Les marches de protestation de milliers de Tunisiens contre la diffusion par Nessma TV du film Persépolis qui mettrait en scène l'image de Dieu, ont réveillé de mauvais démons à Alger. C'est l'occasion de reparler des responsabilités algériennes dans les processus révolutionnaires en cours dans deux pays maghrébins frontaliers. Le président Bouteflika a subi la chute de ses amis autocrates et dictateurs. Mais ne cherche toujours pas à sortir du deuil symbolique d'un monde arabe «stable» pour déployer un repositionnement prospectif. Ceux qui ont misé sur le changement ont gagné. Ceux qui ont attaché leurs chars au sort des régimes en place ont perdu. Il est encore temps de le comprendre. Et de réagir. Dans le cas de la Tunisie, l'Algérie peut beaucoup. Elle peut même plus que tous les autres pays arabes réunis. Il suffit pour cela de prendre le pari de consolider le processus démocratique. Non pas d'en faire un paria et d'espérer son dérapage. Voir de le susciter. La Tunisie est un pays en reconstruction institutionnelle qui a besoin d'un coup de main historique. L'Algérie, 14e investisseur étranger aux Etats-Unis, se pose de plus en plus des questions sur l'utilisation de ses excédents de réserve de change. L'achat de dettes souveraines n'est plus le placement le plus sûr. Alors qu'il est depuis longtemps déjà le placement le moins rentable. Il y a mieux à faire. Le ministre des Finances tunisien, Jelloul Ayari, a lancé cette semaine le fonds générationnel Ajyel, qui servira de levier aux investissements dans la nouvelle Tunisie. Il sera capitalisé par des apports publics tunisiens et par des fonds privés et étrangers. En un mot, il est ouvert aux fonds arabes en particulier. Le Fonds Ajyal compte 1,3 milliard d'euros de départ. Et prévoit de lever 2,5 milliards d'euros dans les deux années qui viennent. Alger tient ici une opportunité inestimable de rattraper le temps perdu dans le processus tunisien et au-delà dans la construction du Maghreb. Le président Bouteflika a certes déjà accordé une aide financière de 100 millions d'euros à la Tunisie en mars dernier lors de la visite du Premier ministre Caid Essebsi à Alger. Il pourrait faire un coup multiple en apportant 5 ou 10 fois plus à la Tunisie. Non plus sous forme d'aide, mais plus stratégiquement sous le label du financement de l'investissement. Il s'agit de parier sur le retour d'une forte dynamique de croissance dans ce pays qui a su la trouver durant de longues années avant que l'esprit de rapine du clan Ben Ali – Trabelsi ne vienne l'étrangler. De parier et d'en profiter. Trois avantages évidents pour justifier ce risque – très relatif, il s'agit d'un milliard d'euro - plus transcendant politiquement comme placement que les bons du Trésor américains. Le premier retour sur investissement : contribuer, en encourageant la reprise économique, à éviter un enlisement puis un dérapage de la transition tunisienne. Il n'y a politiquement rien à gagner pour l'Algérie dans un scénario tunisien chaotique, contrairement à ce que pensent à l'unisson le courant présidentiel et le DRS. Un échec tunisien ne rendrait pas les Algériens plus frileux à l'idée du changement. Plus complexe. De ce point de vue, l'insidieuse campagne algérienne pour assécher, l'été dernier, les visites touristiques des nationaux en Tunisie est une grossière erreur de cap. Deuxième avantage à l'entrée conséquente de l'Algérie dans le fonds Ajyal, le lancement pour Alger du management de fonds à l'international. Un métier redouté par le gouvernement algérien. Raison partielle pour laquelle le fonds souverain algérien tarde à naître. Un premier investissement de portefeuille dans un pays voisin, sans doute le mieux connu des opérateurs et des officiels algériens, est un banc d'essai à moindre inconnu. Il permettra d'initier une politique de placements algériens dans les actifs internationaux devenue une nécessité avec l'émergence de la crise des dettes souveraines. Troisième avantage avec un solide apport algérien dans Ajyal : la reprise de langue avec le marché libyen. Le fonds Ajyal prévoit d'accompagner les entreprises tunisiennes dans les pays voisins, en Libye prioritairement. La Tunisie veut même se placer, légitimement, en plateforme de l'investissement en Libye. Les contrats seraient en Libye et les partenaires en Tunisie. L'UTICA, la puissante organisation patronale tunisienne, appelle à un marché commun tuniso-libyen. Tripoli a déjà opiné. L'isolement des entreprises algériennes, contenues par une frontière terrestre maintenue fermée sur leur flanc ouest, est une réalité en marche sur la scène maghrébine des prochaines années. De tous les points de vue, l'appel à capitaux ouvert par le lancement du fonds Ajyal apparaît comme un signe du ciel. L'Algérie peut revenir dans le Printemps arabe par la grande porte de l'acteur financier bienveillant. Visionnaire et pas ingrat. La Tunisie a bien été la soupape algérienne des années de guerre civile.