Henri Sterdinyak est directeur du département d'économie de la mondialisation à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), professeur associé à l'université de Paris IX Dauphine et coanimateur du «Manifeste des économistes atterrés». Dans cet entretien accordé à El Watan, il affirme que le Traité de Maastricht est responsable du déchaînement de la spéculation depuis la mi-2009. - La crise de l'euro a secoué le vieux continent. Pour apporter des solutions à ce dossier et jusqu'à mercredi dernier, il y a eu désaccord entre Paris et Berlin. Sur quels points M. Sarkozy et Mme Merkel ne s'entendent-ils pas ? Il y a une divergence de vues entre l'Allemagne et la France sur les solutions de sortie de crise. Pour l'Allemagne, il faut que tous les pays mettent en œuvre des politiques d'austérité similaires à celles qu'elle a entreprise depuis 2000 : baisse des salaires réels, des dépenses publiques et sociales, réduction rapide des déficits publics. Pour la France, il faut renforcer la solidarité entre les pays de la zone euro ; la BCE doit garantir complètement les dettes publiques des Etats membres ; il faut une «gouvernance de la zone euro» visant à coordonner les politiques économiques de la zone pour une politique de croissance. L'Allemagne s'y refuse car elle ne veut pas remettre en cause sa politique (qu'elle considère comme une réussite) et ne veut pas que la solidarité européenne l'oblige à payer pour les pays du sud. - Mais la crise de la monnaie unique est à son paroxysme. Comment les pays de cette zone en sont-ils arrivés à ce stade ? La création de l'euro a été prématurée. En fait, les pays membres sont très différents, ont des conjonctures différentes, ont choisi des stratégies économiques différentes. Le taux de change de l'euro est trop fort pour les pays du sud qui ont subi des pertes de compétitivité. Le taux d'intérêt de l'euro a été maintenu trop bas pour les pays du sud, ce qui leur a permis une croissance basée sur des bulles immobilières. Les pays du nord accumulent des excédents extérieurs tandis que les pays du sud accumulent des déficits. La Commission européenne a été incapable de coordonner les politiques économiques. Le Traité de Maastricht, signé en 1992, interdit la solidarité entre pays. La BCE ne garantit pas les dettes publiques (la BCE ne prête pas d'argent aux Etats ; seules les banques privées peuvent leur accorder des crédits). Depuis la mi-2009, les marchés ont pris conscience des disparités entre les pays de la zone et se prémunissent contre un éclatement de la zone euro et une faillite de certains pays du sud, trop endettés. Cette crainte est renforcée par la spéculation qui est devenue autoréalisatrice : les marchés exigent des taux élevés pour prêter aux pays du sud, ce qui déséquilibre encore plus leur situation. - Donc le Traité serait en partie responsable de cette crise… En privant les Etats membres de la garantie de la BCE, le Traité de Maastricht est responsable du déchaînement de la spéculation depuis la mi-2009 et de la dispersion des taux d'intérêt entre les pays membres (de plus de 20% pour la Grèce à 4,8% pour l'Italie ; 3,1% pour la France ; 2,2% pour l'Allemagne). Les dettes des pays de la zone euro ne sont plus des actifs sans risque. Aussi, depuis le début des années 1970, les Etats développés s'endettent sur les marchés financiers auprès des investisseurs collectifs (fonds de pension, assurances-vie, OPCVM) à des taux d'intérêt relativement bas, car sans risque. En 2007, la Grèce s'endettait à 4,5% (pour un taux de croissance de son PIB nominal de 7,5%), la France à 4,3% (pour un taux de croissance de 4,9%). Les Etats ne peuvent s'endetter à taux zéro car les épargnants ne veulent pas détenir des titres qui ne rapporteraient rien. La dette nette des pays de la zone euro était, en 2007, de 42,5% du PIB (le même niveau que les Etats-Unis) ; elle devrait passer à 60% du PIB fin 2011 (contre 75% pour les Etats-Unis). Cette hausse s'explique surtout par la profondeur de la récession (qui a fait chuter les recettes fiscales) ; un peu par les mesures de soutien à l'activité pendant la crise ; un peu par l'aide aux banques (pour l'Irlande surtout).