Acclamée par tout un peuple pour son comportement pour avoir protégé les manifestants au Caire en février dernier, elle est aujourd'hui abhorrée, pointée du doigt et vertement critiquée par les révoltés de la place Tahrir. Le Caire (Egypte). De notre envoyé spécial L'armée égyptienne est dans une impasse et risque de bloquer le processus de la transition démocratique. Son chef suprême, le maréchal Mohamed Hussein Tantaoui, passe du héros qui a sauvé son peuple des griffes de l'ancien raïs déchu à un chef militaire qu'on accuse de vouloir s'emparer du pouvoir et tuer la révolution du 25 janvier. Le quotidien Tahrir, de Ibrahim Aïssa, a osé titrer en une : «Tantaoui tient encore ses ordres de Hosni Moubarak». Le politologue et fondateur de l'Association nationale pour le changement, Hassane Nafaâ, estime que le CFSA a «détourné la révolution de son cours naturel». Sur la place Tahrir, cœur battant de la révolution égyptienne, des affiches l'assimilent à Hosni Moubarak. Le destin de ce «héros» a basculé. Acculés de partout, les chefs militaires égyptiens tentent de s'en sortir et cherchent une issue de secours. En persistant à maintenir les élections législatives à leur date prévue et en s'assurant le ralliement de la confrérie des Frères musulmans, le Conseil de l'armée exacerbe les tensions et cristallise toute la colère des «mayadine Tahrir». Les manœuvres de Mouchir buttent sur la détermination de la rue. Après la gigantesque mobilisation de vendredi, l'armée se voit obligée de se tourner vers deux figures influentes du pays : Mohamed El Baradei et Amr Moussa. Les deux hommes sont de potentiels candidats à la présidence de la République. En effet, le maréchal Hussein Tantaoui a reçu hier, séparément, l'ancien président de l'Agence internationale de l'énergie atomique et l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe. Le premier, très actif, fait corps avec les différentes fractions de la révolution ; il est incontournable. Jouissant d'une grande popularité dans le pays et gardant un contact étroit avec la place Tahrir, il a réclamé le report des élections législatives, la formation d'un gouvernement de salut national avec des prérogatives présidentielles. Son cabinet a indiqué, hier en début de soirée, qu'El Baradei, sitôt sorti de sa rencontre avec le chef des armées, «a entamé des contacts avec les différentes parties politiques et les autres forces de la révolution», tout en précisant «qu'aucun accord n'a été pris pour la période de transition». Les différentes composantes de la révolution ont demandé à Mohamed El Baradei de présider un Conseil présidentiel civil. A la veille des élections législatives qui vont s'étaler sur quatre mois, le pays ne retrouve pas encore sa sérénité. Amr Moussa a déclaré, à l'issue de la réunion avec le maréchal, que «les discussions ont porté sur la situation inquiétante que traverse le pays et sur la recherche des voies et moyens pour sortir de la crise actuelle». M. Moussa a indiqué également qu'«il faut laisser du temps au nouveau chef du gouvernement, Kamel Al Ganzouri, pour engager ses consultations afin de former son gouvernement». En somme, une grande confusion règne au niveau politique. Les événements s'accélèrent sans qu'une sortie de crise ne semble se préciser. Sur le terrain, la tension reste de mise, surtout après la mort d'un autre jeune, écrasé par un fourgon de police, devant le siège du gouvernement. Le peuple de Tahrir appelle à une autre journée de mobilisation générale pour aujourd'hui, baptisée «Millionième de la légitimité révolutionnaire». «Il faut maintenir la pression sur l'armée pour permettre la réalisation des objectifs de la révolution et faire partir le CSFA du pouvoir», a déclaré l'Alliance des révolutionnaires d'Egypte. L'armée, qui a voulu «sanctuariser» son budget à travers un texte constitutionnel privant le Parlement du droit de contrôler le budget de l'armée et laisserait à l'armée le dernier mot pour toute législation les concernant, a replongé le pays dans l'instabilité. «L'armée veut devenir un Etat dans l'Etat», a jugé un animateur du Mouvement du 6 avril. Ainsi, le Conseil suprême des forces armées et son chef sont sommés de se plier aux exigences de la rue s'ils veulent éviter de provoquer une seconde révolution et connaître le même sort que le clan Moubarak.