C'est parti pour quatre jours, sur les bords de oued Seybouse, au pied de la majestueuse Maouna, qui domine la ville de Saint-Possidius, l'antique Calama, et son théâtre romain restauré au début du siècle dernier. Du 25 au 28 octobre, Guelma abritera le 3e colloque international dédié à Kateb Yacine, sous le thème : «L'expérience théâtrale katébienne». Et pour la troisième année consécutive, c'est toute une wilaya de l'Est qui se met au diapason du «père» de Nedjma. Kateb Yacine, né un 2 août 1929, du côté de Condé-Smendou, actuelle Zighoud Youcef, dans la wilaya de Constantine, est un produit originaire d'une tribu de la wilaya de Guelma, les Beni Keblout, plus communément appelés Keblouti, vivant dans la mechta Aïn Ghrour, du douar Sfahli, dans la commune de Hammam N'bails, située à quelque 35 km au sud-est du chef-lieu de la wilaya. Et c'est précisément ce village, dont le nom évoque une source thermale, qui a fait sa réputation dès les années 1940, qui commence à se réapproprier l'enfant du pays. Longtemps, Kateb Yacine a été ignoré, voire oublié, des habitants du village, plus particulièrement de la jeune génération issue de l'arabisation, arbitraire de l'enseignement. Mais voilà. Certaines âmes, âgées maintenant, œuvrent pour une reconnaissance officielle de l'homme de lettres et de théâtre. Mais cette reconnaissance s'avère être un chemin semé d'embûches posées par certains pseudo-puristes qui vont jusqu'à dénigrer l'appartenance de Kateb Yacine à l'univers culturel algéro-musulman. Combien de fois n'entendons-nous pas du côté de l'ancienne SAS du village, ou du côté de la nouvelle cité du CEM, ce qualificatif de «kafar» (mécréant) le concernant ? L'ignorance peut parfois mener à une seconde mort n'était la sensibilité de quelques-uns au verbe katébien, à l'algérianité de ses écrits et de son théâtre, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Kateb Yacine a pu être revisité, révisé même par quelques jeunes et moins jeunes du village qui souhaitent l'inauguration d'une rue ou d'une effigie à son nom. Bonnes initiatives qui méritent d'être étudiées de près par les autorités locales, mais celles-ci ressentent-elles cette urgence mémorielle, car il s'agit bien d'une urgence mémorielle ? Hammam N'bails, plus particulièrement Aïn Ghrour, mérite cet hommage qui contribuera certainement à faire de cette partie un peu oubliée de la wilaya de Guelma un lieu touristique d'envergure régionale, si ce n'est nationale. Encore est-il qu'un effort se doit d'être accompli auprès de la population pour l'aider à mieux connaître celui qui a donné naissance au nouveau roman algérien, celui qui a favorisé l'émergence d'un théâtre typiquement algérien. Malgré ce lavage de cerveau imposé par le pouvoir depuis l'indépendance, malgré cette islamisation désordonnée de la société, malgré ce déni imposé de notre passé amazigh et de notre histoire nationale, il est des hommes, des femmes, qui n'ont jamais oublié Kateb Yacine, y compris à Hammam N'bails, qui s'est, au fil des années, retrouvé complètement arabisé par le système à tel point que la presse francophone est quasi absente des étals à journaux du village. Un vrai gâchis qui a mené les habitants à l'ignorance, voire au dénigrement de l'illustre enfant des Keblouti. Le danger est toujours là, puissant, omniprésent, tantôt émanant de puristes de la langue arabe, qui ne pardonneront jamais l'émergence d'un théâtre algérien, dans son arabe algérien, une langue qui, contrairement à la langue arabe classique, est bel est bien vivante, tantôt également, des islamo-conservateurs, qui estiment que toute l'œuvre katébienne est «une invitation à la débauche, une incitation à abjurer l'islam et le sceau de la prophétie». Un prêche aurait même été donné dans ce sens, lors d'une prière du vendredi, dans l'une des deux mosquées du village, en 2010. Voilà où réside à présent l'urgence pour Hammam N'bails, pour que ce village, et plus particulièrement la mechta de Aïn Ghrour, ne sombre pas à nouveau dans l'oubli. Les habitants méritent mieux que des sermons violents. Ils méritent d'être considérés comme voisins d'un monument culturel de l'Algérie. D'où la nécessité d'aider ces quelques personnes, qu'elles soient résidentes dans la commune ou originaires de celle-ci, à faire en sorte que Hammam N'bails puisse se réapproprier son enfant.