Il est anormal, dans un pays qui aspire à la modernité et le répète à tout le monde, de mettre des journalistes en prison. Mais cette anormalité ne doit pas pourtant cacher les autres ; pourquoi la presse trouve-t-elle normal tout le reste, à commencer par les étranges rapports qu'elle entretient avec les pouvoirs officiels et occultes ? Est-ce bien normal de devoir passer par un colonel pour obtenir un agrément de journal ? Est-ce bien normal de devoir passer par des milieux interlopes pour avoir droit à quelques pages de publicité de l'ANEP ? Est-ce bien normal de recruter dans sa rédaction des journalistes qui travaillent par ailleurs avec les services de sécurité ? Est-ce bien normal pour une presse indépendante d'accepter cadeaux et argent de la part de groupes privés ou étatiques ? Est-ce bien normal pour une presse indépendante de publier l'intégralité des fax que les services de sécurité envoient aux journalistes en les signant ? Est-ce bien normal pour un journaliste de passer plusieurs heures par semaine dans les bureaux des officiers chargés de « traiter » la presse ? Est-ce bien normal de ne pas payer l'imprimerie en comptant sur ses appuis au pouvoir pour effacer ses dettes ? Est-ce bien normal pour des journalistes d'assister à des séances de torture ? Inscrite dans une anormalité depuis sa naissance, la presse privée algérienne, en acceptant des choses qu'aucune presse n'a acceptées, a permis les dérives que l'on connaît aujourd'hui. S'il est évident qu'il faut défendre toutes les atteintes à la liberté d'expression, il paraît aujourd'hui incontournable, maintenant que la situation est arrivée à un point de rupture, d'en profiter pour redéfinir les rapports presse-pouvoir et le rôle du journaliste en évitant les fausses réunions de solidarité et les créations de structures corporatives.