par le tigre. » Prenant l'exemple de l'Algérie, il nous a répondu avec une sagesse proche de Confucius. « L'Algérie est un pays qui s'est libéré par ses forces propres sans épouser les idéologies ni de l'Est ni de l'Ouest. Elle a chassé le colonisateur d'une manière exemplaire. Mais l'Algérien a chassé le colon, ce n'est pas pour le remplacer ? » Cette phrase a été aussi prononcée par René Dumont, l'auteur de l'Afrique est mal partie, en novembre 1962 à la salle des actes de la faculté centrale de l'université d'Alger en présence du 1er président de la République. Sauvy enchaîne réalisant l'indépendance politique, l'Algérie avait toutes les énergies de réaliser l'indépendance économique grâce à sa foi inébranlable en sa religion. Les enseignements d'Alfred de Sauvy sont, à cet égard, proches de la science du Coran. Quand on sait diriger une petite entreprise, on peut à force de foi et de confiance en soi, diriger, non pas une grande entreprise, mais une multinationale. L'Algérie malheureusement a choisi le film Le diable au corps au lieu Le mépris. Notre religion est celle du pardon, d'entraide, de la consultation et de la concertation, de la paix, de la solidarité, du travail, du juste milieu, de la tolérance, de l'ouverture vers l'autre, de l'unité dans la diversité. « Nous vous avons créé peuples et nations pour vous y reconnaître. » Sourate El Maïda (la table servie) résume et synthétise toutes ces normes en disant : « Unissez-vous pour votre salut et évitez la perversion et l'inimitié. » Le pardon rapproche les antagonistes à conclure le pacte de l'amitié, et de la coopération en vue d'améliorer leur sort, celui de l'humanité, de l'homme en cette vie d'ici-bas. Avoir de la considération, de la grandeur et du respect - quelle que soit sa taille physique - revient à l'homme qui sait pardonner à son ennemi. Il n'y a que les artisans, les sages, les hommes de science qui savent pardonner. Pardonner, c'est lutter contre soi-même. Pardonner incite l'homme à changer, à améliorer sa conduite envers l'autre. C'est le savoir et non l'ignorance qui change l'homme. Les Américains louent les artisans jusqu'à les vénérer comme Dieu. Celui-ci n'a-t-il pas créé l'univers, le cosmos. Ils disent même que « Dieu est Américain ». C'est cette croyance terrible qui a donné aux Américains l'énergie puissante à réaliser leurs rêves : celui de construire leur unité, participer à celle de l'Europe. Ils rêvent aujourd'hui de réaliser l'unité mondiale, une et indivisible à l'image de Dieu-Un. La perte de mémoire est horrible. La névrose a pour cause le désespoir. Dans ce contexte, nous avons l'occasion d'observer un malade type. Il a oublié jusqu'à la date de sa naissance, aux prénoms de ses parents, à la maison où il habite. Il est toujours assisté d'une tierce personne pour s'occuper de lui. D'un assistanat progressif initialement, il est actuellement assisté à 100%. Il débite des discours à ne plus en finir et incompréhensibles. Il nous disait qu'il est marié avec la reine Elisabeth et qu'elle passe chaque nuit avec lui. Privé donc d'esprit il ne sait quelle direction prendre. Il est à la merci de celui qui l'assiste, les médecins, les laboratoires de par le monde n'ont pas réussi à trouver une recette pour le guérir. La guérison ne peut être qu'en lui, en sa volonté. Les drogues ne font que calmer pour un temps la crise de nerfs, la schizophrénie. La guérison est possible, mais le patient doit avoir une volonté farouche de se remettre en cause, de se remettre à se réconcilier avec lui-même, avec la nature, à jardiner, à cultiver des fleurs, à tailler les arbres, à arroser le jardin. Cependant quel fou reconnaît sa folie pour écouter le psychologue. Seul le sage, le croyant, avoueraient qu'ils sont malades. En guise d'espoir, Nazim Hikmet interroge son propre ego : « Où est l'espoir ? » « Eh bien, l'espoir est en toi ! », lui répond-il. C'est l'évidence même, car il n'y a pas d'espoir en les autres. L'Algérie ne doit pas compter obtenir le pardon des autres, sans qu'elle soit en mesure de demander pardon à elle-même pour le préjudice causé à elle-même. La transgression de l'article 2 de sa constitution, la mauvaise gestion de son économie, suivie de la tragédie nationale qui a coûté la vie à 100 000 Algériens et des milliards de dollars US évaporés en incendies et sabotages, la corruption, la dilapidation des deniers de l'Etat, donc des Algériens sont autant de délits contre notre pays, contre l'Islam comme principe sacré de notre croyance. Le fait de remplir les cinq piliers de l'Islam n'est pas suffisant pour mériter le paradis. Lorsque, nous Algériens repentants, nous nous engagerons à respecter nos nobles valeurs (la probité, l'honnêteté, la sincérité, le respect de la parole donnée, le sens du travail, de la coopération, de l'esprit d'entreprise), les autres, par respect, nous respecteront. Dans notre vie quotidienne, celui qui se respecte est respecté même de son ennemi. Alors respectons-nous nous-mêmes, pardonnons-nous, nous-mêmes.
(*) L'auteur est ancien maître assistant chargé de cours à l'université M'hamed Bouguerra de Boumerdès.
Ouvrages consultés :
Constitution algérienne.
Caillois Roger, L'homme et le sacré, ed. Gallimard Paris 1950, 238 p.
Aroua Ahmed, L'Islam à la croisée des chemins, éd. Dahlab, Alger 1991.
Abdelmalek Anouar, La pensée politique arabe contemporain, ed. du Seuil Paris 1970, 379 p.


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