Midi. La résidence Ahmed Beddad, d'une capacité de 500 lits, paraît inanimée. Ce n'est pas vraiment le cas devant le réfectoire aménagé au rez-de-chaussée d'un édifice résidentiel (bloc C) de quatre étages. On se bouscule à l'entrée. L'issue de sortie est bien gardée par des agents de sécurité qui veillent à ce qu'aucun plat (en aluminium) de nourriture ne quitte le restaurant. L'instruction, nous dit-on, émane de l'administration. Pour y accéder, il faut obligatoirement emprunter l'un des deux corridors dont l'armature en fer laisse suggérer une pénétration pénible du lieu. Tout au fond, l'intraitable contrôleur de tickets constitue le dernier obstacle sur le chemin du rassasiement. Craint et haï, il régente la procession humaine qui s'ébranle très lentement. Non sans couacs. Une, deux heures... d'attente, collés les uns aux autres. Comme s'ils étaient encagés, des étudiants s'accommodent mal de cette forme d'organisation « prédégustative ». Humiliante. Résignés à leur sort, certains se refusent à tout commentaire. D'autres, indifférents, lisent des journaux en attendant. Les barreaux en fer sont un moyen efficace, explique un employé du restaurant, pour canaliser le flux des étudiants et dissuader les fameux « harraga » qui ont, eux, une sacrée horreur des longues files d'attente. « Nous servons entre 600 et 700 repas au déjeuner, presque le double au dîner », dit-il. Les quelques tables, encore debout, sont prises d'assaut par des étudiants aussitôt servis. Moins de dix minutes après, arriver à se dégoter un emplacement de libre dans deux salles exiguës et insalubres, d'à peine 50 m2, relève du miracle. Au-dessus de leur tête, des conduites d'eaux usées aux trous béants. Au menu de ce mardi 13 décembre : une pomme, deux portions de cachir (pâté de viande dont la préparation est, selon la définition du dictionnaire Hachette, conforme aux rites du judaïsme), haricots rouges et laitue. Abdelaziz, étudiant nigérien, à qui on demande si c'est tous les jours la même composition culinaire, nous répond : « La bouffe n'est pas du tout bonne, quel que soit le jour ou le menu. » Avant de lâcher, désillusionné : « Ici, c'est une question de survie. En réalité, quand ce n'est pas les batailles rangées aux portes du resto, ce sont les arrêts de travail provoqués par les organisations estudiantines qui dictent leurs lois. De là à parler de la qualité des repas.... » Abdelaziz, originaire de Niamey, est étudiant en informatique. Il trouve que la qualité de l'enseignement dans cette discipline est, par contre, bien meilleure à Sidi Bel Abbès, comparée à d'autres facultés du pays. 80 étudiants de nationalités africaines sont hébergés à la cité Ahmed Beddad, du nom d'un martyr de l'ALN tombé au champ d'honneur, le 4 avril 1962 (juste après l'accord de cessez-le-feu), non loin de la localité de Twayta. Il était sous les ordres du commandant Abdelkrim, mort dans des circonstances non encore élucidées. « Ces jours-ci, les chaudières ont rendu l'âme », s'inquiète Cissé, camarade de classe malien de Abdelaziz. Solution de rechange : poêle portatif à gaz ou électrique pour les plus chanceux, les fameuses résistances (alliance risquée entre une brique et l'énergie électrique) pour les autres. Résultat : de fréquentes coupures de courant, des disjoncteurs qui crament et encore des bagarres entre étudiants. « La privatisation est à la mode » Les déficits en chaleur et les aspects digestifs mis à part, Cissé est préoccupé, plutôt, par « le manque d'espaces culturels dans les cités ». Les idées, locaux et moyens, existent pourtant, fait-il remarquer. Le problème ? « L'administration ne s'occupe pour le moment que de nourriture et de literie. Même le foyer va être loué à un particulier. La privatisation est à la mode », tranche-t-il. Cissé, vice-président de l'Association des étudiants étrangers à Sidi Bel Abbès (AEES), regrette ne pas avoir pu organiser, l'année dernière, une rencontre dédiée aux cultures propres aux régions de l'Afrique subsaharienne. « Pourtant, les délégués des différentes communautés ont adhéré à cette initiative et esquissé tout un programme pour la circonstance », se désole-t-il. L'université de Sidi Bel Abbès accueille plus de 300 étudiants de vingt-deux nationalités africaines, précise Cissé. Deux cents mètres plus loin, dans le quartier populeux de Gambetta, même topo à la résidence Ibn Rochd. Selon Cherwini Mohamed, étudiants en 3e année d'histoire, hormis le fait qu'elle accueille près de 3000 résidents pour une capacité théorique de 2000 lits, cette structure d'hébergement construite au début des années 1980 « connaît des problèmes semblables ». En parlant de sa cité, Mohamed, révolté, résume : blocs délabrés et mal éclairés, chaudières défectueuses, sous-alimentation et toxi-infections, promiscuité, chambres crasseuses, toilettes impraticables, canalisations éventrées, vides sanitaires inondés, grèves et conflits, des esprits exacerbés, du désespoir et plus récemment des explosions de bonbonnes de gaz dans les chambres. « Avec les dernières baisses de température (entre 0° et 5° la nuit), on se chauffe comme on peut. C'est le désordre totale. » Et de rappeler que seize étudiants ont été victimes de ces « maudites bonbonnes », depuis le début du mois. Mohamed se préoccupe, lui, de l'état dans lequel se trouve l'unique bibliothèque de la cité. « Il y a très peu d'ouvrages, des livres d'histoire et de littérature arabe pour la plupart. Vous ne trouvez pas que c'est insuffisant pour 2000 ou 3000 étudiants ! » Mais pour lui, tout n'est pas aussi sombre dans les autres cités, deux ou trois, à l'image de l'annexe de Dar Abid, arrivant bon an, mal an à réunir des conditions décentes de restauration et d'hébergement. Et les comités de cités ? « Le ministère de l'Enseignement supérieur les a gelés l'année d'avant », croit-il savoir.Certains comités de cité ont versé dans le « commerce » et se sont convertis aux « lois du marché ». Ils se sont métamorphosés en groupes de pression, voire en interlocuteurs directs lors de passations de marchés portant sur l'approvisionnement des cités.