La réforme constitutionnelle, approuvée massivement le 1er juillet dernier par référendum, est boycottée par les partis de gauche et le fameux Mouvement des jeunes du 20 février. Maroc. De notre envoyé spécial
Pour moi, les gens Jamaat al adl wa tanmia (le Parti de la justice et du développement, PJD) sont honnêtes et veulent vraiment changer les chose au Maroc ; je vais donc voter pour eux.» Pour Abderrahmane, qui nous embarque dans sa vieille Mercedes blanche depuis la gare ferroviaire Casa-Port, voter PJD est presque un devoir national. Originaire d'Agadir, dont il garde intact l'attachement à ses racines chleuh (amazigh), Abderrahmane pense que la victoire du parti islamiste ne fait pas l'ombre d'un doute. Ce chauffeur de taxi le dit non pas comme une fatalité, mais croit fermement que les gens du Parti de la justice et du développement (PJD) sont la dernière chance du Maroc. Un sentiment largement partagé dans un pays qui aura tout essayé et consommé jusqu'à l'overdose un personnel politique dépassé et, pis encore, corrompu. Inévitablement donc, le PJD est donné vainqueur. Surfant sur la vague Ennahda de Tunisie, la formation islamiste de Abdelilah Benkirane ne se fait pas d'illusion sur une onction populaire, demain soir. Avec ses 47 députés dans l'Assemblée sortante où il faisait de l'opposition, le PJD va, sauf surprise, prendre les commandes du Parlement et du gouvernement marocain. Experts, observateurs et médias répètent en chœur que l'alter ego d'Ennhada en Tunisie va rafler la mise. Un discours lifté à la convenance de la jet-set Ayant gardé intacte son aura auprès des classe populaire – le Maroc d'en bas –, le PJD a su également lifter son discours politique pour draguer la haute société et la jet-set du royaume. «Le PJD recrutait déjà au sein de ce qu'on pourrait appeler la petite bourgeoisie pieuse ou la bourgeoisie commerçante. Aujourd'hui, une bonne partie des hommes d'affaires et des réseaux d'influence semblent résignés à une victoire du parti islamiste», analyse, lucide, le politologue Mohamed Tozy. Mais pour les dirigeants du PJD, c'est juste le couronnement du processus de maturation d'un mouvement entré par effraction dans le paysage politique et qui estime légitime désormais voler plus haut. «En 2002 puis en 2007, nous avons fait le choix d'accompagner la transition en faisant passer l'intérêt national en premier. Nous avons donc accepté de limiter nos candidatures au niveau national. Aujourd'hui, il est temps de laisser faire la démocratie pour que chaque formation politique ait la représentation qu'elle mérite», tranche Saâd Eddine El Othmani, expatron du PJD, candidat à Mohammedia. Et pour réussir cette métamorphose tactique, il a fallu changer le casting. Depuis son arrivée aux commandes du PJD en 2008, Abdelilah Benkirane, connu pour son caractère bien trempé et son discours tranchant, a montré les crocs. Il n'a pas hésité ainsi à s'en prendre ouvertement au patron du Parti de l'authenticité et de la modernité (PAM), Fouad Ali El Himma, l'ami du roi, l'accusant de corruption politique et dont le «tracteur» (symbole du parti) a écrasé tout sur son passage en 2007. Il fallait le faire ! Et les Marocains apprécient ces coups de sang du chef du PJD, qui ont pimenté une campagne bien terne. Ce discours sec et ô combien vrai semble avoir séduit les Marocains, plutôt enclins à une «moralisation» de la vie politique même à la sauce PJD. Qui mieux donc qu'un parti islamiste pour mener un tel chantier dans un royaume gangrené par la corruption ? Benkirane, l'homme qui tombe à pic Quels que soient leur niveau et leur statut social, la majorité des Marocains tombent, comme enivrés, dans les bras de Benkirane qui incarne, à leurs yeux, le redresseur de torts tant attendu. Décidé lui aussi à aller au charbon, il traduit son engagement : «On ne peux pas demander aux gens de voter pour nous et de rester dans l'opposition.» Abdelilah Benkirane a donc franchi – verbalement pour l'instant – le pas pour aller à la conquête du pouvoir. Pour y parvenir, ses ouailles et lui ont entrepris de démolir politiquement le PAM, ce conglomérat d'hommes d'influence idéologiquement inclassable mais qui dispose de solides attaches avec le palais. Comme pour Ennahda en Tunisie, les responsables du PJD ont jugé utile, voire vital, de troquer leur accoutrement islamiste pour enfiler le costume de décideurs prêts à retrousser leurs manches pour régler les grands problèmes du Maroc. En 2011, moins qu'un costume serait beaucoup trop étroit pour y enfermer le programme du PJD. C'est le sens de la feuille de route remise aux têtes de listes de ce parti pour prêcher la bonne parole. C'est que la direction du PJD a compris qu'il fallait mettre sous le coude certains axes programmatiques à forte connotation morale et religieuse, pour capter les voix de ceux qui craignent une islamisation rapide du «royaume moderne» de cartes postales. Serait-ce suffisant pour remporter le jackpot et donner la réplique marocaine à Ennahda tunisienne ? Pour le magazine Tel Quel, il ne fait pas l'ombre d'un doute : «Le Maroc sera islamiste», en gros caractères et en couverture. Nuit de doute.