Parmi les métiers au noir que la capitale a vu naître ces dernières années, celui de gardien de parking figure en bonne place. Autoproclamés « gérants » de parkings informels, des jeunes chômeurs, dont la moyenne d'âge se situe entre 18 et 25 ans, ont pris place dans les grandes artères, les rues et ruelles de notre ville où le moindre espace est « réquisitionné » et transformé en aires de stationnement. Armés de triques, de gourdins ou même de simples cannes - considérés à tort ou à raison comme armes blanches - qu'ils exhibent en plein public, ils affichent de manière ostentatoire ces arguments frappants à votre figure afin de vous persuader de leur verser un droit de stationnement. Mettant bien en évidence sa massue, ce jeune gardien de parking, adossé à un mur, commence toujours ses propos avec des paroles mielleuses comme « rana h'na aâmou. Koun m'hani » avant de changer de « langage » dès qu'il sent de votre part une réticence à vouloir lui confier votre véhicule, aux menaces à peine voilées comme par exemple : « Je vous préviens aâmou, ici, il y a beaucoup de voleurs qui rôdent. Vous êtes libre, mais je ne suis pas responsable de ce qui peut arriver à votre véhicule. » Et si vous n'êtes pas particulièrement belliqueux, vous n'avez plus qu'à mettre la main à la poche et verser les 30 ou 50 da selon le moment et l'endroit. Que ce soit pour une demi-heure, une heure ou simplement pour une minute, vous trouverez certainement quelqu'un qui viendra vous demander de payer le « droit de stationnement ». Même si vous vous déplacez à la pharmacie du coin pour acheter un médicament ou chez le boulanger pour vous procurer une baguette de pain, vous serez, sans aucun doute, confronté au phénomène du « parking man ». Les automobilistes récalcitrants et les « têtes brûlées » qui refusent de s'acquitter de cette somme risqueront fort de se retrouver, au prochain retour sur les lieux, avec une lunette arrière brisée, un phare subtilisé, des enjoliveurs démontés, un triangle enlevé, une serrure violée ou les pneus dégonflés ou carrément crevés. Pour cette secte des maîtres des trottoirs, les endroits les plus rentables, en dehors des grandes rues, sont les abords des hôpitaux, des rôtisseries, des pizzerias, les foires, les marchés, les superettes et, bien évidemment, les administrations qui reçoivent le grand public. Cette catégorie de gardiens de parking reste la plus ambiguë et dans plusieurs cas la plus irritante pour les automobilistes, tant les désagréments et les embrouilles avec eux sont monnaie courante. Des bagarres intergardiens se sont produites et se sont soldées même par des assassinats à l'arme blanche ou autre objet contondant. « Rana h'na aâmou » Cependant, la seconde catégorie de gardiens de parking sont ou bien désignés par les habitants du quartier ou s'autoproclament eux-mêmes gardiens de parking, vu que les véhicules passant la nuit en solo ne peuvent, dans la plupart des quartiers d'Alger, qu'être désossés et leur propriétaire rappelé à respecter « l'ordre » établi. La rémunération décidée pour la surveillance des véhicules tourne autour de 500 à 700 Da, voire 1000 da par mois et par voiture dans certains quartiers chics de la capitale. Ces « patrons » de parking peuvent gagner jusqu'à 50 000 DA par mois et se payer ainsi « des steaks bien saignants », selon les révélations d'un habitant d'une cité résidentielle. Ce dernier nous précise que des cas de vol dans des parkings gardés ont été signalés à maintes reprises sans que le préposé à la surveillance ne soit en place. « Cet individu s'est endormi bien au chaud à l'intérieur d'un des véhicules », renchérit notre interlocuteur. D'autres patrons de parking ne trouvent aucun mal à recruter des « adjoints », à raison de 5000 à 8000 DA par mois. « Nous sommes tous responsables » « Nous sommes tous responsables. Que l'on soit élu local ou agent de l'ordre public, nous avons une part de responsabilité de cette anarchie qui sévit dans nos rues et ruelles », nous déclare un agent de l'ordre public sous le sceau de l'anonymat. Les véritables propriétaires des lieux, en l'occurrence les collectivités locales, avouent également leur impuissance devant la prolifération de ces gardiens clandestins. « Ils évoluent dans l'illégalité absolue », affirme cet élu local signalant que la force publique doit agir, car il s'agit d'une occupation flagrante et forcée de la voie publique. Cet élu local, qui reconnaît le fait que ces jeunes chômeurs sont désœuvrés et ne bénéficient pas des avantages sociaux liés à la retraite et aux assurances maladies, se dit tout à fait prêt à en recruter quelques-uns à « condition de bannir à tout jamais ce phénomène » et renflouer les caisses de sa commune. Phénomène national par excellence, la prolifération des parkings informels est due principalement au manque de parkings légaux dans nos villes. Cela persistera aussi longtemps que les nouvelles habitations individuelles ne seront pas dotées de parkings en sous-sol ou de garages. Ces derniers sont transformés, dans leur écrasante majorité, en fonds de commerce. « Les éléments des sûretés urbaines implantées dans les quartiers ainsi que les élus locaux sont les premiers responsables de la sécurité publique. Et c'est leur mission de réglementer cette activité et de garantir la sécurité des lieux », atteste un habitant d'une cité résidentielle qui précise qu'aucun des deux « n'accomplit sérieusement » son devoir. « Ces deux organismes ont délaissé leur mission. C'est pour cela que l'anarchie est omniprésente dans les lieux publics. Vous n'avez qu'à consulter le nombre sans cesse grandissant de vols et d'agressions perpétrés par des jeunes à cause de l'insécurité et de l'impunité », avoue notre source. Cependant, la circulaire transmise depuis quelques jours par le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales aux différentes Assemblées populaires communales devra mettre un terme à cette anarchie qui, en fait, n'a que trop duré.