C'est officiel : à compter du 1er septembre 2006, tout paiement d'une dépense quelconque, dont le montant excédera cinquante mille dinars algériens (50 000 DA) ne pourra plus s'effectuer en espèces. Et dès lors que ce seuil sera atteint, le règlement devra impérativement intervenir par chèque, virement, carte de paiement, prélèvement, lettre de change, billet à ordre ou tout autre mode de paiement scriptural. Telles sont les exigences fixées par le décret exécutif 05-442 du 14 novembre 2005 (JO n° 75 du 20 novembre 2005) pris en application de l'article 6 de la « grande » loi 05-01 du 6 février 2005 (JO n° 11 du 9 février 2005) relative à la « prévention et à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme ». A l'évidence, la nouvelle mesure revêt une importance et même une gravité exceptionnelles en ce qu'elle s'inscrit dans le processus, désormais universel, imaginé par le législateur pour prévenir la mise sur le marché de capitaux d'origine douteuse communément appelés « argent sale », voire pour faire obstacle au financement du terrorisme. Si les personnes physiques « non-résidentes » en sont dispensées sur justification de cette qualité, le texte, et c'est là l'une de ses originalités, s'imposera aussi bien aux opérateurs économiques sans distinction (producteur, fabricant, importateur, grossiste, détaillant, prestataire de services, artisans, agriculteur, profession libérale) qu'aux simples particuliers. Ainsi, le paiement par chèque ou autre procédé scriptural sera de rigueur surtout généralisé : qu'il trouve son origine dans une transaction entre opérateurs économiques, entre commerçant et particulier ou encore à l'occasion d'une opération financière n'impliquant que des particuliers entre eux, le recours de nos jours « monnaie courante », au cash sera prohibé dès lors que la somme en jeu atteindra ledit seuil réglementaire. En conséquence, il ne sera plus question de l'exigence du paiement systématique en « liquide » et, le fait de passer outre, impliquera la commission d'une infraction pénale, sanctionnée en tant que telle par un tribunal correctionnel. Et que l'on n'essayera pas d'imaginer des astuces-échappatoires comme celle consistant à fractionner le montant réel d'une dépense : « Cette obligation s'applique(ra) aux paiements partiels d'une même dette volontairement fractionnées et dont le montant global est supérieur au seuil fixé ci-dessus. » (arti. 2, alinéa 2 du décret du 14 novembre 2005). Dans la vie pratique courante, on aura à faire face, du fait de la nouvelle mesure, à certaines situations auxquelles il faudra d'ores et déjà réfléchir pour éviter d'avoir à les affronter le moment venu, dont voici quelques cas de figure : - Qu'en sera-t-il des interdits de chéquiers qui ne peuvent disposer d'un carnet de chèques ? La mesure sous-entend-elle que les banques ne pourront plus refuser l'ouverture d'un compte à un quidam de la catégorie des « petites gens » sans envergure financière ? Ils peuvent bien sûr avoir recours aux chèques postaux ou encore à la saisine de la banque d'Algérie, avec, dans tous les cas, le passage obligé par l'abominable bureaucrati On citera également certains marchés particuliers qui fonctionnent traditionnellement exclusivement au cash ; - ceux de vente en gros de fruits et légumes, de poissons, - ceux, populaires et à ciel ouvert où se traitent les ventes de voitures de particulier à particulier. La loi ne prévoyant aucune dérogation, on imagine les effets induits par les paiements autrement qu'en espèces dans ces formes de transactions. Et on pourra multiplier le nombre de ce genre de situations pour lesquelles il y a urgence à trouver des solutions avant le 1er septembre. Autre cas de figure qui ne sont évoqués ni par la loi ni par la réglementation : en l'état actuel de notre législation financière, le chèque à ordre, c'est-à-dire nominatif, n'est pas obligatoire. Dès lors, un paiement par chèque au porteur échappe à toute traçabilité, tout en étant émis en conformité avec la loi. Par ailleurs, le chèque étant transmissible par voie d'endossement, il peut circuler à souhait sans laisser la moindre trace. En France, ce genre de pratiques a disparu depuis la suppression totale, sauf au profit d'une banque au moment de sa remise à l'encaissement, de l'endos du chèque. Signalons également que l'obligation du paiement d'une dépense supérieure à un seuil réglementaire existe en droit français, sauf qu'elle a un caractère fiscal et punissable d'une amende fiscale. Dans un tout autre domaine, il se posera, pour le vendeur, une crainte légitime de crédibilité du chèque reçu en paiement d'une facture : rien ne s'oppose à l'exigence d'un chèque certifié, à supposer que la certification ne soit pas fausse. Application difficile Le recours systématique au chèque certifié n'est donc pas à exclure. On imagine alors le surcroît de travail imposé aux banques, sans parler du coût élevé occasionné par la certification, bien sûr, à la charge du client. Au moins à son démarrage, la mesure ne sera pas facile d'application dans la vie courante : on devra faire avec les inévitables trusts et autres cachotteries qu'il faut espérer limités et provisoires. On croit savoir que les pouvoirs publics sont décidés à faire preuve de vigilance sur le terrain, décidés comme on l'affirme avec force, « en haut lieu » à sévir à travers toutes les actions envisagées pour réduire l'informel. On espère aussi que la mesure dont il s'agit trouvera appui dans celle fiscale qui interdit la déductibilité de la taxe sur la valeur ajoutée, mentionnée sur toute facture payée en espèces. Sans parler de la mise en évidence dans des textes récents, de l'obligation faite aux commissaires aux comptes de révéler au Parquet les faits délictueux constatés au cours de leurs investigations, on compte sur le censeur légal pour faire échec aux infractions pénales commises dans les opérations de paiement. Est-ce là leur rôle ? Ce n'est pas évident. En ce qui ce qui concerne les sanctions encourues, outre qu'elles sont financièrement lourdes, soit de 50 000 à 500 000 DA, elles s'appliquent à « quiconque effectue ou accepte un paiement en violation des dispositions de l'article 6 », donc aussi bien à la partie payante qu'à celle qui encaisse. Et comme elle est classée dans la loi en tant que « disposition pénale », elle a le caractère d'une condamnation correctionnelle, donc obligatoirement prononcée par le juge avec pour incidence, son extension éventuelle s'il y a eu complicité en plus de son suivi en cas de récidive. A coup sûr, la nouvelle mesure entraînera un bouleversement dans nos comportements aujourd'hui partie intégrante de notre « culture financière » qui nous fait réagir automatiquement par le recours au cash.En attendant que ceux qui ne sont pas titulaires d'un compte bancaire ou de chèques postaux fassent le nécessaire : dès le 1er septembre prochain, plus de paiement en espèces au-delà de 50 000 DA.