Le changement, les réformes, des mots qui reviennent avec insistance pour dire combien le besoin de voir la situation actuelle évoluer vers le meilleur se fait pressant et fort. Il se trouve toutefois que les conditions requises pour mettre sur les rails tout projet de changement ou de réformes sont compromises par l'absence de démocratie. C'est en tout cas l'avis de Ammar Belhimer, docteur en droit, enseignant à l'université d'Alger, invité hier par le Front des forces socialistes à disséquer «les grands indicateurs de la situation économique et sociale, en Algérie». Lors de cette conférence entrant dans le cadre de l'association par le FFS «des personnalités de la société civile afin d'élargir et d'éclairer la réflexion pour la préparation de la convention nationale prévue le 11 février à Alger», M. Belhimer estime que deux obstacles majeurs ferment la voie au changement. Il s'agit, dit-il, du «déficit démocratique et de la prise en otages des intérêts économiques locaux par des facteurs extérieurs». Malgré les moyens financiers importants dont dispose le pays, le conférencier souligne que l'absence de transparence et de règles de gestion saine des deniers de l'Etat fait qu'il est impossible de sortir de l'économie de comptoir dans laquelle on s'est engouffrés pour servir des puissances étrangères. Parler de réformes dans ces conditions relève de la pure fantaisie, le mal étant plus profond et nécessitant des réponses politiques appropriées. «Le déficit démocratique s'exprime par la prééminence de la violence politique. Nous nous trouvons devant une démence du système face à un peuple pacifique», note Ammar Belhimer qui relève que la violence employée par le système comme mode de fonctionnement politique s'exprime sous différentes formes, dont l'absence d'alternance au pouvoir. «Les successions s'ordonnent de manière opaque par le cabinet noir ou conclave de décideurs… le changement des chefs d'Etat ne se fait pas de manière pacifique, ils sont soit faits prisonniers, soit assassinés, soit poussés à démissionner», dit-il en notant que chaque président concocte sa propre Constitution prouvant ainsi l'absence de contrat social négocié autour duquel tout le monde se retrouve. Une succession de violences qui traduit on ne peut mieux la nature d'un pouvoir de prédation. L'autre forme de violence évoquée par M. Belhimer est celle liée au mode de régulation institutionnelle. «Corruption, clientélisme et compromission» sont les maîtres-mots d'un mode de régulation des institutions dans le cadre d'un contrôle policier de ces dernières. Le conférencier souligne en outre que la violence s'exerce aussi dans l'encadrement de la société à travers la matraque qui s'exprime davantage en temps de crise. La violence comme référent culturel est aussi, note le conférencier, mise à contribution dans l'opération de contrôle de la société et elle s'exprime par la violence à l'égard des femmes, la violence dans les écoles, etc. L'autre obstacle au changement lié aux intérêts économiques du pouvoir et de sa clientèle sert, selon l'invité du FFS, des intérêts étrangers. «Nous n'avons pas construit une économie nationale, mais une économie de comptoir, une économie de brique, selon l'expression espagnole ou de tchipa, selon l'expression algérienne», note M. Belhimer. Ce dernier précise que l'économie de comptoir se caractérise par une grande fuite de capitaux, mais aussi de cerveaux. «Ces fuites, qui ont un coup faramineux, hypothèquent l'avenir du pays», dira M. Belhimer en indiquant que l'Algérie a dépensé pas moins de 11 milliards de dollars en 2010 au titre des services. «Le port d'Alger est géré par Dubai Port, le métro par la RATP française, l'eau par la Seaal filière française, l'aérogare d'Alger est gérée par les Français», précise le conférencier qui s'interroge sur le devenir de l'encadrement algérien. Ammar Belhimer estime qu'on se trouve devant «un pouvoir de janissaires qui agit pour les intérêts étrangers et qui ne peut gérer que dans la violence… On est dans le pompage des ressources naturelles. En termes de démocratie représentative, on a eu droit à une Assemblée élue à seulement 15% et ose légiférer. Et en termes de démocratie participative, toute association qui n'est pas alliée au pouvoir est exclue». Le dramaturge Slimane Benaïssa interviendra pour dire : «On peut représenter ce système de voyous en le comparant à une équipe de football dans laquelle on fait jouer cinq joueurs invisibles. La problématique qui se pose maintenant est de savoir comment dégager ces joueurs invisibles qui en fait gèrent tout.»