La taille du secteur public est passée, à peu près, de 81% du PIB hors hydrocarbures en 1988 à 19% en 2011. Ce recul est du à de nombreux facteurs en interaction. La privatisation de plusieurs centaines d'entreprises, la fermeture d'autant sinon plus et le recul des performances de la vaste majorité ne sont qu'un échantillon des motifs les plus connus. Par ailleurs, le dynamisme du secteur privé et l'ouverture brutale de l'économie aux échanges internationaux, sans préparation suffisante, avaient induit des pertes de marchés importants, en grande partie responsables des faillites de nos EPE. En outre, la manière dont est configuré le secteur : sa culture managériale, son extrême centralisation et les nombreuses injonctions dont il est l'objet compliquent extraordinairement sa remise sur les rails. Il est grand temps que les experts, les pouvoirs publics, les syndicats et les personnels du secteur public réfléchissent à une restructuration et des modes opératoires pour concevoir des réformes qui mettraient fin à plusieurs années de bricolage. Les récentes dotations en ressources financières pour assainir et moderniser l'outil de production apporteront peu de nouveau, si on ne revoit pas en profondeur les modes de fonctionnement du secteur. Les mêmes mécanismes, structures et personnes produisent toujours les mêmes résultats. Alors qu'elles seraient les contours d'une véritable réforme du secteur public ? Nous proposons un point de vue loin d'être exhaustif ou exclusif. Mais il faut bien démarrer quelque part. Le référentiel d'abord Les interminables restructurations n'ont rien changé aux performances du secteur public national. Plus on y injecte des ressources, plus la valeur ajoutée créée et la taille de ce secteur se rétrécissent. Nous avons besoin d'un audit sérieux pour avoir des données précises. L'un des principes de base de la bonne gouvernance réside dans la transparence. Or, nous avons un énorme problème dans ce domaine. Nous savons que le secteur public économique, hors hydrocarbures, emploie à peu près 480 000 personnes. Sa valeur ajoutée représente moins de 15 milliards de dollars. L'économie est la science des choix rationnels. L'optimisation des ressources dépend de la qualité des données et des capacités des responsables à les combiner pour en produire des décisions optimales (Travaux de Herbert Simon, prix Nobel d'économie en 1978). Ceci explique pourquoi bon nombre de dirigeants ont recours aux simulateurs économiques pour s'entourer du maximum de précautions. Mais tout est flou autour du mode de fonctionnement de notre secteur public. Combien de ressources ont été injectées pour le maintenir en vie ? Les assainissements publics et les crédits de complaisance octroyés par le fameux dispositif banque/entreprise, mais jamais repayés, ont déversé des sommes colossales, mais jamais confirmées par une analyse précise. Les chiffres avancés varient de 40 à 180 milliards de dollars. Même si l'on considère l'estimation basse (40) on doit s'interroger sur les alternatives d'utilisation. Une somme de 40 milliards de dollars, injectée dans un nouveau tissu de PME/PMI, bien ciblé, créerait plus de trois millions d'emplois et induirait une production supplémentaire de plus de 30 milliards de dollars par an, dont une part importante irait fouetter les exportations. Le raisonnement économique est différent de celui du politicien moyen. Pour ce dernier, si on est de gauche, il faut sauvegarder toutes les entreprises publiques coûte que coûte. On critique alors tout essai de mettre en faillite une telle entité. Puis on se lamente sur le sort de millions de nos jeunes qui sont sans emploi. On ne sait pas ou on feint d'ignorer que ce sont les subventions et les crédits de complaisance (plus les importations) qui sont responsables du chômage des jeunes. On défend une chose et son contraire. On ne se pose même pas la question de savoir : quelles sont les meilleures alternatives d'utilisation de nos ressources ? Un politicien moyen ne comprend pas que pour conserver un millier d'emplois, dans une entreprise déstructurée qu'il appelle à sauvegarder coûte que coûte, il détruit 6000 emplois qui auraient dû être créés au profit de nos jeunes. Il ne voit pas que pour garder une production de 100 000 DA par an (qui serait de toute façon préservée par les acquéreurs des actifs) il empêche le pays de créer une richesse supplémentaire de 600 000 DA /an. Il voit ce qu'il en est, pas ce qu'il pourrait y avoir. Mais les politiciens visionnaires savent déceler l'essence de l'apparence. Ceci explique pourquoi, malgré des performances enviables, les Chinois et les Vietnamiens sont en train de bien privatiser des entreprises qui sont considérées non stratégiques et qui par conséquent doivent être cédées. Les études quantitatives qui sont disponibles en Algérie montrent que, dans la vaste majorité des cas, les entreprises nationales acquises par le secteur privé algérien ont grandement amélioré leurs performances. Pourtant, le citoyen moyen croit le contraire. Ce qu'il faut faire Plusieurs pays à économie de marché évoluée disposent d'un secteur public performant. Le schéma anglo-saxon, dans lequel les entreprises publiques sont rares, est exceptionnel et ne peut fonctionner que dans leur contexte, avec leur culture de prise de risque, d'individualisme et de rejet de l'étatisme. C'est une situation extrême qui convient à de rares pays. L'autre extrême est caractérisé par le tout-Etat. Cuba et la Corée du Nord en constituent les dernières reliques d'un système qui n'a jamais bien fonctionné nulle part. Il reste donc ce qui a marché avec ses apports positifs et ses inconvénients : l'économie de marché à dominante privée, mais avec un secteur public stratégique non négligeable (Allemagne, Suède, France, Japon, etc.). Les pays émergents les prennent pour modèle. Le secteur public dans ces pays est constitué d'entreprises stratégiques (électricité, transports lourds, industries de défense nationale, aéronautique, formation, santé…). Ces pays évitent d'aller vers des activités pour lesquels le secteur privé est plus indiqué (agroalimentaire, hôtellerie, tourisme, bâtiment...). En second lieu, le secteur privé détient souvent des participations minoritaires dans ces entreprises publiques. Des commissions parlementaires spécialisées sont responsabilisées sur son contrôle et son orientation. Le secteur public en Algérie est surpolitisé, hyperadministré et organisé selon un schéma trop lourd. Le processus de décision est long, complexe et trop déconnecté des exigences de hautes performances. La nomination des managers obéit souvent à un processus de cooptation, déconnectée de toute référence aux résultats. La culture ambiante est à l'évitement du risque plutôt que la recherche des performances (retard dans la décriminalisation des actes de gestion). L'utilisation des acquis du management et de toutes les disciplines des sciences de gestion y est insignifiante. Les managers ont des rémunérations trois à cinq fois moins que leurs collègues des entreprises privées. Une saignée s'ensuit. Ceux qui restent aspirent uniquement à leur retraite pour partir. Le climat est à la morosité. Comment peut-on croire que dans un tel secteur, l'injection massive de ressources pour assainir et moderniser l'outil de production puisse donner des résultats ? Toute analyse objective des mécanismes mis en place ne peut aboutir qu'à des conclusions peu encourageantes. Et pourtant ! On persiste à croire en l'impossible. Il est également étonnant que la nouvelle stratégie de développement repose sur un secteur moribond, incapable d'assurer sa propre survie. Alors de grâce, ne lui demandons pas de faire de l'Algérie un pays émergent. Nous sommes en train de rêver debout. Cependant, il y a quelques entreprises (performantes) à récupérer et à booster. Elles ne sont pas très nombreuses (peut-être une centaine tout au plus). Nous avons des bureaux d'études nationaux (publics et privés) capables d'identifier des entreprises publiques stratégiques performantes ou susceptibles de le devenir, moyennant un certain nombre de mesures d'accompagnement. Ces entreprises gagneraient à être identifiées, auditées et traitées en profondeur. Il faut alors leur créer les conditions d'un développement harmonieux. Depuis la promulgation des textes sur l'autonomie, les managers vous diront que les entreprises qui disposent de la marge de manœuvre nécessaire pour réaliser leurs missions sont extrêmement rares. L'entreprise nationale a de tout temps été soumise aux desiratas de multiples administrations. Nous avons besoin d'un secteur public fort, bâti autour d'un noyau d'entreprises libérées du carcan administratif. Il nous faut une commission spécialisée au niveau du Parlement qui est chargée de le surveiller afin d'empêcher l'administration de l'étouffer. Nous aurons besoin de tout un réseau de sociétés algériennes d'audit pour révéler, en toute transparence, les performances aux citoyens et aux pouvoirs publics. Il doit y avoir l'autonomie nécessaire pour assurer sa performance : l'équilibre entre les décisions des élus (commission parlementaire de véritables élus du peuple éclairés par des bureaux d'études) et ceux des ministères techniques améliorera la marge de manœuvre des managers. Ces derniers doivent être choisis selon des critères prédéterminés de formation, d'expérience et de résultats prouvés. Leur rémunération sera à hauteur de celle des meilleurs managers qui œuvrent dans notre pays. Nous devons changer radicalement la culture interne de ces entreprises. Les sciences de gestion ont les solutions. Mais les forces de l'inertie retiennent ces entreprises otages de la bureaucratie, du clanisme, du favoritisme, du tâtonnement et de la gabegie.