C'est un constat des plus alarmants que Hocine Bellout, président du Comité national des marins pêcheurs, dresse dans cet entretien. Il affirme que sur les 22 stations d'épuration installées dans les 14 wilayas côtières, 4 seulement sont fonctionnelles. Nos côtes reçoivent donc sans traitement la majorité des effluents chimiques et urbains des grandes villes industrielles… -En tant que président du Comité national des marins pêcheurs, vous avez alerté les autorités sur les effluents non traités rejetés en mer par la raffinerie de Skikda. Qu'en est-il au juste ? Le problème de la pollution de nos côtes dure depuis des années. Certains points noirs n'ont jamais été traités par les autorités qui procèdent beaucoup plus à du replâtrage. L'oued Safsaf, à Skikda, reçoit tous les rejets liquides de la moitié de la wilaya. A Annaba, l'oued Seybouse charrie les rejets chimiques et urbains de sept wilayas et de leurs zones industrielles, qui se retrouvent directement déversés en mer. Savez-vous qu'en 2007, 160 000 litres d'huile usée ont été déversés dans une fosse creusée à quelques encablures de cet oued ? Les services de la commune ont par la suite relié ce cours d'eau à la fosse et installé des canalisations pour que le tout se déverse en mer. En 2008, les agents de la Protection civile ont mis 24 heures pour éteindre un incendie provoqué par ce même type d'huile, déversée dans l'oued Medjouba, toujours à Annaba. C'est une situation catastrophique dont les conséquences sont extrêmement graves sur l'environnement marin. Nous avons la côte la plus polluée de la région. Vous devez savoir qu'en 24 heures, un litre d'huile peut polluer la surface d'un stade de football. Une tonne d'huile peut endommager une aire de 12 km2 alors que 7,12 m3 de déchets secs polluent une surface de 100 ha sur une profondeur de 40 mètres. Pire : un mégot pollue 9 litres d'eau et reste intact pendant une durée de 5 ans lorsqu'il est jeté en mer. Par ailleurs, il est important de préciser que des analyses ont montré que le taux de salinité de nos eaux a atteint les 3,8g, un poids trop élevé par rapport à la norme. Certains spécialistes pointent du doigt les stations de dessalement d'eau de mer. Ce qui est certain pour l'instant, c'est que notre côte est en danger. Nous avons tiré la sonnette d'alarme à maintes reprises, mais il n'y a pas de répondant. Les responsables nous accusent de faire dans l'alarmisme. Nous dérangeons parce que nous avons touché aux intérêts de certains d'entre eux. -Voulez-vous dire que tous les rejets industriels, chimiques et urbains sont déversés directement en mer ? Je le confirme et j'assume. Sur les 22 stations d'épuration qui existent dans les 14 wilayas côtières, seulement 4 sont fonctionnelles. Les autres sont totalement hors circuit. Elles sont à l'arrêt faute d'entretien ou tout simplement de contrôle. La pollution n'a jamais été une préoccupation des autorités chargées de l'environnement. Les conséquences, tout le monde les constate à travers le tonnage de plus en plus bas de poissons pêchés le long de nos côtes… -Le comité a exigé des sanctions contre les auteurs du déversement des déchets pétroliers de la raffinerie de Skikda en mer. Quelle a été la réaction des autorités ? L'oued Safsaf reçoit les rejets chimiques, industriels, et urbains de la moitié de la ville, avant de les déverser sans aucun traitement en mer. Les plus dangereux des agents pollueurs sont les hydrocarbures. Ils sont incolores et inodores et provoquent la destruction totale de l'écosystème marin. Il n'y a pas que la pollution par les hydrocarbures. Les épaves des trois navires échoués sur la côte sont toujours là et constituent un danger latent. Les premières victimes de cet état de fait sont les pêcheurs qui voient chaque année le volume de leur pêche se réduire comme une peau de chagrin… -Pensez-vous que la diminution de la ressource halieutique est due principalement à la pollution ? La plus importante cause reste la pollution. Pour preuve, les oursins ont presque disparu d'une grande partie de nos côtes. Comme vous le savez, ces derniers, ainsi que les moules, sont très sensibles à la pollution. En 2007, un aquaculteur a jeté 50 tonnes de moules en mer à Bou Ismaïl parce qu'elles étaient impropres à la consommation. Elles ont stocké dans leur chair trop d'agents chimiques restés dans l'eau polluée dans laquelle elles ont été élevées. -Selon vous, que font les services de l'environnement alors ? Il y a des questions que je me pose souvent. Que font toutes les directions de l'environnement qui existent sur le littoral, mais aussi, où va l'impôt consacré à la protection de l'environnement ? Pourquoi les stations d'épuration sont-elles à l'arrêt ? Y a-t-il réellement un ministère de l'Environnement ? Croyez-moi, je ne leur trouve pas de réponse. Notre écosystème marin est en danger. Tous nos écrits, nos cris de détresse et nos appels sont restés vains. Certains responsables ont réagi par la menace, parce que nous attirons trop l'attention sur eux. Ils sont censés être payés pour assurer aux citoyens un environnement sain. Au lieu de joindre leurs efforts aux nôtres pour lutter contre la dégradation de notre écosystème, ils préfèrent s'allier aux pollueurs, pour empoisonner l'air, l'eau et la terre, la source de vie. En tant que pêcheur, je constate chaque jour les conséquences néfastes de la pollution sur l'espace marin. De nombreux petits métiers ont fini par abandonner la pêche parce que souvent, leurs casiers reviennent avec une maigre récolte… -Ce qui menace sérieusement votre activité en tant que pêcheur... Effectivement. Notre activité est lourdement menacée. Déjà que bon nombre de pêcheurs inconscients agissent dans l'anarchie la plus totale. Il n'y a qu'à voir la taille de la sardine que l'on trouve sur le marché ! Elle ne dépasse guère les 5 cm, alors qu'en Europe, la taille minimum autorisée est de 14 cm. Avant, elle était de 11cm, mais à chaque fois que la ressource diminuait, les décideurs augmentaient la taille légale, afin de lui permettre de se reproduire et de reconstituer le stock halieutique. Chez nous, les services de contrôle semblent totalement absents face à ce sabotage organisé.