Un nombre important de jeunes, estimé à plus de deux cents personnes, de la localité frontalière d'El Abed, au sud de Tlemcen, ont eu, avant-hier dans l'après-midi, une manière originale pour exprimer leur ras-le-bol : profitant du non-déroulement d'un match de football en raison de l'absence du service d'ordre, les jeunes se sont dirigés massivement vers le territoire marocain pour y pénétrer. Certains ont réussi à y mettre les pieds avant de rebrousser chemin. C'était là, disaient-ils, « une manière pour attirer l'attention sur nous et rencontrer le wali pour lui exposer tous les problèmes socioéconomiques que nous vivons ». « Ils ont été arrêtés sur le tracé par les gardes-frontières. » Cependant, ne lâchant pas prise, les manifestants, qui n'avaient rien de harraga, ont refusé de quitter les lieux. En fin d'après-midi, une commission de wilaya, conduite par le secrétaire général, s'est rendue sur les lieux de la protestation pour écouter ces citoyens « abandonnés à leur propre sort. Nous sommes les damnés de la terre, et il a fallu qu'on sorte de notre mutisme de cette manière pour que les autorités se déplacent jusque chez nous et nous écoutent ». Après plusieurs heures de dialogue, où les villageois ont énuméré tous leurs besoins, les esprits se sont apaisés et les choses sont rentrées dans l'ordre au début de la soirée. Cette forme de protestation a été différemment interprétée : en choisissant de braver le danger et fuir publiquement au Maroc, les jeunes protestataires voulaient « simplement dire que si l'Etat algérien n'était pas capable de nous prendre en charge, alors on était prêt à quitter notre pays ». C'était un message purement symbolique puisque, du côté voisin, ce n'est pas le Pérou, en ce sens que les Marocains de l'Est chérifien vivent grâce à cette partie de l'Algérie, et ce n'est un secret pour personne. Mais ce qu'il faut noter aussi, c'est que ces derniers temps, une lutte implacable est menée contre tous les trafics sur cette bande frontalière et c'est ce qui pousse certains observateurs à parler d'« instrumentalisation des jeunes par les gros trafiquants ». Toujours est-il que, instrumentalisation ou pas, la misère est un véritable fléau dans cette région où, également, la contrebande pratiquée par des bandes sans foi ni loi est un secret de Polichinelle...