Aucune péroraison, entretenant une sorte de surenchère au nationalisme désuet du FLN, ne fera du Premier ministre un patriote exemplaire. L'attachement à l'intérêt national et au service du pays se démontre par le travail et par un bilan. Le RND, aux affaires depuis 1997, grâce à des fraudes massives qui sont sa marque de fabrique, n'a aucun titre pour s'indigner au sujet de l'Algérie qu'il ne représente pas. Il y a lieu de rappeler, pour beaucoup d'Algériens qui semblent l'ignorer, que le RND n'a jamais été conçu pour accompagner l'œuvre réformatrice que voulait engager le président Zeroual, le premier président de la République dans le monde arabe à avoir été élu dans des conditions démocratiques irrécusables, mais pour celui qui enchaîne depuis 16 ans les responsabilités de l'Exécutif (d'abord comme coproducteur des textes réglementaires les plus importants, ensuite comme simple primus inter pares). La Turquie est un pays frère. C'est aussi un modèle pour nous, en matière de patriotisme (et non pas de ce nationalisme aussi péremptoire que vain affiché par nombre de nos responsables bi, voire plurinationaux, et détenteurs de fortunes colossales abritées dans des paradis fiscaux), de démocratie, de tolérance, d'abnégation dans le travail et de tropisme moderniste. Ceci dit, personne ne peut dénier au Premier ministre turc, M. Erdogan, le droit de répondre à l'oukase que lui ont adressé les députés français, à l'occasion du vote d'une énième loi mémorielle qui fait, au demeurant, l'impasse sur le travail de mémoire entrepris depuis de longues années par les élites intellectuelles et politiques turques qui ont eu le courage de revisiter le passé de l'Empire ottoman. Que M. Erdogan ait estimé devoir illustrer sa réponse en rappelant les massacres perpétrés par le colonialisme en Algérie (notamment ceux du 8 Mai 1945) est son droit le plus absolu. Il n'avait pas à demander la permission des autorités algériennes, et d'ailleurs lesquelles ? N'est-ce pas le successeur de Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, qui avait expressément subordonné la ratification d'un traité d'amitié avec la France à la reconnaissance préalable par la France officielle de crimes contre l'humanité perpétrés contre les populations algériennes durant la période coloniale ? A moins que le Premier ministre turc doive séparer le bon grain de l'ivraie au sein de l'élite dirigeante algérienne, initiative, s'il en est, qui eût relevé de l'exploit tant règne aujourd'hui la confusion la plus grande au sommet de l'Etat. Si le Premier ministre turc a cru utile de faire référence aux massacres commis par les colons et l'armée coloniale en Algérie, c'est aux fins de dénier au législateur français le droit de donner des leçons à ce grand pays qu'est la Turquie. En aucune manière, et ce n'est pas du reste ainsi que les Algériens l'ont compris, M. Erdogan n'a voulu utiliser comme fonds de commerce les malheurs passés de notre pays pour régler des comptes avec la France officielle. C'est très mal connaître ce grand homme d'Etat ainsi que des personnalités aussi exceptionnelles que le président de la République, Abdallah Güll ou le ministre des Affaires étrangères, Ahmet Dovotulu. Pour le surplus, aucun responsable turc n'a repris, après le 22 décembre dernier, l'algarade du Premier ministre à l'endroit de la France. C'est assez dire que la Turquie n'entend pas utiliser l'affaire algérienne comme un fonds de commerce. C'est, au contraire, le Premier ministre algérien, objet d'un véritable rejet de la part de l'opinion publique, qui, lui, utilise à des fins de politique intérieure les propos de M. Erdogan quelques mois seulement avant une échéance électorale qui n'est pas a priori favorable à sa formation. Il cherche également à se distancier du FLN qui s'était plutôt réjoui des déclarations de M. Erdogan et à donner des gages à la France officielle, au moment où de nombreux membres dirigeants du FLN continuent de conditionner une normalisation durable avec Paris à une repentance en bonne et due forme, que celle-ci se refuse obstinément. Cela dit, on est d'autant plus à l'aise pour apprécier l'hommage que le Premier ministre Erdogan a rendu à la lutte du peuple algérien pour arracher son indépendance, que les violences du colonisateur qui ont jalonné 130 ans de domination ne peuvent être assimilées, quel que soit leur niveau d'intensité, à un génocide au sens du droit international positif (et notamment de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948), car il n'y a jamais eu une volonté intentionnelle et programmée de la part de la France coloniale d'exterminer tout ou une partie du peuple algérien, et pour cause ; le lobby colonial avait trop besoin d'une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci pour se résoudre à sa disparition physique. S'agissant des positions passées de la Turquie à l'égard de l'Algérie, le Premier ministre cède une nouvelle fois au péché de l'anachronisme. Il est exact que durant la guerre de Libération nationale, la Turquie solidaire des Etats-Unis dans l'Alliance Atlantique, a adopté une attitude plutôt frileuse à notre endroit ; les demandes de soutien en ravitaillement et vivres exprimées en 1960 par le colonel Ouamrane, alors représentant du FLN en Turquie, n'avaient pas été satisfaites. La place nous manque ici pour évoquer les circonstances qui étaient à la décharge des autorités turques de l'époque, dont le caractère très tardif des demandes algériennes et, à un moment, où le Général de Gaulle s'était déjà exprimé sur l'autodétermination du peuple algérien. Il est, en tout cas, pour le moins insolite que l'on fasse grief aux dirigeants turcs actuels de l'indolence supposée ou réelle de la Turquie officielle des années 1950 et 1960, par rapport à la lutte de Libération nationale algérienne. Quant à la présence de la Turquie au sein du commandement intégré de l'OTAN, il est malvenu de la part du Premier ministre d'en faire reproche à l'actuel gouvernement turc à un double titre. Le premier est que l'intégration de la Turquie à l'OTAN relève d'un choix géostratégique et politique ancien et de long terme qui transcende la conjoncture actuelle et la nature même du régime turc. Le second est qu'il est pour le moins déconcertant de la part du deuxième responsable de l'Exécutif de feindre ignorer que l'Algérie est liée par un partenariat de tout premier ordre avec l'OTAN depuis 2000, et que notre pays, dans sa lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée transfrontière, s'inscrit dans le schéma de prévention et de gestion des risques dans l'espace euro-méditerranéen conçu par l'OTAN sous la houlette étroite des Etats-Unis. On croit rêver. Nadjia Bouaricha, dans la livraison d'El Watan du 8 janvier, présente le Premier ministre algérien comme celui qui vient voler au secours de la France dans la mise en cause de celle-ci par le gouvernement turc. Le problème est que les relations algéro-françaises n'ont cessé d'être instrumentalisées depuis 50 ans, notamment du côté algérien. Un jour, c'est le partenariat privilégié avec l'ancienne puissance coloniale (ce qui veut dire plus de parts de marché pour ses entreprises), le lendemain, tous les partenaires de l'Algérie, quels que soient les engagements pris antérieurement, doivent être traités sur un pied d'égalité, mondialisation oblige. Résultat des courses : jamais les relations entre nos deux pays n'ont pu connaître l'intensité, la qualité et la densité que le dynamisme de deux sociétés civiles respectives eût pu leur insuffler, sous condition de non-interférence du politique. Enfin, l'ingratitude du patron du RND à l'endroit de la Turquie et sa méconnaissance des intérêts géostratégiques de l'Algérie en Méditerranée orientale, qui imposent des relations très étroites avec Ankara, souligne une réalité assez pathétique, non point la sauvegarde des intérêts algéro-français dont la consolidation est nécessaire, mais la sauvegarde, en France, des intérêts personnels et patrimoniaux de certains chefs de clans dont la francophobie de circonstance ne saurait abuser personne. Cela n'empêchera point le partenariat algéro-turc d'être promis à une très longue vie.