Dans de nombreuses conférences, d'éminents experts défendent l'idée, souvent rabâchée dans des discussions de salon, que la personnalité profonde d'un Algérien est d'être indolent, peu discipliné et, par conséquent, tout effort de développement serein serait vain parce qu'il serait vite vaincu par des comportements humains contraires aux exigences de développement. Nous serions donc condamnés à un éternel sous-développement ou tout au plus à prendre des décisions radicales maintenant qui ne produiront des résultats que dans plusieurs décennies. Toute tentative d'améliorer la situation économique autre que par la rente pétrolière serait vouée à l'échec, à court terme. Et pour prétendre être parmi les pays émergents, il faudrait travailler dur et se doter d'une patience légendaire, car on a besoin de plusieurs décennies pour commencer à tirer de maigres résultats d'une démarche rigoureuse. Si une telle position était celle d'un simple citoyen, nous aurions compris et laissé de côté ces opinions. Après tout, la divergence entre êtres humains est tout à fait naturelle. Mais ces positions sont celles de plusieurs économistes qui pourraient être appelés à conseiller les pouvoirs publics ou prendre des postes de responsabilité clés au niveau de la République. Au niveau scientifique Nous n'allons pas étayer en détail les modèles de même que les nombreuses investigations de terrain sur la question. Même une thèse de doctorat d'Etat ne ferait qu'effleurer le sujet. D'ailleurs, on a eu droit à de nombreuses thèses sur les thèmes de l'intelligence, la motivation, la discipline et le reste avec une comparaison inter-pays. Il ne peut jamais y avoir unanimité sur ce genre de question. On peut uniquement dégager une opinion majoritaire. Ce fut fait ! Les conclusions générées sont plutôt rassurantes. Il n'y aurait aucune prédisposition d'un peuple pour être plus laborieux ou plus discipliné qu'un autre. Ce sont les politiques économiques et les décisions managériales qui expliquent, en grande partie, les cultures institutionnelles et par conséquent les comportements des agents économiques. Ceci dit, il n'est pas question de nier des caractéristiques historiques séculaires qui peuvent peser sur les manières d'être et de faire des individus au travail. D'ailleurs, nous avons eu beaucoup d'auteurs qui ont consacré des recherches volumineuses aux questions culturelles. Autrement dit, les décisions macroéconomiques et managériales pèsent beaucoup plus dans les résultats des comportements des agents économiques. Elles induisent des contraintes qui poussent les individus à se comporter d'une telle manière plutôt que d'une autre. En d'autres termes, un Coréen, qui travaille dans une entreprise ou on communique, partage mieux la richesse créée, forme les ressources humaines, se concerte, promeut en fonction du mérite et le reste : nous aurions un individu super motivé et performant. La même personne embauchée par une entreprise ou règne le clanisme, le népotisme, l'exclusion, les décisions individuelles, l'hyper centralisation, la bureaucratie, la gabegie, etc., sera démotivée, fournira le minimum d'efforts et sera peu performante. Et en pratique ? L'analyse méticuleuse des modes de fonctionnement des entreprises algériennes publiques et privées livre déjà ses premières conclusions. J'ai eu la chance dans mon parcours d'universitaire et de consultant d'avoir participé à des équipes de conseil aux USA, en France et en Algérie. J'ai eu à examiner les activités-clés des dizaines d'entreprises publiques et privées en Algérie : stratégie, organisation, développement humain, marketing processus de contrôle, audit et le reste. Bien que dans l'ensemble, le retard managérial soit considérable, il y a quand même des sources de satisfaction. Nous avons un nombre limité d'entreprises privées et même quelques-unes publiques qui sont superbement bien gérées. Relativisons quelque peu. Elles ont fait des efforts considérables dans tous les domaines, y compris celui de gérer leurs ressources humaines qui sont disciplinées, laborieuses et fidèles à leur entité, et ce, à tous les niveaux. Nous avons donc sur notre propre sol des ressources humaines laborieuses, disciplinées et performantes. Nous avons donc la preuve que les bonnes politiques managériales produisent les bons comportements. Le grand problème de notre pays réside dans le fait que la proportion de ces entreprises sur le total est faible. Il va falloir en multiplier le taux par 14 ou 15 pour avoir un impact significatif sur le PIB. Mais l'existence de ces entreprises invalide la thèse de l'indolence et de l'indiscipline du travailleur algérien. Elles ne constituent pas une exception. La leçon que l'on peut tirer de ces expériences est la suivante : mises dans des conditions favorables, les ressources humaines algériennes donnent le meilleur d'elles-mêmes. D'ailleurs, lors de nombreux débats qu'on a eu sur la question, beaucoup d'intervenants soulignent, à juste titre, l'efficacité des ressources humaines algériennes expatriées tant dans des domaines aussi bien des travaux manuels qu'intellectuels. Où est l'indolence et l'indiscipline ? La Corée du Sud a une productivité qui s'améliore, une croissance de plus de 6% par an avant la crise et des exportations en pleine expansion. La Corée du Nord connaît une famine sans précédent et une productivité déclinante. Pourtant, les deux pays avaient avant 1950 une histoire commune. La production agricole en Chine a stagné durant l'ère communiste de Mao-Tsé-Toung. Durant le grand boom en avant, plus de 30 millions de personnes étaient mortes de faim. Mais après la réforme de Den Tsau Ping, la production agricole a doublé en l'espace de 7 ans. Qu'est-ce qui a changé ? Nous pouvons multiplier ces exemples à profusion. Nous débouchons sur les conclusions maintes fois soulignées. Il n'y a pas de peuple fainéant et indiscipliné et des peuples laborieux et obéissants. Il y a seulement des politiques économiques et managériales efficaces et d'autres qui sont fictifs. Ne pas comprendre cela est dangereux pour le devenir de notre pays. En plus de donner de fausses recommandations à nos dirigeants, stipuler que nous ne pouvons pas nous développer rapidement parce que nos ressources humaines sont paresseuses leur donne l'illusion qu'ils n'ont aucune responsabilité sur le devenir de notre pays. Le message qu'ils reçoivent est le suivant : «Vous n'y êtes pour rien dans le sous-développement du pays, vous avez tout fait juste. Vous ne pouvez pas faire plus et mieux. Ce sont les ressources humaines de votre pays qui sont responsables des retards.» Même si nos analystes n'ont pas prévu de transmettre exactement ce message, c'est ce que les politiciens perçoivent. Nous devons transmettre un message plus clair et plus exact qui serait les suivants «vos politiques économiques avec leurs conséquences sur les pratiques managériales sont responsables du sous-développement, de la paresse de nos citoyens, de la stagnation de la productivité et de notre quasi-dépendance de la rente pétrolière». Notons enfin que ce débat existe très peu ailleurs. On peut parler surtout de l'efficacité relative (que produit une personne employée par heure de travail). Les contre-performances économiques ne sont jamais attribuées aux citoyens. A juste titre, on les impute aux décideurs et à leur manque de discernement. Mais nous, nous nous démarquons également dans nos analyses économiques. Nous attribuons une grande partie des sous-performances à nos cadres et employés alors que leur output n'est que le reflet des modes de fonctionnement institutionnels. On fait la confusion entre victimes et bourreaux.