Un nombre important de jeunes, estimé à plus de deux cent personnes, de la localité frontalière d'El Abed, au sud de Tlemcen, ont eu, vendredi dans l'après midi, une manière originale pour exprimer leur ras-le-bol. Profitant du non déroulement d'un match de football en raison de l'absence de service d'ordre, les jeunes se sont dirigés massivement vers le territoire marocain pour y faire irruption. Certains ont réussi à y mettre le pied avant de rebrousser chemin. En face, derrière les barrières fictives, dans la bourgade chérifienne de Sidi Boubekeur, nos voisins suivaient le mouvement de protestation de nos concitoyens avec des sentiments différents. Des concitoyens qui, disaient-ils en colère, avaient trouvé là « un moyen pour attirer l'attention sur nous et rencontrer le wali pour lui exposer tous les problèmes socio-économiques que nous vivons ». Des jeunes qui paraissaient déterminés ont été arrêtés sur le tracé par les garde-frontières. Cependant, ne lâchant pas prise, les manifestants qui n'avaient rien de harraga, avaient refusé de quitter les lieux. En fin d'après-midi, une commission de wilaya, conduite par le secrétaire général, s'est rendue sur les lieux de la protestation pour écouter ces citoyens abandonnés à leur propre sort. « Nous sommes les damnés de la terre et il a fallu qu'on sorte de notre mutisme de cette manière pour que les autorités se déplacent jusque chez nous et nous écouter », disent-ils. Après plusieurs heures de dialogue où les villageois ont énuméré tous leurs besoins, les esprits se sont apaisés et les choses sont rentrées dans l'ordre en début de la soirée. Manipulation des jeunes ? Cette forme de protestation a été différemment interprétée. En choisissant de braver le danger et fuir publiquement au Maroc, « les jeunes protestataires voulaient, dit-on, simplement dire que si l'Etat algérien n'était pas capable de nous prendre en charge, alors, on était prêt à quitter notre pays. » C'était un message purement symbolique puisque du côté voisin, ce n'est pas le Pérou en ce sens que les Marocains de l'est chérifien vivent grâce à cette partie de l'Algérie, et ce n'est un secret pour personne. Toutefois, alors que la situation semblait aller vers la normalisation, samedi matin, la population s'est levée avec des tracts, datés du 26 janvier 2006, d'une portée grave si l'on juge le contenu : « Nous Ouled N'har, nous sommes fiers d'être des vrais Marocains et non des Algériens » Un slogan qui laisse pantois plus d'un, d'autant que la tribu des Ouled N'har est connue pour ses vaillants hommes et son nationalisme. A l'heure actuelle, aucune interpellation, ni arrestation n'ont été opérées par les services de sécurité. Enfin, ce qu'il faut noter, aussi, c'est que ces derniers temps, une lutte implacable est menée contre tous les trafics sur cette bande frontalière et c'est ce qui pousse certains observateurs à parler de « manipulation » des jeunes par les gros trafiquants. Toujours est-il que, instrumentalisation ou pas, la misère est un véritable fléau dans cette région où la contrebande est pratiquée par des bandes sans foi ni loi.