Olivier Blanchard, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), a annoncé une reprise de l'économie mondiale avec la précision que le « redressement ne sera pas simple », surtout en raison des « cicatrices » laissées par la crise ? Qu'en pensez-vous ? Il était prévu qu'à partir du 4e trimestre les premiers signes de reprise se manifesteront. Or, aujourd'hui, nous voyons que la France et l'Allemagne font de petites croissances à partir du 2e trimestre. On avait anticipé une perte de deux à trois points de croissance pour l'Inde et la Chine. Or l'Inde annonce une croissance de 6%, soit une baisse de 0,7%. Première observation : ce sont les pays émergents qui vont tirer profit du retour de la croissance de l'économie mondiale. Ils sont en train de tirer avantages des bas coûts de l'énergie et des matières premières. La Chine a investi dans ses PME et dans son marché intérieur en injectant 580 milliards de dollars. Pour les pays émergents, il y a quelque chose de concret. Du côté des pays de l'OCDE, qui ont le plus souffert de la récession, ces questions ne sont pas encore résolues. La relance de l'économie américaine est fondée sur la politique budgétaire. L'Etat a pris des mesures pour rassurer les ménages afin de les pousser à consommer pour ensuite relancer la production. Toutefois, on ne voit pas d'autres moteurs de croissance pour l'instant dans l'économie américaine à part la relance budgétaire. Pour l'Allemagne et la France, qui sont extrêmement importants en Europe, je pense que c'est un très bon signe que ces deux pays, toutes proportions gardées, commencent à sortir de la récession. Il faut savoir, que depuis les cinq dernières années, l'économie mondiale a réalisé une croissance de 5%, tirée essentiellement par la Chine et l'Inde. Les autres pays de l'OCDE étaient dans un niveau de 2 à 3%, pas plus. Le premier signe important est que les pays émergents ont résisté mieux qu'on le prévoyait. Actuellement, le cœur de l'économie mondiale reste encore celle américaine. Tant que celle-ci n'a pas trouvé ses moteurs de croissance structurels, on ne peut pas dire qu'on est sorti de la crise. Seconde observation : l'origine de la crise, il ne faut pas l'oublier, est une crise financière pour plusieurs raisons. Les places financières internationales se sont interconnectées avec les technologies de l'information et de la communication. Des masses énormes traversent la planète à la vitesse de l'éclair et personne ne contrôle ces masses et les marchés financiers ont développé des instruments sophistiqués de couvertures contre le risque d'arbitrage et de spéculation. Les Etat se sont retrouvés complètement démunis face à cette automatisation des marchés. Tout cela a fini par atteindre l'économie réelle avec le choc du crédit qui s'est traduit par la récession. Si on sort de la récession, il ne faut pas oublier la crise financière qui est derrière. Je ne vois pas une sortie de crise, en sortant de la tempête, vers un ciel serein définitivement. Je pense que c'est une crise systémique qui va se reproduire pour la simple raison que la question centrale de la régulation se pose toujours. La régulation veut dire un règlement et un bâton pour celui qui ne respecte pas le règlement et toute la question est de savoir qui va tenir le bâton. Toute question de régulation pose fondamentalement la problématique du leadership dans l'économie mondiale. En fait, chaque dix ans, la crise revient. On a connu un avant-goût dans les années 1980 et 1998, cette dernière relative à l'endettement. Je pense que le cycle de la crise va se raccourcir parce que les marchés financiers recherchent la volatilité. Tant qu'on n'a pas trouvé des mécanismes de régulation pour pouvoir ajuster les logiques des marchés financiers qui sont des logiques à court terme et de spéculation avec les logiques à long terme qui sont celles de l'économie, on ne s'en sortira pas. Il y a une financiarisation de l'économie mondiale. La récession n'est que la conséquence. La communication au niveau du FMI fait partie aussi de la thérapie pour sortir de la crise. Il faut rassurer. Etant en contact avec des experts internationaux, personne n'est convaincu qu'on est à la veille d'une sortie de crise. Pour l'économie algérienne, il faut être extrêmement prudent. Il faut déconnecter notre croissance des hydrocarbures et s'appuyer sur nos PME et notre agriculture. Le même économiste plaide pour l'augmentation des exportations américaines et l'implication de la Chine, comme une piste plausible pouvant mener vers une éventuelle reprise graduelle de l'économie mondiale. Selon vous, ces deux paramètres peuvent-ils jouer un rôle déterminant ? En fait, le déficit de la balance des comptes courants entre les USA et la Chine est un gouffre. Il y a beaucoup d'utopie dans ce qui est dit. Tout le monde sait que les USA est le pays le plus endetté au monde et la Chine son plus grand prêteur et on souhaite que la Chine se mette à acheter « américain » et que l'Amérique se mette à exporter. Je pense que ces éléments seront les termes du deal. Il faut un accord quant au leadership de l'économie mondiale. Je crois que c'est la fin de l'hyperpuissance américaine telle qu'elle s'est érigée après l'effondrement de l'Union soviétique. C'est la fin d'un certain ordre. Les USA ont financé leur prospérité par l'endettement. Ils ont profité des marchés financiers en ce qu'ils sont interconnectés et de leur opacité. Maintenant, il faut une véritable gouvernance mondiale. Seulement, les Russes et les Chinois ne sont pas disposés à laisser les Américains seuls. Je pense que la Chine est disposée à trouver un meilleur équilibre de son commerce avec les USA, mais au prix d'un deal sur le leadership mondial. Le centre de gravité de la croissance mondiale n'est pas un symptôme mais une réalité qui se déplace vers l'Est et vers l'Asie. L'Opep a déjà procédé, dans un passé récent, à des coupes dans sa production globale, en raison de la baisse de la demande mondiale en pétrole. A l'aune de ces déclarations, estimez-vous qu'il serait judicieux d'augmenter le niveau de production ? L'Opep a augmenté ses capacités de production parce qu'il y a eu un relâchement de la discipline. En matière de statistiques pétrolières, il y a beaucoup d'intox. Et l'Opep a connu une mauvaise expérience en novembre 1997, quand elle a augmenté sa production à la veille de la crise asiatique. Cela a mené les prix de pétrole vers 10 dollars le baril. Pour augmenter sa production, il faut être sûr que la croissance mondiale est au rendez-vous. L'Opep doit être prudente et elle l'est. Aujourd'hui, il y a un « contango », c'est-à-dire les prix de pétrole sont orientés à la hausse sur les marchés à terme et l'Opep le sait. Selon une anticipation relativement conservatrice, ni trop optimiste ni trop pessimiste, nous pensons qu'à partir du 2e semestre 2010, on aura réellement un retour graduel à la croissance de l'économie mondiale. La croissance de la demande pétrolière va être négative cette année. Mais, nous pensons qu'à partir du 2e semestre 2010, il y aura une correction brutale avec la croissance de l'Inde et de la Chine qui vont reprendre plus vite et mieux que les autres pays. Je pense que les prix de pétrole vont structurellement se placer à un niveau de 100 dollars le baril à partir du 2e semestre 2010. Donc, l'Opep n'a aucune raison aujourd'hui de vendre des volumes qu'elle écoulera beaucoup plus cher dans une année. L'Opep est épuisée par les efforts qu'elle a fournis. Par ailleurs, quand la demande va reprendre, il va y avoir un manque de capacités et il y a aura un choc d'offres. Le marché pétrolier, parce que les réserves s'épuisent et les investissements sont au ralenti, va souffrir et on aura également des chocs pétroliers dans la décennie à venir.