Irréel, intemporel, c'est du moins l'impression que donne l'exposition de la jeune artiste peintre Dalila Dalléas Bouzar, qu'abrite le CCF d'Alger jusqu'au mois de janvier 2012. Une exposition, où Dalila Dalléas Bouzar peint la part maudite de notre histoire, la part non pas secrète, plutôt non dite, non encore élaborée et encore moins pensée. Dalila L'artiste a réussi, l'espace d'une exposition, à ressusciter nos parts maléfiques qui ont ponctué l'histoire contemporaine algérienne, une histoire rythmée par les guerres. Au commencement de cette exposition n'était pas la guerre de Libération, où la férocité de la torture côtoyait la grandeur des héros et héroïnes. Elle ne commence pas non plus par cet hommage appuyé aux valeureuses jeunes femmes et valeureux jeunes hommes pleins de bravoure qui ont libéré le pays. Les premières toiles brossent la guerre fratricide, où des frères méconnaissables, avec des gueules de bêtes sauvages, traquent violemment leurs frères, sœurs et enfants, désarmés, pour les mutiler dans leur sommeil, des frères irascibles dont la haine va les pousser au meurtre. Une exposition où se superposent guerres, meurtres et parricides avec le saisissant portrait du président Mohamed Boudiaf, dont le cœur d'amour peint en rouge, contraste avec le portait peint en blanc et noir. Dalila Dalléas Bouzar entremêle sciemment les toiles qui peignent les crimes pervers avec ceux de l'atroce guerre anticoloniale. Elle revisite notre Histoire contemporaine et pointe ce qui fait retour dans ces guerres, la haine inconsciente, enkystée dans notre mémoire collective. Dalila Dalléas Bouzar nous invite à questionner le silence qui entoure notre histoire et nous aide à «recoller» au souvenir des guerres, la place de la femme dans la cité, femmes tiraillées entre modernité et archaïsme. L'écriture, ou les écritures que retracent avec litanie les toiles de Dalila Dalléas Bouzar, parlent de guerres, de meurtres, d'assassinats et le rythme qui anime l'artiste l'amène à dessiner des cercles esthétiques, combinant mouvement, période, structure et surtout répétition, répétition de l'horreur, dans laquelle une pensée du rythme s'incarne et permet de mieux comprendre les pratiques inhumaines qui sévissent ici et de saisir leur sens. Ce rythme a fini par pousser l'artiste peintre à faire un pas de côté, pour briser ces cercles morbides afin de transformer le présent macabre et accoucher enfin la vie pour exorciser les morts, qui s'enchaînent les uns aux autres. C'est ce qu'évoquent les toiles sur l'accouchement, de manière à faire, en creux, au burin, en noir et blanc, l'histoire de notre pays. Ce que ces œuvres déroulent n'est rien d'autre que l'histoire contemporaine d'une Algérie à advenir, peinte avec une touche poétique et une légèreté évanescente qui nous réconcilie avec notre Histoire. S'il est vrai, que le passé et le présent traumatiques sont enchevêtrés, le futur quant à lui est symbolisé par un portrait d'enfants, où l'étoile «Nedjma» de Kateb Yassine veille sur chacun d'entre eux et laisse poindre un possible. Un futur, qui ne renie en rien notre passé et qui ne gomme nullement notre présent, un futur qui intègre et englobe tous les volets de notre histoire, notre part maudite et notre part grandiose, un futur où s'entrelace esthétisme, mémoire et pensée. L'artiste peintre Dalila Dalléas Bouzar s'est saisie dans ses créations de l'histoire contemporaine de l'Algérie pour atteindre le public dans son intimité. Comme dirait Freud, l'énigme engendre la perplexité, quand à l'Art, il cherche à les éclairer, l'un allant vers l'autre et se croisant au sein de ce que l'on peut appeler une ouverture à l'Autre. Une exposition à voir et à revoir sans modération et qui donne à lire et à voir autrement notre Histoire.