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Le 20 octobre 1541 Charles Quint attaqua Alger
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Publié dans El Watan le 28 - 10 - 2011

Parmi les actes fondateurs de l'Etat algérien, il en est un qui vit la résistance de la population d'Alger à l'invincible armada de Charles Quint. Cet événement, qui s'est déroulé il y a 470 ans exactement, a changé la géopolitique de la Méditerranée et du Maghreb pour des siècles. Dans un dernier sursaut, le Maghreb échappait à la mainmise totale de l'Espagne et de façon durable sur le bassin occidental de la Méditerranée. Cette zone de la Méditerranée fut un enjeu politique et militaire entre les deux grandes puissances de la Méditerranée qu'était l'Empire ottoman et l'empire de Charles Quint. Alger fut un enjeu de taille qui mobilisa la présence de l'empereur à la tête de l'expédition.
Depuis 1536, Kheir Ed Dine, appelé à de hautes fonctions auprès du sultan à Istanbul, avait été remplacé au gouvernement d'Alger par un de ses officiers, Hassan Agha, qui avait été recueilli enfant sur les côtes de la Sardaigne et qui avait poursuivi l'œuvre de son père adoptif en s'emparant de Biskra, Mostaganem et Tlemcen, et en renforçant la flotte d'Alger.
Celui-ci eut à faire face à la plus formidable flotte réunie en Méditerranée durant le XVIe siècle. En 1541, sous le pontificat de Paul III, une expédition comportant une flotte de 600 voiles, dont 65 grandes galères, montées par 12 000 marins et 24 000 soldats (Laugier de Tassy donne le chiffre de plus de 30 000), commandée par Charles Quint et à laquelle participa la fine fleur de la noblesse d'Espagne, d'Italie et d'Allemagne et les chevaliers de l'Ordre de Malte, se dirigea sur Alger. Le pape avait voulu que son neveu Colonna en fît partie. Une bulle du Pape absolvait de tous les péchés ceux qui mourraient en combattant les infidèles et leur promettait la couronne du martyre. Hassan Agha, lui, avait fait des préparatifs en fonction de cette attaque.
Un document de l'époque relate cette préparation : «Hassan s'occupa à fortifier la ville et à la mettre en état de résister à l'ennemi. Il reconstruisit les murailles, répara ce qui était écroulé, les garnit de canons ainsi que les tours. Il employa quatre cents chrétiens à ce travail… Ensuite, il envoya chercher le cheikh de la ville et se fit remettre la liste des hommes de chaque quartier… Le gouverneur fit couper tous les arbres des jardins, pour que l'ennemi ne puisse pas s'y dissimuler pendant le combat : les premiers arbres coupés furent ceux de son propre jardin.» L'armada arriva dans la baie d'Alger le 20 octobre 1541 et jeta l'ancre près du cap Matifou (Tamentfoust), soit trois jours avant la fin de djoumada II 948 de l'hégire. Le gardien de la mer informa Hassan Agha de l'arrivée de la flotte : «J'ai essayé de compter la flotte chrétienne, mais je n'ai pu y réussir, mes yeux étaient obscurcis par cette multitude de vaisseaux.» Le débarquement commença le 23 octobre sur la rive gauche de l'oued El Harrach, et le 24, l'armée commença à encercler Alger par le sud.
90 000 hommes
D'après une source locale : «Hassan Agha demanda à Sidi Saïd El Chérif, le cheikh de la ville, d'envoyer des gens sur les tours et sur les murailles pour les garder et combattre l'ennemi. Hassan mit également des chefs pour garder les portes avec des troupes de soldats : à Bab Azzoun était posté un des principaux hommes de guerre, nommé El Hadj Mami, célèbre par sa bravoure. Hassan se tint dans un des forts d'Alger dont les canons battaient l'ennemi sur terre et sur mer… Il plaça au-dessus de la porte Bab El Oued un immense canon dont le bruit terrifiait l'homme et dont les décharges anéantissaient l'âme. De cet endroit jusqu'à La Casbah, le commandement fut confié à un caïd. Il se nommait Hassan. Le gouverneur chargea le caïd Youssouf de la défense de Bab El Oued. Il y avait avec lui trois autres caïds : l'un, appelé Safar, fut placé à une tour, le second, Aslan, à la partie inférieure des murailles, et le troisième, Ramdhane, sur un point quelconque. Quant à Kutchuk Ali et Haïder, ils furent placés à la Porte de l'Ile (porte de la Marine) ayant avec eux le capitaine général de la marine, nommé Khidr, et une troupe de raïs.»
L'avant-garde de l'expédition contre Alger était formée par les Espagnols sous le commandement de Fernand de Gonzague. Au centre se tenait l'empereur avec les troupes allemandes ; les Maltais et Siciliens, avec les chevaliers de Malte, composaient l'arrière-garde, sous le commandement de C. Colonna. Selon le chroniqueur local : «Le roi d'Espagne débarqua avec 90 000 hommes et passa la nuit du dimanche à lundi sur l'emplacement appelé El Hamma. Il y avait un des principaux Turcs qui résolut d'aller attaquer de nuit les chrétiens. On lui ouvrit les portes de la ville… Cette sortie eut lieu lorsqu'il restait encore un quart de la nuit. Les infidèles ne s'en doutèrent pas, car la saison était pluvieuse… sinon au moment où les musulmans jetèrent le désarroi parmi eux et firent une décharge de fusil en une seule fois. Ils lancèrent aussi des flèches, ce qui causa un trouble extraordinaire... Les Algériens rentrèrent en ville après avoir tué beaucoup d'ennemis. Le lundi, les chrétiens se mirent en marche vers la ville, ayant avec eux le tyran et s'approchèrent des murailles, en bon ordre.
Ils ressemblaient, aux yeux des habitants, à des masses de fourmis noires remplissant la plaine. Il y avait parmi eux 4000 cavaliers. On commença à leur envoyer des remparts, des coups de canon, des balles et des flèches. Ce jour-là, des soldats turcs marchèrent au combat et montrèrent une grande valeur, entre autres El Hadj Bacha, El Hadj Mami, Khidr, El Hadj Bekir qui livrèrent jusqu'à la nuit une bataille acharnée. Les ennemis revinrent à Ras Tafourah où ils établirent leur camp. Ils s'emparèrent de toutes les collines et se disposèrent à attaquer la ville.» L'empereur installa son quartier général sur une colline appelée Koudiat El Saboun afin de tenir la ville sous les feux de son armée. Cette petite colline, qui disposait d'un petit bastion, domine l'actuel hôtel El Aurassi, et qui porta le nom de Fort l'Empereur. Charles Quint envoya un messager à Hassan Agha pour lui demander de se rendre, lui faisant valoir qu'il avait été baptisé et qu'il devait revenir à sa religion originelle. De plus, il lui fit remarquer que Tunis, beaucoup plus grande et mieux défendue, avait succombé sous les coups de l'armée impériale (1535).
Et vint la tempête
Hassan Agha repoussa ces arguments avec fermeté en faisant remarquer que les Espagnols avaient déjà échoué deux fois devant Alger (ceux de Diego de Vera et de Hugo de Moncada). Dans la même soirée, la pluie se mit à tomber en même temps qu'une tempête de nord-ouest s'élevait et mettait à mal la flotte qui était en rade. L'armée espagnole, sans tentes ni vivres, empêtrée dans la boue, prise au dépourvu, subit le feu nourri des Algériens. Voilà en quels termes le chroniqueur algérien décrit le moment : «Le mardi, Dieu Très Haut envoya, vers la fin de la nuit, une violente tempête qui rompit les câbles des navires. Ils dressèrent les mâts de peur de périr, mais le vent ne cessa d'augmenter. L'amiral qui se nommait Doria eut l'esprit troublé comme tous ceux qui étaient à bord des navires. L'ouragan violent, envoyé par Dieu, poussa la flotte contre le rivage : les vaisseaux périrent sur des rochers, les esclaves musulmans s'en évadèrent et les gens d'Alger coururent exterminer les marins chrétiens jusqu'au dernier. Le tyran vit ses navires submergés et détruits, sa puissance brisée, son éclat éteint et l'abaissement qui le menaçait…»
«Nous reviendrons !»
La légende retiendra de cette déroute que le porte-étendard de l'Ordre, le Français Ponce de Balaguer, chevalier de Savignac, planta sa dague dans la porte Bab Azzoun qui se refermait devant lui, en s'écriant : «Nous reviendrons !» Quelques heures plus tard, il mourait sur la plage. Les historiens ne retiennent pas cette version fabriquée après coup. Le chevalier de Villegagnon, Chevalier de Saint-Jean qui fit partie de l'expédition et de l'attaque de Bab Azzoun et qui fut blessé trois fois, ne rapporte cet épisode ni dans son rapport au vice-roi du Piémont ni dans sa narration de l'expédition, écrite à Rome pendant sa convalescence et parue en 1542. Il relate les faits en ces termes : «Les ennemis commencèrent à tourner les épaules en fuyant vers la ville comme des gens rompus, dont nos gens étant mal avertis commencèrent à écrier victoire et avec grande allégresse courir après, tellement qu'en peu d'heures, nous nous trouvâmes auprès de la muraille de la ville et en fin, de peur que nous n'entrassions pêle-mêle avec eux, se retirèrent partie dans le fossé le long de la muraille, partie fermèrent la porte, au moyen de quoi comme l'on dit en commun proverbe, au pied du mur sans échelle.
Ce voyant, les ennemis déchargèrent toute l'artillerie tant grosse que menue contre nous, et outre l'artillerie n'épargnèrent flèches et arbalètes, dont nos victorieux Italiens se sentirent maltraités et se retirèrent aussi diligemment qu'ils y étaient venus, sans qu'il fût jamais en la puissance d'homme du monde leur faire tourner le visage, et demeura la bannière de la Religion avec partie des chevaliers seule à soutenir cette fureur. Ce qu'elle fit si heureusement, grâce à Dieu, qu'avec petite perte de gens nous nous retirâmes en un détroit… attendant quelque secours…» De cet épisode, l'angle des rues Bab Azzoun et Littré porta une inscription en marbre dont voici le texte : «A quelques pas d'ici – le 25 octobre 1541, le Français Pons de Balaguer dit Savignac, porte-étendard des Chevaliers de Malte qui firent partie de l'expédition dirigée par Charles Quint contre Alger, vint, sous une grêle de traits, planter sa dague dans la porte d'Azzoun en disant “Nous reviendrons !” – prophétie qui se réalisa le 5 juillet 1830 avec l'armée du général de Bourmont.»
Tous dans l'oued El Harrach
Cortez, le conquérant du Mexique, fit partie des fuyards et dut laisser au fond de l'eau une partie des objets de valeur qu'il avait rapportés du Mexique. Le 26 octobre 1541, Charles Quint put voir, en trois jours, l'ampleur du désastre occasionné par le courage des habitants de la ville et par les éléments déchaînés. Les bateaux mouillés dans la baie s'entrechoquèrent par la force des vagues. Leurs câbles rompirent et la plus grande partie de l'armada vint se briser sur le rivage. L'empereur aux neuf couronnes abandonna le camp avec son artillerie et ses troupes, attaquées et taillées en pièces par les Algériens, se replièrent sous des trombes d'eau, en grand désordre vers l'est, près de l'oued Kniss. Les Italiens furent mis en pièces n'étant pas habitués au type de combat pratiqué par les Algériens. Les troupes européennes furent poursuivies jusqu'à l'oued El Harrach où un grand nombre de soldats sombra dans ses eaux tumultueuses. Charles Quint faillit se noyer dans l'oued El Harrach s'il n'avait été guidé par un Maure, selon Guillaume Pellicier.
Le roi d'Espagne put finalement embarquer avec difficulté. «Jamais armée ne fut en plus pitoyable état que celle de l'empereur fut alors, parce que les vivres qu'on avait débarqués ayant été consommés en trois jours, on ne savait plus comment soutenir les soldats abattus de froid et de faim», relate une chronique de l'époque. «Ils mangèrent 400 chevaux et passèrent la nuit sous des torrents de pluie, tandis que les Arabes et les Kabyles lançaient sur eux des balles et des pierres et les attaquaient à l'improviste.» Le chroniqueur ajoute que tous les chevaux de l'expédition, soit plus de 4000, furent tués, abandonnés sur place ou mangés. Sur les conseils de l'amiral Doria, Charles Quint donna l'ordre à l'armée de battre en retraite en direction de l'est, vers cap Matifou, à travers la boue et les rivières en crue.
L'empereur lui-même commandait l'arrière-garde avec les Chevaliers de l'Ordre de Malte. Ils mirent trois jours pour embarquer. La flotte espagnole se replia sur Béjaïa où elle séjourna une vingtaine de jours. Le souvenir de cette défaite empêcha les nations européennes de s'aventurer à prendre Alger qui gagna une réputation d'invincibilité et de «bien gardée» (El Mahroussa). Hassan Agha, sur recommandation de Kheir El Dine Barberousse, reçut du sultan ottoman le caftan de pacha et ses félicitations pour la victoire. Il se démit de ses fonctions un an avant sa mort qui aurait eu lieu en 1545. Il fut ignoré de l'histoire. Lui a-t-on reproché ses hésitations dans les pourparlers avec Charles Quint ?
L'expédition de Charles Quint occupe une place particulière dans les différentes agressions qui furent dirigées contre Alger, car elle détermina de façon durable le rôle de la ville en tant que bastion de la résistance. Est-elle enseignée dans les écoles comme étant un acte fondateur de notre patrimoine immatériel ?

Abderrahmane Khelifa. Historien et archéologue


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