Edward W. Saïd et Samir Amin dans le catalogue Apic. Présente au dernier SILA avec un stand convivial qui ressemblait à une paillote en bord de mer, cette maison d'édition fondée et dirigée par un couple, Samia Zennadi-Chikh et Karim Chikh, a vu le jour en 2003. Depuis, elle s'est appliquée à constituer sa personnalité éditoriale sur la base de la diversité des genres (romans, recueils de poèmes, essais historiques ou politiques…) et sur un ancrage africain affirmé. Apic est d'ailleurs très engagé dans les rencontres continentales et notamment la Rentrée littéraire de Bamako à laquelle elle participe depuis sa création. Un autre de ses centres d'intérêts est celui des études ou réflexions dites altermondialistes qu'elle s'applique à faire connaître en Algérie. A la rentrée et la faveur du Salon du livre, elle a proposé plusieurs titres, aujourd'hui tous disponibles en librairie. Parmi les essais (collection Dissonances), figurent deux ouvrages devenus des références pour les chercheurs, les décideurs et les gens des médias. Il s'agit en premier lieu de Culture et impérialisme d'Edward W. Saïd (1935-2003), penseur américain d'origine palestinienne, auteur du magistral ouvrage L'Orientalisme. Ici, l'auteur décortique des œuvres littéraires majeures de l'Occident, mais également des expressions artistiques, pour en montrer toute l'implication historique et analyser les processus de représentation et de domination culturelles dans le monde. Il montre que l'orientalisme, lié aux anciens empires coloniaux, demeure structurellement valide dans les visions actuelles et, tout particulièrement celle des médias, dont les informations continuent à véhiculer, sous des formes nouvelles, les mêmes conceptions du monde. Pour autant, Edward W. Saïd entrevoit dans cette raideur historique des assouplissements en cours qui pourraient déboucher sur une révision complète des rapports culturels entre l'Occident et le reste du monde avec la possibilité d'une cohabitation équilibrée et mutuellement enrichissante. Il argumente cet espoir à partir de plusieurs tendances, encore marginales mais qui se dessinent plus affirmativement. Extrêmement bien documenté, écrit avec finesse et précision, c'est le genre d'ouvrage qui marque et que tout lecteur averti et tout universitaire doit avoir lu. Il peut compléter utilement la lecture d'un essai récent intitulé «Le monde arabe dans la longue durée. Un printemps des peuples ?» et signé par Samir Amin, professeur émérite d'économie politique et intellectuel arabe de dimension internationale. En plein dans l'actualité des bouleversements que connaît le monde arabe depuis quelque temps, Samir Amin en apporte une lecture passionnée et passionnante, du fait de son engagement personnel dans le destin de la région, mais également une lecture froide et à distance qui déplace le champ remuant et confus de l'actualité vers une analyse sereine et à long terme. C'est d'ailleurs uniquement dans la durée que le monde arabe peut être appréhendé, affirme le penseur : la durée en amont, soit celle de son passé, mais aussi la durée en aval, celle de son futur esquissé à partir d'éléments émergents. Il met en avant les potentialités régénératrices des révoltes populaires arabes tout en pointant les contradictions et les risques. Parmi ceux-ci, le risque de récupération apparaît comme le plus probant : récupération par des forces diverses et particulièrement au travers d'une instrumentalisation politique de la religion avec la bénédiction des puissances occidentales. Publié à chaud, cet ouvrage montre en maints endroits la validité de sa démarche puisque plusieurs de ses hypothèses ont pris, après qu'elles aient été formulées, une réalité étonnante dans l'actualité ou, du moins, des indices de confirmation. Il est à noter que Samir Amin a rédigé son ouvrage avant l'explosion des colères populaires arabes mais que, lors de sa publication, il a ajouté des éléments d'analyse liés à l'actualité, essentiellement en introduction et conclusion. Le corps de l'essai se concentre sur la «longue durée» et propose donc une rétrospective historique remarquable du monde arabe : «système du monde ancien», période de déclin, «avortement de la Nahdha», «Islam politique, nationalismes, dérives postcoloniales», situations actuelles… L'auteur ne cache pas ses positions. Il les souligne par des expressions comme «à mon avis» et utilise le «je» en pleine analyse. Il permet ainsi, pour ceux qui contestent ses convictions, comme pour ceux qui les partagent ou les approuvent seulement, de mieux tirer profit de son ouvrage.
Edward W. Saïd. Culture et impérialisme. Ed. Apic, Alger, 2010. 560 p. Samir Amin. Le monde arabe dans la longue durée. Un printemps des peuples ? Ed. Apic, 2011. 256 p.