Quand ils ont réussi le concours de recrutement le 18 décembre 2010, on leur avait promis qu'ils allaient bénéficier de tous les avantages octroyés aux wilayas du Grand Sud, un logement, un bon salaire gonflé par les indemnités du Sud et un billet d'avion pour le congé annuel. Ils sont nombreux ces enseignants de français, de mathématiques et de physique qui ont été séduits par les promesses et privilèges dont rêve tout diplômé chômeur. Il s'est vite avéré que l'eldorado qu'on leur avait promis, n'est qu'un miroir aux alouettes. En l'absence du minimum de conditions de travail, ils souffrent le martyre au quotidien et font face à un imbroglio administratif étonnant. Le plus inquiétant est qu'ils n'ont toujours pas perçu leur salaire. «Dans l'Algérie du troisième millénaire, des enseignants travaillent aux fins fonds du pays sans être payés. L'administration locale gère ce dossier avec beaucoup de laxisme et cela risque malheureusement de perdurer», déclare un enseignant. «Nous louons un appartement à quatre et ma famille continue à m'aider à payer le loyer. La situation devient plus dramatique si l'on tombe malade, là on n'arrive même plus à se soigner. Qu'attendent-ils pour résoudre ce problème ? Nous sommes poussés à bout et risquons de tomber dans le piège des activités illégales pour gagner notre vie», s'écrie un professeur de l'enseignement secondaire (PES) dans un désespoir total. Son calvaire date de deux ans : «J'ai été recruté en qualité de PES en physique, mais on m'a contraint à enseigner les mathématiques pendant toute la période d'avant mon intégration en mars dernier. Ne vous étonnez pas si je vous dis que certains enseignants ont eu deux décisions de nomination à la fois. Une pour la matière pour laquelle ils ont été recrutés et une autre pour la matière qu'on leur impose d'enseigner. L'application du plan de gestion des ressources humaines n'est guère respectée. Nous sommes intégrés officiellement dans nos postes, mais à notre grand étonnement, nous constatons que le même poste a été accordé par convenance à d'autres enseignants spécialisés dans des matières autres que celle enseignée. C'est à cause de cette imbrication que nous ne sommes toujours pas rémunérés. Ce matin, j'ai emprunté 50 DA pour prendre un taxi», se lamente un autre enseignant qui poursuit : «On se moque de nous à la direction de l'éducation en nous collant le sobriquet de ‘‘victimes du système''». Les exemples ne manquent pas à Tamanrasset, mais l'histoire d'un francisant, qui a requis l'anonymat, laisse croire que le recrutement se fait sans aucun respect de la loi. Bien qu'il ait réussi au concours, il n'a toujours pas rejoint sont poste. Pourquoi ? «Mon cas est l'exemple même de l'anarchie qui caractérise notre administration. Après ma réussite au concours, on m'a demandé de compléter mon dossier, ce que j'ai pu faire en un temps record et en mobilisant tous mes proches, ce n'est qu'après, que le service du personnel m'a appris que le poste, qui me revient de plein droit, a été attribué à un autre enseignant. J'ai été choqué. Le comble est qu'on s'est arrogé le droit de me recruter en tant que contractuel. Cette procédure est-elle légale ? J'ai vainement saisi toutes les autorités compétentes pour savoir si elles ont la moindre explication.» Un autre enseignant de français raconte les yeux embués de larmes : «J'ai accepté de venir à Tamanrasset parce que le ministre m'a promis une prise en charge et cela fait deux ans que je travaille dans cette wilaya, avec des élèves sérieusement en difficulté, sans être logé. On est quatre dans un F2 trop étroit et les 33 lauréats du concours n'ont pas perçu leur salaire depuis mars dernier. Notre vie, notre misère importent peu pour Benbouzid, les enseignants de français repartent au bout de 2 ou 3 ans. Une fois titularisé, je partirai moi aussi. Les enseignants déplorent aussi le fait que tous les secteurs ont droit à un billet d'avion annuel, hormis ceux de l'éducation qui déboursent presque 30 000 DA pour le congé annuel sans jamais être remboursés.» Cette réalité du terrain n'a pas été exposée au ministre de l'Education nationale lors de sa dernière visite dans la capitale de Tin Hinan à l'occasion de la rencontre régionale des wilayas du Grand Sud. Néanmoins, il s'est rendu compte de la situation lors de l'inauguration du lycée Amlal Ag Blal et du nouveau CEM d'Adrianne où il a eu à entendre les doléances des enseignants qui endurent les mêmes problèmes et qui sont contraints à enseigner des matières qui n'ont aucun lien avec leur spécialité. Devant cet état de fait, le premier responsable du secteur, fou furieux, a lancé à l'adresse du directeur de la wilaya et des responsables des établissements : «Si cette situation persiste, vous serez renvoyés chez vous. Vous n'appliquez pas les instructions. Nous ne promulguons pas de textes de loi contre le gouvernement et n'hypothéquons pas l'avenir de nos enfants. C'est votre débonnaireté qui maintient Tamanrasset au bas du classement. Je comprends mieux avec toute cette anarchie.» Au sujet des salaires non encore versés et des logements non distribués, le directeur de l'éducation a, devant le ministre Ben Bouzid, promis de régulariser la situation de tous les enseignants concernés avant la fin du mois en cours.