Depuis que le parti tunisien Ennahda est confirmé dans son statut de première force politique en Tunisie à la faveur des résultats de l'élection de l'Assemblée constituante, ses dirigeants ont le vent en poupe. Bien que ne disposant pas de la majorité parlementaire, les responsables de ce parti islamiste considèrent, néanmoins, que le score électoral de plus de 40% réalisé leur donne la légitimité populaire pour gouverner en position de force et conduire les réformes constitutionnelles. Conscient que son parti est condamné à cohabiter avec d'autres formations politiques dans les institutions de la transition, le président d'Ennahda, Rached Ghannouchi et ses cadres multiplient les déclarations apaisantes et de bonne volonté en direction des autres formations de l'opposition, les invitant à intégrer le gouvernement et à entrer dans des alliances avec son parti pour bâtir une majorité parlementaire largement représentative, reflétant la cartographie du scrutin de dimanche dernier. Le dénominateur commun de ces forces politiques appelées à se retrouver au sein de cette «grande alliance» à laquelle a appelé le leader d'Ennahda reste l'opposition au régime de Ben Ali. «Nous sommes disposés à entrer dans un gouvernement démocratique avec tous ceux qui ont milité contre Ben Ali», a confié hier Ghannouchi à Radio express FM. Angélisme politique ou ruse de guerre ? Cet héritage en guise de programme commun que les partis d'opposition à l'ancien régime, toutes tendances confondues, ont en partage, suffit-il pour bâtir des alliances politiques solides qui impliquent nécessairement des compromis difficiles, une cohabitation où, sur certains dossiers sensibles, le réflexe partisan reviendra naturellement au galop ? On a vu le résultat dans les pays gouvernés au nom de la légitimité révolutionnaire et autres que celle sortie des urnes ! Les partis démocratiques et progressistes que l'on retrouve dans l'éventail du spectre politique tunisien ayant émergé à la faveur de ce scrutin et qui va du Parti démocrate progressiste (PDP) à Ettakatol en passant par le Congrès pour la République (CPR) sont-ils solubles dans le programme politique et de gouvernement d'Ennahda ? Quand on lit les déclarations des leaders des partis tunisiens qui ont eu les faveurs de l'électorat, les contours d'un deal pour le partage du pouvoir entre Ennahda et les autres forces politiques apparaissent clairement en filigrane dans les intentions affichées désormais publiquement par les uns et les autres. Ennahda a jeté son dévolu sur l'Exécutif, conscient que les leviers du pouvoir sont concentrés au sein du gouvernement. Les chefs des autres partis susceptibles de rentrer dans la future coalition gouvernementale rêvent pour leur part de s'installer au Palais de Carthage. Au-delà de l'équation de l'exercice du pouvoir qui semble être réglée, Ennahda ne s'empêche pas déjà, forte de sa position de première force politique, d'attaquer au marteau-piqueur des positions avancées des démocrates modernistes en s'en prenant aux «Franco-Arabes» tunisiens dans son plaidoyer pour la réhabilitation de l'usage de la langue arabe. Ce qui donne un avant-goût des luttes à venir qui promettent d'être âpres avec toutes les conséquences que cela peut induire sur le fonctionnement des institutions de la transition et la stabilité du pays.