Omar Berkouk est expert des questions financières et de la Banque Conseil en particulier. Il a occupé depuis plus de 20 ans plusieurs postes de responsabilité dans des établissements bancaires internationaux de renom à l'image de BNP Paribas, Morgan Santley UK Group, Dexia ou encore UBS. Il est actuellement associé gérant du cabinet conseil 2 BMS INGENIERIE El Djazair. -Comment peut-on expliquer que la valeur du dinar ne cesse de se déprécier sur le marché parallèle ? Comme vous le savez, la devise nationale est officiellement soumise à un strict contrôle des changes ayant pour but «la recherche et le maintien de l'équilibre de la balance des paiements». Cela se traduit essentiellement par l'encadrement de la parité de change du dinar, c'est-à-dire sa fixation par rapport à un panier devises par la Banque centrale et par l'absence de sa libre convertibilité. La valeur d'une devise ainsi déterminée ne reflète pas le «vrai» prix puisqu'elle ne correspond pas à la confrontation de l'offre et de la demande disponibles sur le marché. Ce système n'est pas l'apanage de notre pays. Il a été pratiqué par plusieurs pays et l'est encore dans d'autres, notamment en Chine qui, pour se protéger contre une trop forte réévaluation du Yuan qui pénaliserait ses exportations, maintient une bande de fluctuation étroite de sa devise avec la monnaie de son principal client les Etats-Unis ! C'est donc la force de son économie et la structure de sa balance des paiements qui justifient une forte demande potentielle pour la devise chinoise. S'agissant du dinar algérien, c'est l'effet inverse qui joue compte tenu de la structure de notre commerce extérieur et de notre économie en général. Cela se traduit par une forte demande d'euros non satisfaite par la Banque centrale d'Algérie (qui en détient le monopole légal) au taux officiel de 102 DA pour un euro et qui finit par trouver son équilibre sur le marché parallèle à 140 DA pour un euro. Les questions importantes sont donc les suivantes : que serait la valeur du dinar par rapport à l'euro s'il était librement convertible dans ce contexte économique : 102 ou 140 ? Pourquoi les autorités monétaires laissent-elles apparaître une telle dévaluation de la devise nationale sur le marché parallèle ? Les réponses à ces questions existent, mais elles dépassent le simple cadre technique du marché des changes! -Les pouvoirs publics ne semblent pas inquiets par rapport à ce que vous appelez «la dérive du dinar» pourquoi ? Pourquoi voulez-vous que les pouvoirs publics s'inquiètent d'un marché qui n'a pas d'existence officielle et légale. Les autorités monétaires n'affichent qu'un seul taux (102) et feignent d'ignorer officiellement l'autre. Je vous mets au défi de retrouver un commentaire officiel du gouverneur de la BCA ou du ministre des Finances sur le taux du dinar sur le marché parallèle. Ce marché rend bien des services tant que le baril de pétrole est à un niveau où notre pays ne souffre pas d'une pénurie de devises. Il sert d'assouplisseur d'un contrôle des changes trop strict, il permet «d'éponger» un peu du surplus de liquidités en circulation dans l'économie et dévalue officieusement et momentanément notre devise. Il redeviendra totalement illégal si nous subissons une chute brutale du cours des hydrocarbures. -Comment analyser le fait que le marché noir ne soit pas inquiété alors le cadre légal permettant la création des bureaux de change existe ? La réponse à cette question relève des développements précédents, c'est-à-dire en quoi consiste le contrôle des changes ? Nous avons indiqué plus haut que la BCA a le monopole de la fixation de la parité du dinar et de la gestion des réserves de change. Comment ces bureaux de change vont-ils s'approvisionner en devises et à quel taux ? Le passage obligé est dans ce contexte réglementaire, la BCA. L'inexistence de ces bureaux de change n'est rien d'autre que la traduction du refus de la BCA de les servir en devises au taux officiel. En revanche, le Port Saïd joue le rôle d'un vaste bureau de change «toléré» parce qu'il remplit la fonction sans remettre en cause officiellement le dogme du monopole de la fixation de la parité du dinar et de la gestion des réserves de change. -N'est-il pas un peu normal étant donné que la convertibilité du dinar n'est pas totale ? Bien sûr c'est là où réside toute la contradiction. On légifère sur la possibilité de créer des bureaux de change sans lever au moins partiellement le contrôle des changes. En somme, la loi permet la création de bureau de change sans leur donner les moyens d'exercer. -Une bonne partie des transferts de nos émigrés finissent sur le marché parallèle. Comment pourrait-on les canaliser au profit de l'économie nationale ? La partie des transferts des émigrés qui passe sur le marché parallèle participe à l'économie nationale, mais à un coût plus élevé. Les émigrés changent leurs euros pour passer des vacances au pays ou pour acheter un bien immobilier. Cet argent revient dans le circuit de l'économie.On pourrait dire vulgairement «qu'ils ont en eu un peu plus pour leurs euros». C'est équitable pour eux, ainsi lorsqu'ils consomment avec ce surplus de dinars des biens subventionnés, ils profitent de l'économie de rente. Mais lorsqu'ils cherchent à acheter un bien immobilier, ils subissent les prix immobiliers d'une économie de rente. -On a souvent du mal à cerner tous les mécanismes qui régissent le fonctionnement du marché parallèle: qui en fixe les taux, qui influe sur leur fluctuation… S'il s'agissait d'un marché officiel et totalement libre, la réponse serait : l'offre et la demande ! Dans notre cas, on peut avancer comme élément fondamental indicateur de la tendance (haussière ou baissière) la parité euro/dollar qui a une importance sur la structure de notre commerce extérieur. Nous vendons en dollars et nous achetons en euros. Une certaine saisonnalité (vacances, hadj...). Et d'aucuns avanceraient des interventions ponctuelles et officieuses de la BCA !