Abdelhamid Mehri, que l'on savait souffrant ces derniers temps, s'est éteint hier à l'âge de 86 ans. 86 années dont il avait passé près de 70 à s'engager, d'abord pour une Algérie indépendante, ensuite pour la démocratie. Ce militant infatigable avait, jusqu'à quelques mois seulement avant sa mort, tenté de peser sur ce qui agite le pays et sa continuelle quête de cet idéal démocratique dont la réalisation a été sans cesse sacrifiée pour les enjeux du pouvoir. Il y a moins d'une année, et au moment où les révoltes populaires redonnaient l'espoir aux Tunisiens et aux Egyptiens, Mehri adressait une lettre à son «frère» Bouteflika où il tentait de le gagner à la nécessité d'ouvrir le champ politique. Quelque temps après, l'ancien secrétaire général du FLN devait une nouvelle fois déchanter. «Je ne perçois aucune volonté de changement chez le régime», avait-il conclu après avoir vainement attendu, lui comme d'autres acteurs politiques, cette ouverture promise par le pouvoir. Cette séquence résume un peu ce qu'avait été la relation de Abdelhamid Mehri avec, d'une part, le pouvoir politique et, de l'autre, l'exigence d'aller vers l'instauration de la démocratie. Ceux qui le connaissent saluent en lui ce sens de la pondération à des moments où les passions et le cumul des frustrations confinaient plutôt à la rupture. Cette qualité pouvait passer pour un défaut chez d'autres, mais l'homme aimait ainsi croire en le compromis, une sorte de réalisme qu'il tient de son long et dense itinéraire politique. Il ne se privait pas de fermeté, cela dit, lorsque les enjeux en présence l'exigeaient, et en fin politique, lorsque les rapports de force l'autorisaient. C'est lui qui, au début des années 1990, héritant d'un FLN sorti pantelant des émeutes d'Octobre 1988, avait pu riper significativement le parti vers l'action politique affranchie du contrôle sourcilleux des centres de décision. Le parti-Etat a pu ainsi basculer dans l'«opposition» et Abdelhamid Mehri, qui avait signé au nom du FLN le fameux contrat de Rome, n'avait pas tardé à en payer le prix via un «coup d'Etat scientifique». La centrifugeuse du pouvoir l'avait éjecté définitivement des circuits officiels, disons-le désormais, jusqu'à la fin de sa vie. Si l'Algérie avait pu arracher son indépendance en 1962, elle n'a pu malgré tous les sacrifices parachever cet autre segment de sa réalisation, en tant que nation moderne, qu'est l'instauration de la démocratie. C'est ce que répétait Mehri qui, ce disant, joignait sa voix à celle de tous les militants de sa génération non fascinés par les charmes de la proximité avec le sérail. Comme eux, il aura traîné la frustration, voire peut-être la culpabilité, de n'avoir pas pu être à la hauteur de cet engagement premier dans le Mouvement national, puis dans la guerre de Libération. Et comme beaucoup d'entre eux, il est parti sans voir ce pays auquel ils ont consacré leur vie arrimé enfin à la démocratie.