Souk Ahras, avec ses 26 communes dont le chef-lieu, ses localités, est une région frontalière avec la Tunisie. En tant que tel, elle aurait dû prétendre au titre de « zone de libre-échange », celle que l'Union du Maghreb arabe avait envisagée à sa création. Ce projet aurait dû inciter le pouvoir local de cette région durant ces dernières années à asseoir son rayonnement de capitale de l'économie maghrébine. Au vu de l'absence de tout développement des infrastructures et des mentalités, c'est le contraire qui s'est produit. La dissolution, l'une après l'autre, des entreprises publiques et la faillite de celles privées et la culture de l'ostracisme ont entraîné l'économie locale vers l'agonie. En 2005, le résultat est alarmant. A cette économie à l'agonie s'est ajoutée la présence de groupes composites de plus en plus nombreux où se mêlent les réseaux de drogue et de voitures volées, la contrefaçon, la prostitution... Souk Ahras s'est transformée en wilaya tentaculaire gonflée par les vagues d'un exode rural non maîtrisé. Dans ses bidonvilles, ses immeubles neufs réalisés sous la forme de cités-dortoirs, s'entassent des dizaines de milliers de familles. Exode rural et populations qui s'articulent autour des activités frontalières, notamment celles en relation étroite avec la localité d'El Haddada. Il s'agit d'un poste frontalier dont les occupants ont récemment fait l'objet d'une dénonciation écrite, avec copie à la presse, adressée au directeur général des douanes. Dans cette correspondance, on parle de réseau de voitures volées à l'étranger et introduites en Algérie avec des documents dont la contrefaçon saute aux yeux du moins averti. L'on souligne également l'accès par des chemins détournés de dizaines de containers en produits alimentaires en cours de péremption. Situé à 2 km à peine de Ghardimaou, la première ville tunisienne, El Haddada est le réel reflet de la vie dans cette région de l'extrême est du pays. En fait, ce poste frontalier, ou du moins les pistes de passagers clandestins qui l'entourent, épouse les contradictions d'un développement incertain de toute la wilaya. Contrairement à beaucoup d'autres de leurs pairs des autres régions, les élus de Souk Ahras semblent avoir démissionné. Bon nombre de jeunes affirment que la plupart de ces élus préfèrent s'occuper de leurs propres affaires. « Ils n'ont pas le temps de s'occuper des préoccupations des populations et encore moins celles juvéniles dont 90% sont au chômage », diront des jeunes interrogés au lendemain de leur participation aux toutes récentes émeutes. Dans ce registre, la commune de Hanancha se place en tête de peloton. Sur une population de 20 000 habitants, à peine 500 activent temporairement ou à temps plein dans des locaux commerciaux divers. 98% des jeunes sont au chômage. contradiction Implantée en bordure d'un des plus importants barrages d'une capacité de 80 millions de mètres cubes alimentant quatre wilayas, cette commune, créée le même jour que celle de Sétif, ne connaît toujours pas le bitume, l'alimentation régulière en eau potable, la prise en charge sanitaire efficiente. Depuis que son P/APC a été placé sous contrôle judiciaire, sa population est livrée aux aléas d'une gestion irrégulière d'un chef de daïra. Confrontée à des luttes tribales d'un pouvoir local dépassé. « Nous ne comprenons toujours pas pourquoi la position de région frontalière de notre wilaya n'est pas exploitée pour nous permettre un ajustement au marché mondial. Nous avons tous les moyens d'être une zone de libre-échange pour l'ensemble des pays du Maghreb, mais rien n'a été fait par ceux qui nous dirigent pour nous préparer à cette mission », ont affirmé des jeunes au chômage depuis des années. Etonnante jeunesse de cette commune qui, saisie par le vertige des plaisirs de la société d'émancipation, tente de défier les contraintes d'une société fermée sur elle-même. La commune de Souk Ahras, chef-lieu, est quelque peu lotie. Le chômage y sévit comme partout ailleurs. Il est cependant atténué par l'existence de plusieurs bourses du marché parallèle. Ces bourses ont des valeurs qui grimpent et d'autres qui dégringolent en fonction de l'offre et de la demande du jour. « Nous sommes vraiment à l'aise pour activer dans l'informel. Il n'y a qu'à mettre le prix pour être tranquille. Ce prix se répercute bien sur le consommateur », indique Mohammed Cherif B., un jeune vivant par et pour la contrebande aux frontières. Quand on lui parle de l'Union du Maghreb arabe, ce jeune de niveau terminale préfère insister sur les cours des marchés boursiers de la drogue, de l'électronique, des voitures et de tout ce qui peut être importé sans avoir à payer de taxes aux frontières. « C'est ce que font nos voisins tunisiens. Ils ont un marché parallèle strictement réservé à l'importation d'une manière ou d'une autre à destination de l'Algérie », affirme Moheen H. spécialiste de la pièce électronique frauduleusement importée. Chez les jeunes de Souk Ahras, le discours est le même. L'émancipation d'une classe politique inexistante sur le terrain ou n'étant disponible que pour la culture du népotisme rend ces jeunes très méfiants. Ils se méfient également de l'émergence d'un Etat de droit qui ne figure pas au premier rang de leurs attentes. népotisme Une normalisation qui supposerait, selon eux, une véritable offensive contre la corruption, les commissions, les pots-de-vin, les grosses affaires à milliards et le racket imposé par certains représentants des institutions de l'Etat. Ces jeunes parlent de despotisme éclairé de ceux chargés de la sécurité économique aux frontières. L'adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce serait pour eux synonyme de mort. Plusieurs ont estimé que la mondialisation est inéluctable, même si l'ont devrait remettre à plus tard l'avènement d'une démocratie, condamnée, selon eux, à rester formelle tant que perdurera le chômage, le mal-vivre et la crise du logement. « Notre démarche actuelle est aux antipodes de ce qu'a souhaité l'Algérien au lendemain de l'indépendance. Si la libération de l'économie et la mise à niveau des institutions de la République doivent être menées d'une main de fer, il faut y aller car le compte à rebours est enclenché. On parle d'adhésion à l'OMC alors que nos produits sont 50% plus chers par rapport à ceux importés », indique un économiste de l'université de Souk Ahras. échec Plus conscients des ruptures, les jeunes Soukahrassiens sont bien imprégnés des ravages d'une croissance presque nulle dans leur wilaya, qui selon eux a échoué dans ses tentatives à séduire les investisseurs étrangers. A quelques centaines de mètres du siège de la wilaya et de la direction de sûreté de wilaya, des dizaines de jeunes stationnent. L'œil et l'oreille en alerte, ils proposent des gadgets frauduleusement importés d'Europe via la Tunisie. D'autres âgés d'une dizaine d'années vivent d'aumônes et de ventes à la sauvette de cigarettes. Tout semblent voué au visa, les uns pour la France, les autres pour le Canada, un amour de tout instant. Disséminés dans les quartiers populaires, les barbus tentent de les ramener sur la « voie de la sagesse ». Les halaqate se sont multipliées pour servir de relais efficace destiné à canaliser une jeunesse en panne de loisirs, d'emploi et d'avenir. Les deux récentes tentatives d'émeutes à Souk Ahras-ville et l'autre dans une commune déshéritée sont l'expression d'un ras-le-bol longtemps contenu. Terrassés par le chômage et profitant du prétexte de la démolition de leur bidonville, des jeunes se sont défoulés. Leur revendication était d'ordre économique. Interpellés, 22 émeutiers ont été placés sous mandat de dépôt. Outre le logement, ils avaient osé demander du travail pour vivre.