L'on a parlé et débattu de la musique malouf et andalouse du regretté M'hamed El Kourd né dans la vieille ville de Annaba le 2 août 1895. Jeune, il avait bourlingué un peu partout à travers le monde, fréquenté et côtoyé les grands maîtres de la musique arabe de Syrie, d'Egypte, de Tunisie puis ceux d'Europe, notamment de Turquie et d'Allemagne, cet enfant prodige de Bouna des années 1940, ce spécialiste du tar était devenu virtuose du piano appelé « les doigts d'or ». Maître à penser local de la musique tout genre sous l'occupation, ses chansons représentaient pour les colons un danger réel. En effet, chaque terme et chaque note reflétaient une réelle volonté de pérenniser l'identité algérienne. Pris dans l'œil du cyclone de l'occupant français, il profita de son appel sous les drapeaux en Syrie pour décanter, décider et devenir pour la fierté de pouvoir se dire Algérien. Son passage au pays de Salah Eddine El Ayoubi, celui du Nil et des pyramides, puis la verte Tunisie lui avait permis de mieux asseoir son talent de musicien. Il s'inspira aux côtés des grands maîtres de la chanson arabe, comme Derrouïche, Abdelwaheb et le chantre de la musique et de la chanson tunisienne Khemis Termène. D'esprit très libéral, M'hamed El Kourd immigra vers le Kurdistan où il fit connaissance avec la musique Kurde. Elle l'envoûta au point de devenir son violon d'Ingres. Ses séjours en Occident et au Machrek au rythme de ses pérégrinations dans différents pays de ces coins du monde stimulèrent son énergie et surtout son sens de la création musicale. De la musique classique occidentale à celle kurde et de l'orientale à l'andalou, du malouf au haouzi, les quassidet et les valses se multiplièrent au rythme des notes de son piano. Layoun el ahbara et Bellah ya hamami, entre autres chansons, lui permirent d'acquérir la notoriété. Son nom était indissociable de la vie culturelle régionale sur laquelle il exerça par la suite une grande influence. Côté public, combien de gens sont venus à la musique malouf parce que M'hamed El Kourd, issu d'une famille de musiciens aïssaoua, a su régulièrement montrer le chemin. Les Temmar H'sen et Abdelhamid, Hassen El Annabi, Hamdi Benali, Layachi Dib et beaucoup d'autres chanteurs et musiciens locaux s'en sont inspirés. Ceux qui le connaissaient parlaient de son chez-lui dans ce quartier de la place d'Armes. Ils parlent de ses doigts agiles qui domestiquaient le clavier de son vieux piano. Il palpait, caressait et interrogeait, disaient-ils, les touches comme s'il s'agissait de les mettre en condition avant de lancer ses premières notes d'une sonorité envoûtante. Il composait, produisait et savourait en même temps, irrésistible de conviction et d'amour profond de sa musique colorée. C'était comme si M'hamed El Kourd cherchait à mettre fin à une solitude, la sienne et celle de ceux qui l'écoutaient, en s'adressant à son prochain en termes musicaux. Quand il chantait, le timbre de sa voix gardait sa juste intensité tout en portant le son. Il ne cessait de chercher le rapport de proximité que seul nourrissait son don. M'hamed El Kourd transforma la musique malouf en une mode bousculant les règles, organisant le métissage avec la musique andalouse et occidentale. Profitant de l'effacement des frontières musicales, cet artiste s'imposait partout dans les soirées familiales ou à l'occasion des rares concerts. Ce qui devait l'amener à un tiraillement entre sa foi dans la réussite personnelle à imposer sa musique malouf accompagnée de l'épanouissement, de la subjectivité et la nécessité de tracer ses frontières. Tel un poisson pilote, il pénétra le cercle de la bourgeoisie et ses territoires périphériques, là où se dissolvaient les mœurs et où se dérèglent les sens. Lorsque le 10 octobre 1951, sa voix s'éteignit définitivement, Bône et sa région connurent le vide musical. L'association qui porte son nom, El Kourdia, tente depuis des années de reprendre le flambeau. C'est toute la vie de ce grand musicien, chanteur et compositeur M'hamed El Kourd qu'a retracé Lakhdar Boubakeur, un homme de culture, musicien et président de l'association Hassen El Annabi à l'occasion de cette 80e édition du club du Jeudi culturel de Annaba ce dernier jeudi.