Les trottoirs des principales artères de la capitale se rétrécissent comme une vulgaire peau de chagrin par le fait d'indélicats commerçants informels. Mais voilà que des vendeurs légaux s'y mettent à leur tour. En effet, il n'est pas un endroit qui soit, peu ou prou, pris d'assaut. Les commerçants façonnent, à leur guise, les devantures de leur boutique sans se référer aux pouvoirs publics. Il y en a même, d'ailleurs, qui ont eu l'effronterie d'installer des parapets souvent en aluminium, coupant nette toute progression aux piétons. En conséquence, la voie publique est devenue le lieu où sont entreposés des cageots et autres marchandises. Tout y est : du pain exposé à tout vent, du lait dans des bacs... Outre les conséquences fâcheuses sur les produits altérables, des passants éprouvent des difficultés intenables. Ils risquent à tout moment de buter sur une barre ou un meuble qui déborde sur les trottoirs. Pour se convaincre de la déliquescence du tissu urbain, une virée du côté de Bordj El Kiffan, ville « coquette » s'il en est illustratif. A quelques pas du siège de l'Apc, un propriétaire du bar faisant l'angle prend le soin d'installer sur les flancs de son commerce des barres. L'avenue du 1er Novembre, qui coupe la ville, est prise elle aussi d'assaut. Des vendeurs étalent toutes sortes de marchandises et les trottoirs disparaissent par endroits. Plus loin, les choses deviennent cocasses : un « roi du poulet » a sorti ses présentoirs frigorifiques et un autre a planté des plaques disproportionnées d'indication. A quelques pâtés de maisons de la station de bus, des commerces se côtoient dont le point commun est d'occuper illégalement l'espace rendant la progression des piétons presque impossible. Les citoyens font contre mauvaise fortune bon cœur et se faufilent entre les automobiles. Devant le centre d'affaires, les choses se sont gâtées. Des vêtements soldés pendillent accrochés à d'incertains échafaudages. Les trottoirs rétrécissent pour disparaître entièrement devant la grande mosquée. Idem pour ces commerçants qui ont mis la clef sous le paillasson et ont abandonné sur le trottoir toute la ferronnerie sans prendre le soin de l'enlever. Peut-être attendraient-ils des jours meilleurs. Des citoyens de la localité restent dubitatifs devant ce qu'ils qualifient de « démission de l'exécutif communal ». Ils s'y font le plus souvent, et passent leur chemin sans la moindre moue. Mais le sacrilège pour beaucoup d'entre eux est l'argent du contribuable qui n'est pas « utilisé à bon escient ». En témoignent à cet effet, ces agents de l'Apc qui procèdent, ces jours-ci, à la pose du carrelage sur ces trottoirs qui seront occupés par les squatteurs. Le président d'Apc s'en défend. Et à lui de se lancer sur l'improbable « synergie qui existe entre ses services et ceux de la wilaya déléguée ». Autre organisme censé veiller sur cet aspect de la ville, la Direction de contrôle et des prix, la DCP nous fait entendre un autre son de cloche. Son directeur, M. Lamari, reste confiant : « Les grands axes sont épargnés. » Pour lui, ces commerçants « font l'objet de contrôles poussés » et « ses services » séviront. Le dernier trimestre de l'année dernière a vu la verbalisation de 97 commerçants. La DCP les a mis en demeure pour une durée de 48 heures pour obstruction à la voie publique. « Passé ce délais, on ferme le local pour une période d'un mois en cas de récidive du concerné », atteste M. Lamari. Ce délai peut atteindre, sur décision du wali, six mois. Aussi, la police de l'urbanisme semble être inscrite au registre des abonnés absents. Par ailleurs, la décision du wali de Béjaïa, de procéder à la destruction des devantures qui dépassent sur la voie publique, n'est pas passée inaperçue. Ces mesures fortes n'ont pas été du goût des mis en cause, qui ont, des années durant, pris des libertés avec l'espace public. Remarquant l'inertie des autorités locales, le wali, garant de l'ordre public et de la sécurité, a réagi promptement en provoquant des grincements entendus chez les commerçants de la ville... « La ville, devenue la destinée des touristes, en a gagné à coup sûr », se félicite-t-on. « L'Etat fait subsister par son inertie toutes ses pratiques qui agressent la voie publique », s'insurge-t-on.