La crise multidimensionnelle que traversent les pays développés a induit d'interminables débats, entre experts financiers et économistes, sur la problématique de désigner le moteur premier qui a propulsé l'économie mondiale dans l'endettement et la récession. Le résultat est dévastateur pour des populations entières qui voient leur niveau de vie se réduire drastiquement, et pour la stabilité de toute l'économie mondiale.Certes, il est beaucoup plus urgent et important de corriger la situation et de prendre des mesures à même de juguler la crise, que de se quereller sur ses origines. Nous avons donné nos points de vue sur la question. Il nous semble que les politiques préconisées sont trop insuffisantes et biaisées. On demande aux pays endettés de réduire les dépenses publiques au moment où une sévère récession (réduction ou baisse de l'activité économique suivie d'un chômage élevé) s'enclenche. L'économie sera poussée vers la dépression (très grave récession). La recherche de la cause première serait intéressante pour ne pas répliquer de pareils déséquilibres. L'économie de marché est par essence une économie cyclique. Aux périodes de prospérité et de croissance, succèdent des situations de stagnation ou baisse de l'activité économique avec des poussées de chômage. Personne ne sait comment éliminer ces cycles. On peut uniquement les modérer avec de bonnes politiques économiques. Mais lorsque les multiples décisions publiques sont incohérentes, on peut les aggraver au lieu de les tempérer. La recherche des causes est également cruciale pour affiner les politiques correctives. Nous n'envisageons pas d'approfondir les questions épistémologiques liées à la conduite des politiques économiques, mais situer l'essence d'un mal peut aider à mieux le traiter. Par ailleurs, d'autres pays peuvent éviter de tomber dans la même situation désastreuse. Le trop est l'ennemi du bien La problématique de la relation entre Etat et marché a de tout temps dominé le débat entre économistes. Ceux qui voudraient qu'on livre toutes les activités économiques, avec peu de régulation, au marché, constituent l'essence de l'école libérale. Par contre, ceux qui croient dur comme fer que l'Etat est plus outillé pour réaliser un meilleur équilibre entre l'économique et le social constituent l'essence de l'école interventionniste ou «étatiste». Nous avons plusieurs approches éclectiques qui se positionnent de plus en plus comme dominants dans les débats économiques. Et pour cause ! Que reproche-t-on à l'Etat et au marché ? Pour le premier cas, nous avons des pistes très intéressantes produites par toute une école de pensée en économie (Public Choice). Elle postule que l'être humain est à 90% égoïste. Nous utilisons 90% de notre salaire et de notre temps pour satisfaire nos propres besoins. On est altruiste à 10%. Les systèmes économiques doivent donc prendre en considération cette dimension. Les politiciens étant des personnes humaines, ils vont donc se comporter comme telles. S'ils voient qu'il y a une contradiction entre leurs intérêts et ceux de la nation, ils n'auront aucune peine à s'octroyer des privilèges au détriment du reste du peuple. Rien ne sert de se lamenter sur la situation, nous prévient «Public Choice» , c'est une attitude tout à fait normale. «Public Choice» considère que quel que soit le système, les politiciens se comportent ainsi. Les marxistes pensaient naïvement que les membres du parti communiste - qui ont le monopole du pouvoir civil et militaire - allaient aider le prolétariat à accomplir sa mission historique (transition socialiste puis vers l'étape communiste). Alors que nous devrions avoir des membres de parti communiste dotés d'une conscience de classe, partout, ces derniers avaient confisqué le pouvoir pour s'octroyer toutes sortes de privilèges politiques et matériels. Les marxistes qui cataloguaient les autres courants d'utopistes (Proudhon et autres) ont été incroyablement imprudents. C'est cet excès de naïveté qui conduit certains à idéaliser l'Etat.L'économie de marché n'est pas immunisée contre ces comportements. Si les politiciens peuvent déstabiliser une économie pour en tirer profit, ils le feront. L'équipe de Nixon ne s'est pas privée de faire une relance économique inflationniste à la veille de sa réélection. On cause une croissance artificielle et éphémère, juste avant les élections pour la voir disparaître après au profit d'une inflation galopante. Le phénomène est appelé : «Political Business Cycles» (cycles politico-économiques). Les économistes naïfs qui croient que lorsque l'Etat remplace le marché, la situation s'améliore, doivent revoir leurs copies. Tout comme le marché, l'Etat est lui-même souvent source de nombreux dégâts économiques et sociaux. Quelle relation y a-t-il avec la crise actuelle ? Ce sont les dépenses inconsidérées de l'Etat qui ont précipité la Grèce et d'autres pays dans la spirale de l'endettement. Un management macroéconomique normal voudrait que lorsque l'économie est en bonne santé, on constitue un surplus budgétaire (une réserve) que l'on utilise lorsque la situation va mal. Or, les politiciens grecs ont eu recours à des déficits massifs, même lorsque l'économie se portait bien. Ils créaient des postes budgétaires sur mesure, grassement rémunérés, pour leurs adhérents et consentaient des augmentations de salaire déconnectées des performances de l'économie. Bref, on faisait vivre les copains, et une partie de la population à crédit au détriment du simple citoyen. C'est l'histoire du politicien qui choisit son bien-être au détriment de l'intérêt du pays. Qu'en est-il du marché ? La théorie financière, branche adulée de la macroéconomie, a toujours postulé l'efficience des marchés. Les multiples institutions financières libérées du carcan bureaucratique produiraient un meilleur bien-être général, en orientant les ressources financières vers les meilleures utilisations possibles. Les pouvoirs publics n'ont qu'à se retirer et admirer les prouesses vertigineuses des marchés dérégulés. En premier lieu, même au niveau théorique, les hypothèses retenues pour arriver à cette conclusion sont si éloignées de la réalité, qu'il faut vraiment remettre en cause les modèles construits sur cette base. En second lieu, Reagan et Thatcher y croyaient si fortement qu'ils avaient procédé à une dérégulation presque complète des marchés financiers. Par ailleurs, l'idée fut véhiculée et imposée par les institutions internationales aux pays émergents. Il fallait ouvrir la voie royale aux transferts de capitaux et accepter sur son sol les investissements les plus spéculatifs. L'Algérie avait raison de rejeter un tel schéma. La crise asiatique qui a failli engloutir des économies pourtant solides (Corée, Taiwan, Malaisie, Indonésie, etc.) donnait un sérieux avertissement aux défenseurs du tout marché sans régulation. Le Mexique et l'Argentine allaient amplifier encore les avertissements selon lesquels le système financier mondial est mal conçu, trop libéral et source de nombreux dysfonctionnements. On n'a pas vu l'efficacité des marchés en Asie, au Mexique ou en Argentine. Les clignotants rouges se sont allumés trop tard et le système a amplifié au lieu d'amortir les crises. Il fallait l'intervention des Etats et des institutions internationales pour mettre un semblant d'ordre dans ces pays. Nous n'avons pas vu cette efficacité des marchés lors de la crise grecque. Les marchés ont continué à prêter au pays à des taux avantageux même lorsque les déficits budgétaires étaient exorbitants, en période de prospérité. Un marché efficient aurait anticipé des cycles bas du futur avec un poids excessif du service de la dette. Les maux de la finance internationale sont connus : déconnexion de l'économie réelle et spéculation. De nombreuses institutions financières privées prospèrent en créant des bulles financières (exagérer les bonnes nouvelles) et en amplifiant le moindre problème. Car on fait beaucoup de profits avec les mécanismes du «Sell Short» même lorsque les choses vont mal. Le système financier a donc intérêt à transformer des crises mineures en catastrophes généralisées ; et il ne s'en prive pas de le faire, car il en tire d'énormes avantages. Tout comme les politiciens, un secteur privé non régulé va tirer profit de toute conjoncture économique au détriment de l'intérêt général. La vaste majorité des économistes rejettent aussi bien l'hyper-étatisme que des marchés, non régulés, livrés à eux-mêmes. Malheureusement, une minorité de politiciens ultralibéraux ont réussi à imposer leur point de vue aux institutions internationales et aux USA. La réforme soft proposée par les Européens a été vite rejetée par le lobby financier très puissant aux USA. La plupart des économistes ne croient pas en la fable des marchés efficients et totalement dérégulés. Ils pensent seulement que les marchés fonctionnent mieux que les décisions étatiques dans la sphère de production de biens et de services. Mais des marchés transparents et bien régulés ont beaucoup plus de chances de produire une meilleure stabilité économique. Nous avions un meilleur système avant les dérégulations des années quatre-vingt. Etatisme et libéralisme sont renvoyés dos à dos par les crises actuelles. Le trop est l'ennemi du bien. Et la meilleure des solutions est toujours médiane. [email protected]